Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 8 avril 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Myriam El Khomri, secrétaire d'état chargée de la politique de la ville :

Comme M. Patrick Kanner vient de le rappeler, nous agissons depuis deux ans en faveur des quartiers populaires, au travers à la fois de la nouvelle géographie, de la sanctuarisation des crédits, puis de leur augmentation, mais aussi du programme de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) annoncé par le Président de la République le 16 décembre dernier. Mais il faut aller plus vite et plus loin, et c'est pourquoi le comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté s'est réuni le 6 mars. Pour ma part, je voudrais insister sur les réponses qu'il apporte, à brève et plus longue échéances, dans deux domaines : la lutte contre la concentration des personnes les plus pauvres ; un meilleur accompagnement au quotidien des habitants par les services publics dans ces quartiers.

En matière d'habitat et de logement, il a fallu résoudre nombre de difficultés, qui ont fait l'objet de la concertation préalable à l'adoption de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), puis de l'avis du comité des sages. Une circulaire du 3 février 2015 relative au droit au logement opposable (DALO) évoque la nécessité d'un meilleur accompagnement des publics et la volonté de mieux répartir les foyers éligibles, dans un souci de mixité sociale. Le Club des maires de la rénovation urbaine a également porté de nombreuses revendications.

Je voudrais vous citer quelques-unes de ces complexités. D'un côté, les maires de l'association Ville et banlieue proposent, dans un objectif de mixité sociale, d'interdire les foyers éligibles au DALO dans les quartiers de la politique de la ville ; de l'autre, il est clair qu'il faut bien loger ces personnes prioritaires, ce qui nécessite de leur trouver une offre de logement accessible ; or cette offre de logement accessible se trouve, en particulier, dans les quartiers de la politique de la ville.

Autre complexité : si près de 46 % des foyers pour lesquels le DALO est reconnu se situent sous le seuil de bas revenus, cela signifie, a contrario, que l'on peut être éligible au DALO sans être sous ce seuil.

Par ailleurs, il est dit que l'échelle intercommunale est la meilleure pour mutualiser tout ou partie des contingents ; or certains maires avancent que, en leur ôtant leur prérogative, on les priverait d'un outil de politique locale.

Nous avons aussi entendu dire que les préfets devaient prendre en compte les difficultés particulières auxquelles font face les élus locaux en matière de production de logements – permis de construire attaqués, zones soumises aux risques naturels. Mais nous restons convaincus que l'ordre républicain, c'est appliquer toutes les lois de la République, notamment celle relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).

Nous avons également entendu dire que les attributions devaient être concertées entre les différents réservataires du parc social. Pour autant, nous ne sous-estimons pas les difficultés pour obtenir des critères d'attribution partagés.

L'énoncé de toutes ces contradictions met en évidence la complexité à laquelle nous devons faire face dans le cadre de notre action en faveur de la politique de la ville. Mais, pour reprendre l'expression de M. Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, il y a des quartiers sensibles parce qu'il y a des quartiers insensibles. Nous restons persuadés que les problèmes dans ces quartiers ne sont pas ceux des quartiers, mais bien ceux de la France entière. C'est pourquoi nous voulons agir simultanément sur trois leviers.

Il convient d'abord d'encourager la mixité sociale dans les communes. Il s'agit de soutenir les préfets dans l'application stricte de la loi SRU dans les 216 communes qui ne remplissent pas leurs obligations légales, avec deux options : la délivrance des permis de construire au nom de la commune et la préemption du foncier. Les préfets devront nous faire des propositions d'ici au mois de juin pour chaque commune carencée. Une mission interministérielle sera confiée à Thierry Repentin, pour accélérer la production de logements dans les communes SRU.

La construction de logements sociaux sera limitée dans les territoires qui comportent déjà plus de 50 % de logements sociaux.

La politique des loyers sera révisée dans le parc social existant, non pas au regard des conditions de financement du logement au moment de sa construction, mais en fonction des ressources des demandeurs.

Au-delà de la construction, il faut également agir sur les attributions, en réorganisant le pilotage des attributions, grâce à une politique d'attribution à l'échelle intercommunale, et en organisant le relogement prioritaire des populations les plus pauvres en dehors des quartiers de la politique de la ville.

