Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 8 avril 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la jeunesse et des sports :

Les fractures territoriales qui traversent notre pays menacent ce beau projet d'égalité républicaine qui constitue le fondement de la cohésion nationale. Ce projet ayant été fragilisé, notre pays est lui-même fragilisé. Sur la base de ce constat, que nous avons fait très tôt, nous avons entrepris une rénovation profonde de la politique de la ville avec une nouvelle géographie, une nouvelle approche et un nouveau programme, inauguré par la loi Lamy de février 2014.

Nous devons aujourd'hui accélérer les réformes. Le sentiment d'injustice, voire, chez certains, le ressentiment, est devenu prégnant, renforcé encore après les attentats des 7 et 9 janvier. À la suite de ces événements dramatiques, le Président de la République a tenu une conférence de presse le 5 février, puis le comité interministériel sur l'égalité et la citoyenneté s'est réuni le 6 mars. Notre plan d'action est donc d'ores et déjà opérationnel.

L'un de ses premiers leviers est la politique de peuplement, dont parlera plus précisément Mme Myriam El Khomri. Je souhaite, pour ma part, insister sur deux autres leviers : le développement économique et l'action associative.

Comment redonner aux quartiers des perspectives économiques et des perspectives d'emploi ? Comment les aborder sans compassion, mais en encourageant le réel potentiel des populations qui y vivent ? Si la rénovation urbaine est essentielle, elle ne permet pas, à elle seule, de développer économiquement un territoire. Nous devons donc poursuivre deux objectifs, qui se renforcent mutuellement : soutenir, d'une part, l'activité et la création d'entreprises, et d'autre part, l'emploi.

Nous avons fait, pour commencer, le choix de revisiter le dispositif des zones franches urbaines (ZFU), qui avait perdu l'essentiel de son intérêt, compte tenu des effets des nouvelles exonérations de cotisations sociales du pacte de responsabilité et de solidarité conjuguées au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à partir du 1er janvier 2015. En lieu et place des ZFU, nous avons imaginé le dispositif des « Territoires entrepreneurs ». Pendant une période de huit ans, les entreprises bénéficieront ainsi d'une exonération d'impôt sur leurs bénéfices. Pour éviter les effets d'aubaine, le plafond de cette exonération sera ramené de 100 000 à 50 000 euros, mais majoré de 5 000 euros par nouveau salarié embauché domicilié dans l'un des quartiers prioritaires. Il s'agit là d'une véritable prime à l'embauche pour les habitants de ces quartiers.

Un soutien spécifique sera apporté aux commerces de proximité dans l'ensemble des 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville – 1 300 en métropole, 200 en outre-mer. Les entreprises de moins de dix salariés ayant une activité commerciale bénéficieront d'une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant une période de cinq ans et de cotisation foncière des entreprises (CFE) pendant une période de huit ans. Ce dispositif fiscal très prometteur s'inscrit dans le droit fil du plan de soutien à l'investissement public et privé présenté ce matin par le Premier ministre.

Nous allons également mobiliser des financements des grands acteurs de l'économie pour favoriser la création et le développement d'entreprises dans les quartiers. La Banque publique d'investissement (Bpifrance) proposera cette année une offre de financement nouvelle intitulée « prêt quartier ». Les entreprises accéderont à un financement de 20 000 à 50 000 euros. Une garantie complémentaire leur sera apportée à hauteur de 70 % du montant du prêt bancaire. Ainsi, nous proposons des aides non seulement pour consolider les entreprises existantes, mais aussi pour encourager celles qui veulent se créer et se développer.

Par ailleurs, Bpifrance abonde pour 10 millions d'euros un fonds public-privé, appelé « Impact partenaires », qui distribuera 45 millions d'euros aux entreprises en croissance dans les quartiers.

Les acteurs sont également sollicités dans le domaine de l'immobilier d'entreprise – nous savons que c'est l'un des points de blocage pour le développement économique. Un montant de 500 millions d'euros sera ainsi dégagé pour la période 2015-2020, notamment par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pour des investissements dédiés à des projets immobiliers à vocation économique – petit immobilier de proximité, pépinière d'entreprises, immobilier commercial. À côté de la BPI et de la CDC, l'Établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) est aussi mobilisé, puisqu'il aura engagé 75 millions d'euros sur trois ans – 2013-2015 – pour des investissements consacrés à des opérations d'aménagement et de restructuration d'espaces commerciaux et artisanaux. Il s'agit là de sommes importantes qu'il faut coordonner : ce sera la vocation de l'agence de développement économique des territoires, dont la création est souhaitée par le Président de la République qui en précisera très prochainement les contours.

