Intervention de Jean-Luc Taltavull

Réunion du 2 avril 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jean-Luc Taltavull, secrétaire général adjoint du Syndicat des commissaires de la police nationale :

Je prends la parole au nom de l'Union nationale des syndicats autonomes-Fédération autonome des syndicats du ministère de l'Intérieur (UNSA-FASMI), dont plusieurs représentants sont ici présents.

Je souhaite, en préambule, vous faire part de notre perplexité. S'il peut relever du légitime mécanisme démocratique de questionner les pratiques policières et gendarmistes, le contexte qui a présidé à la mise en place de cette commission d'enquête pouvait laisser craindre qu'il s'agisse d'une entreprise idéologique de déstabilisation des forces de l'ordre. En privilégiant les raccourcis simplistes et une approche caricaturale des problématiques de maintien de l'ordre, certains acteurs médiatiques et – c'est plus regrettable encore – politiques ont pu donner le sentiment de céder à une émotion biaisée, bien qu'elle soit probablement sincère. C'est une injustice, voire une insulte de plus faite à l'engagement et au professionnalisme des hommes et des femmes qui ont mis leur vie au service d'un aspect ardu mais essentiel du bien commun, la défense de l'ordre démocratique.

L'un de nos délégués de Toulouse qui a eu à connaître la gestion de l'après-Sivens pourra témoigner du degré de violence dont sont capables une partie de ceux qui se réclament de la mémoire de Rémi Fraisse, et qui agissent cagoulés, armés de marteaux, porteurs de pavés. Ce retour du terrain devrait être présent à l'esprit des membres de cette commission d'enquête au moment de formuler leurs préconisations.

Notre philosophie du maintien de l'ordre repose sur la notion de désordre acceptable et privilégie, en présence d'un attroupement, une action de dispersion, en maintenant le plus possible une distance entre les forces intervenantes et les participants à l'attroupement. Cette posture, qui a fait ses preuves, et qui suppose d'ailleurs de garantir aux forces d'intervention une large palette de moyens d'action, dont des armes de force intermédiaire, connaît cependant des limites en présence de bandes armées et organisées venues pour casser. Les défilés et cortèges sont pour ces individus des chevaux de Troie qui leur permettent d'accéder aux centres-villes, et les paisibles manifestants font, bien malgré eux, office de boucliers humains.

Confrontée quotidiennement aux manifestations de la violence sous toutes ses formes, la police nationale travaille en permanence sur les réponses à lui apporter, dans un contexte de judiciarisation croissante et avec une profonde culture de la force maîtrisée. Cette réponse à la violence est professionnelle et plurielle. Les brigades anti-criminalité (BAC), les pelotons de surveillance et d'intervention, et les autres unités similaires, d'appui ou d'intervention quotidienne, ont développé, notamment en matière d'interpellation en milieu hostile – que l'on pense à certains de nos quartiers –, des savoir-faire précieux en cas de confrontation avec des bandes de casseurs très mobiles et déterminés à faire un maximum de dégâts, matériels et humains, en un minimum de temps.

Entraînées à manoeuvrer et à agir en unités constituées, les compagnies républicaines de sécurité, forces civiles de maintien et rétablissement de l'ordre, ont dû elles aussi adapter leurs tactiques et équipements aux évolutions de la violence. Leurs membres aussi sont préoccupés par le fait que soit évoquée la possibilité de les priver des moyens de se défendre, au nom d'une vision trop déconnectée des réalités du terrain.

Votre commission d'enquête doit être l'occasion de clarifier le cadre légal et réglementaire, pas toujours adapté, d'améliorer une législation et des textes d'application sur l'attroupement difficilement applicables, de lever des limites jurisprudentielles certaines, de modifier un mode trop binaire de l'action publique en amont : il n'y a rien entre le récépissé de déclaration et l'interdiction. Une gradation de l'encadrement de certaines manifestations ne pourrait-elle être envisagée ? Pourquoi pas une autorisation sous réserve qu'un certain nombre de conditions soient remplies, en termes de trajet et de contrôle de l'accès au lieu de départ, comme cela se pratique dans d'autres pays ? L'Allemagne, où j'ai servi quelques années, s'est dotée d'une législation anti-cagoule : la simple détention et le port d'une cagoule sur le trajet d'une manifestation sont des délits. Nous sommes preneurs de toute mesure qui permettrait d'agir le plus tôt possible, avant que les casseurs ne commencent à casser dans la manifestation.

Enfin, l'autorité habilitée à autoriser l'usage de la force ne saurait, selon nous, être que civile, jamais militaire, et le droit de défense collective d'une force jusqu'à l'arrivée de l'autorité civile sur place, si les circonstances ont fait obstacle à sa présence permanente, doit être exploré.

Laissez aux chefs de police les moyens de travailler et nous en ferons un usage éclairé, mesuré, ce qui n'exclut pas un contrôle. Notre ministre, tirant les enseignements de l'après-Sivens, a annoncé des mesures, sur lesquelles nous sommes totalement d'accord.

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