Enfin, il faut accélérer l'amélioration du cadre de vie des 400 quartiers prioritaires de la politique de la ville – 200 quartiers d'intérêt national et 200 quartiers d'intérêt régional – qui bénéficieront du programme de renouvellement urbain de l'ANRU. Les opérations pourront ainsi débuter dès 2015, grâce à des subventions de l'ANRU de l'ordre de 1 milliard d'euros, avec l'appui de la CDC. Les aides financières de l'ANRU seront conditionnées à la définition d'un projet global, intégrant la prise en compte des enjeux de mixité, d'emploi, de développement économique et d'excellence environnementale.

Par ailleurs, nous travaillons à des clauses d'embauche plus ambitieuses et plus rigoureusement appliquées, notamment dans le cadre de la charte avec l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui sera bientôt signée.

Toutes ces opérations feront l'objet d'une co-construction avec les habitants, comme le prévoit la loi Lamy de février 2014.

Ce volet pour une politique de l'habitat et du logement responsable sera mis en oeuvre par Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, en lien avec M. Patrick Kanner et moi-même, et nous donnera véritablement les moyens de lutter contre ce phénomène de relégation. Nous avons bien conscience que ces équilibres-là ne seront pas modifiés en un an. Néanmoins, tous ces outils nous permettront de mieux travailler.

Il faut, d'autre part, répondre aux besoins des habitants, c'est-à-dire renforcer l'accompagnement dans tous les aspects de la vie quotidienne et mener une politique de la ville de proximité. Il s'agit de conforter les services publics en matière de sécurité, d'éducation, de réussite éducative ou de culture, de modes de garde adaptés. Pour toutes ces mesures, l'interministérialité est bien sûr la règle.

S'agissant des modes de garde, nous souhaitons développer les crèches à vocation d'insertion professionnelle, car nous savons que beaucoup de familles monoparentales vivent dans ces quartiers.

Concernant la sécurité – deuxième préoccupation, après l'emploi, des habitants de ces quartiers –, nous sommes convenus, avec le ministre de l'intérieur, que les policiers fraîchement sortis de l'école seront affectés en priorité dans les quartiers de la politique de la ville. Nous avons aussi souhaité développer le « pack deuxième chance », expérimenté dans le département du Rhône. Nous mettrons également en place des dispositifs de réparation pénale du type « Tu casses, tu répares » pour les dégradations de bien, qu'il s'agisse du patrimoine des bailleurs ou du mobilier urbain.

En matière d'éducation, au-delà des EPIDE et de la lutte contre le décrochage scolaire, nous allons déployer progressivement tous les programmes de réussite éducative dans chacun des collèges REP + (réseaux d'éducation prioritaire) et les écoles associées, avec un renforcement des moyens dès septembre prochain. Ce sont ainsi près de 3,3 millions d'euros qui seront affectés dès la rentrée prochaine.

Huit millions d'euros seront consacrés au développement des actions culturelles dans l'ensemble des territoires. Les événements de janvier ont montré que l'approche culturelle est extrêmement importante et qu'il faut aussi combattre l'ignorance. L'implication du ministère de la culture, grâce à Mme Fleur Pellerin, est extrêmement importante. Nous avons également proposé l'objectif « pas un contrat de ville sans un établissement culturel » et la réactivation du fonds de soutien aux médias de proximité.

Dans la mesure où le secteur du numérique sera à l'origine de la création de près de 40 000 emplois d'ici à 2018, des métiers du numérique peuvent être proposés rapidement à des jeunes en décrochage scolaire. C'est pourquoi nous avons décidé l'implantation de près de 200 « fabriques du numérique » d'ici à deux ans – 50 dès le mois d'octobre –, qui permettront de former aux métiers du numérique, et sans condition de diplôme, les jeunes issus des quartiers. Ainsi, 10 000 d'entre eux pourront être formés en trois ans. Une mission de préfiguration est menée depuis le 24 mars dernier.

L'ensemble de ces mesures a vocation à être décliné au sein des contrats de ville en cours d'élaboration.

Le maître mot est la participation citoyenne. Nous sommes particulièrement vigilants à la mise en oeuvre des conseils citoyens sur l'ensemble du territoire. Il nous semble important, au travers de toutes ces démarches, de co-construire les politiques publiques et de lutter contre le sentiment d'abandon dans ces quartiers et contre la forte abstention que nous avons tous notée lors des dernières élections.

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