Nous consentons également un effort particulier en faveur de l'emploi. Le premier enjeu est de veiller à ce que tous nos dispositifs d'emplois aidés touchent leur cible prioritaire dans les quartiers de la politique de la ville. Nous avons donc fixé des objectifs chiffrés pour chacun d'eux en termes de déploiement dans les quartiers prioritaires, par le biais d'une convention passée avec le ministère de l'emploi, traduite par une circulaire du 25 mars 2015. Il s'agit de réserver aux quartiers prioritaires 25 % des emplois d'avenir en 2014 et 30 % en 2015 ; 20 % des contrats d'insertion dans la vie sociale ; 12 % du volet marchand du contrat unique d'insertion ; et 50 % des 1 000 nouvelles places en établissement public d'insertion de la défense (EPIDE). Évoquons aussi notre volontarisme en matière de garantie jeunes ou de service civique. L'idée est simple : ces dispositifs d'emploi aidé ou d'accompagnement social doivent bénéficier en priorité aux quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Autre mesure : la convention avec Pôle emploi a prévu que 400 des 2 000 contrats à durée indéterminée (CDI) supplémentaires attribués à ce dernier en 2013 sont affectés aux agences les plus concernées par la population en zone urbaine sensible. C'est une autre dimension de notre politique de l'emploi pour les quartiers : concentrer l'accompagnement là où il est le plus utile.

Nous voulons donc proposer une panoplie de réponses pour faire face à la variété des situations des jeunes face à l'emploi. Pour compléter cette palette, un nouveau dispositif a été créé, le contrat « starter », destiné aux jeunes décrocheurs et tourné exclusivement vers le secteur marchand. Ce contrat s'accompagnera d'une prise en charge à 45 % par l'État, soit le montant des cotisations pour un emploi au SMIC.

Enfin, nous voulons développer le parrainage, qui montre de très bons résultats pour l'insertion des jeunes. C'est l'objet de la charte Entreprises et quartiers. Plus d'une cinquantaine d'entreprises ont déjà signé cette charte, qui les engage pour l'emploi, la formation ou le soutien aux entreprises locales. Mme Myriam El Khomri et moi-même souhaitons porter le nombre de signataires à 100 d'ici à la fin de l'année : étant donné la motivation et la mobilisation des entreprises, cet objectif n'est pas irréaliste. Nous souhaitons que, dans chaque nouveau contrat de ville, la charte soit déclinée avec les entreprises concernées.

Notre deuxième levier d'action est le « New Deal associatif », une nouvelle donne avec le monde associatif, rendue possible par d'importants rétablissements de crédits. Nous voulons qu'un plus grand nombre d'adultes soit formé dans ces quartiers, dans un double objectif d'éducation et de prévention, et afin de lutter contre la banalisation du racisme et de l'antisémitisme. Nous entendons renouveler notre pacte de confiance avec le secteur de l'éducation populaire et amener quelques grandes fédérations, dont les noms sont bien connus, à investir ou à réinvestir ces quartiers en priorité.

Dans ce dessein, et pour rebâtir un projet associatif, nous allons rétablir des crédits à hauteur de 50 millions d'euros dès cette année, et de 100 millions d'euros en 2016 et en 2017. Je rappelle que, en raison d'autres choix prioritaires, le secteur associatif dans ces quartiers avait perdu 90 à 100 millions d'euros entre 2008 et 2012.

Dans le même temps, nous voulons simplifier la vie associative par la mise en oeuvre concrète de la charte des engagements réciproques, avec comme mesure phare l'incitation à recourir de plus en plus systématiquement aux conventions triennales, c'est-à-dire aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens.

Telles sont quelques-unes des soixante mesures issues des travaux du comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté. Nous voulons lutter contre la ségrégation urbaine, faire de la réussite des quartiers un enjeu national. Lorsque les quartiers vont mal, c'est le pays qui va mal : s'ils vont mieux, le pays ira mieux. Il ne peut y avoir de République solide si nos concitoyens, dans des territoires entiers, éprouvent un sentiment de relégation et se sentent discriminés. C'est tout l'objet de la mobilisation portée par le Premier ministre au travers de ce comité interministériel du 6 mars 2015.

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