Intervention de Serge Michailof

Réunion du 1er avril 2015 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Serge Michailof, consultant, ancien directeur à la Banque mondiale et à l'Agence française de développement :

La notion de « pays en voie de développement » n'a plus de sens : il faut plutôt parler de « pays émergents », lesquels posent à la planète, en matière de développement durable, des problèmes qui pourraient devenir dramatiques. Si la croissance mondiale s'établit à 4 % dans les quinze prochaines années, selon l'objectif retenu, elle sera essentiellement tirée par ces pays, qui par ailleurs font peu d'efforts en matière environnementale, même si les choses commencent à changer en Chine.

L'aide au développement ne relève pas de la charité : l'enjeu n'est pas de faire passer « la Corrèze avant le Zambèze » (Murmures), mais de relever un défi mondial. J'ajoute que certains pays en voie de développement glissent lentement vers la faillite. Les conséquences dramatiques d'un tel processus sont déjà visibles en Afghanistan, mais la situation est très préoccupante aussi en Irak, en Syrie, en Lybie ou au Yémen. Pour les représentants de la communauté internationale, que je viens de rencontrer à Niamey, la question est seulement de savoir si le Niger tiendra le choc pendant trois, cinq ou sept ans... L'implosion peut d'ailleurs se produire très rapidement : on l'a vu au Mali, où nous n'en sommes qu'aux prémices. J'ajoute que ces pays sont au centre d'enjeux géopolitiques : on ne les aide pas par charité, je le répète, mais pour éviter une accélération des migrations incontrôlables, comme celles qui arrivent de Syrie et de Libye. Bref, aider certains pays revient à s'aider soi-même et à prévenir des risques considérables.

De ce point de vue, je reste très déçu par les ODD : les enjeux environnementaux me préoccupent, bien entendu, mais ils ne sont pas du tout centraux dans les pays sahéliens. L'ambassadeur des États-Unis au Niger m'a dit que l'objectif, dans ce pays, était de développer le secteur privé, lequel comprend 4 000 emplois marchands formels, sur un total de 18 millions d'habitants. Le Niger est aujourd'hui classé parmi les derniers pays du monde au regard de l'indice de la Banque mondiale mesurant la facilité de faire des affaires : une progression dans ce classement ou un quadruplement du nombre d'emplois marchands ne changeraient donc strictement rien au problème. Ces pays dépendent entièrement de l'aide internationale, qui finance 80 % des budgets d'investissement et une bonne partie des budgets de fonctionnement.

Quant à l'argument selon lequel la multiplication des objectifs permettrait l'augmentation des moyens, la réalité est autre. Dans le cas du Niger, l'augmentation des aides à l'éducation et à la santé s'est traduite par une réduction drastique des aides au développement agricole. Ont été financés des secteurs sociaux dont la soutenabilité, en l'absence de mécanismes fiscaux susceptibles de garantir des transferts sociaux durables, est illusoire ; si bien que ce pays doit désormais faire face, comme ses voisins, à des charges sociales insoutenables. Compte tenu de la montée des risques sécuritaires, on assiste aussi, depuis trois ans, à un dégonflement des ressources allouées aux secteurs sociaux – santé, éducation et développement agricole – au profit des dépenses de sécurité, qui sont de toute façon incontournables. Ce pays se retrouve donc étranglé financièrement : ou il transfère ses ressources sociales pour les allouer à la sécurité, ou il ne le fait pas, et des groupes tels que Boko Haram le « phagocyteront ». Bref, je ne me retrouve pas dans les ODD tels qu'ils ont été définis au niveau des Nations Unies, avec la novlangue que l'on connaît ; cela dit, puisque nous y sommes engagés, essayons d'en tirer le meilleur parti.

Les enjeux géopolitiques français, en tout état de cause, relèvent d'objectifs climatiques assignés à des pays émergents et à revenus intermédiaires, dont le développement pose déjà des problèmes environnementaux dramatiques ; quant aux pays en voie d'implosion, ils relèvent d'un agenda spécifique, dont les premières étapes doivent être la réforme des secteurs de sécurité, la consolidation du domaine régalien et le développement des secteurs créateurs d'emplois, à commencer par l'agriculture et le développement durable, entendu au sens large ; mais force est de constater que les financements font défaut.

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