Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 15 avril 2015 à 21h30
Renseignement — Article 2

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Si. Et vous, monsieur Tardy, vous niez de la tête avant même que l’on vous réponde. Vous prenez la parole pour expliquer que le sujet est suffisamment technique pour justifier d’une réponse du Gouvernement, et quand on vous la donne, avec précision et sincérité, vous regardez tout cela avec un incommensurable mépris. Ce comportement est injustifiable !

Deux techniques sont donc en cause : le suivi en continu des terroristes et la détection sur données anonymes. Elles sont selon vous extraordinairement intrusives et permettent de prélever en masse des données. C’est faux. Avec M. Le Drian, nous avons expliqué pourquoi à maintes reprises ; je vais m’y employer une nouvelle fois.

La première technique consiste à essayer d’obtenir des données de connexion sur des listes préétablies de personnes : c’est donc le contraire du prélèvement de données en masse. Ces personnes sont connues pour présenter un risque terroriste particulièrement élevé. Selon vous, le fait de procéder, par des mesures de police administrative portant sur une liste bien définie de personnes, à la prévention de la commission d’un acte terroriste relève-t-il d’une surveillance de masse ? Ces dispositifs sont placés sous le contrôle de la CNCTR, du juge administratif et éventuellement du juge pénal, s’ils sont mobilisés en contravention avec les règles du droit ! À tout moment, la CNCTR peut vérifier qu’il y a bien conformité entre la technique et les individus ciblés, qui sont considérés comme présentant un risque terroriste majeur !

Bien que ces explications aient été données, au Parlement et devant l’opinion publique, il est des parlementaires qui continuent à considérer qu’il vaut mieux ne rien faire, et laisser ces terroristes agir, plutôt que de mobiliser ces techniques. Sous prétexte que seul le juge judiciaire est compétent pour traiter de ces questions, il vaut mieux intervenir une fois les actes commis, dans le cadre d’une procédure judiciaire ! Ce n’est en aucun cas l’approche du ministre de l’intérieur, en charge de la protection des Français.

S’agissant de la détection sur données anonymes, je voudrais citer des cas très concrets auxquels j’ai été confronté dans mes fonctions de ministre de l’intérieur – car la lutte contre le terrorisme amène aussi une expérience, une compétence, un vécu.

Mes services de renseignement ont pu, par des échanges d’informations, savoir que des terroristes procédaient, sur le darknet, à des communications cryptées donnant des éléments précis sur leur intention de commettre des actes terroristes. Par ailleurs, on sait que, et cela a été le cas dans les attentats du mois de janvier, des terroristes utilisent, pour poster des vidéos appelant au terrorisme et faisant la publicité d’actes terroristes qu’ils ont déjà commis, une multitude d’adresses IP qui se masquent les unes les autres, à partir de messages postés depuis différentes boîtes situées partout sur la planète. En tant que ministre de l’intérieur, chargé donc de prévenir la survenue d’actes de terrorisme, lorsque mes services, dont la haute compétence, monsieur Tardy, est reconnue de ceux qui, au Parlement et dans l’exécutif, ont la charge de les contrôler ou d’en assurer la direction, m’ont dit qu’il était possible, grâce à des algorithmes, de détecter des comportements et d’identifier des individus susceptibles de passer à l’acte, eh bien oui, j’ai souhaité utiliser en toute transparence ces techniques !

Il ne s’agit pas de techniques de prélèvement de masse, non, c’est faux ! Ce sont au contraire des techniques de ciblage. C’est précisément parce que nous ne voulons pas de ce prélèvement de masse, que nous nous l’interdisons, que nous faisons toute la lumière sur ces techniques. Nous utilisons ces formules mathématiques pour prendre seulement ce dont nous avons besoin sur le flux. En l’occurrence, ce n’est pas le contenu des conversations qui nous intéresse, mais les données de connexion.

Si nous sommes amenés à vouloir disposer du contenu des conversations, nous sommes obligés de repasser devant la CNCTR. Si elle considère que nous ne sommes pas légitimes à le faire, elle peut saisir le juge administratif. Si le juge administratif considère qu’en l’ayant fait, nous avons commis une infraction pénale, il peut saisir le juge judiciaire.

Il est mensonger de dire que ces techniques visent à prélever massivement des données. Il est mensonger de dire que cela se fait sans contrôle. Il est mensonger de dire que le juge n’intervient pas. Mais je constate que, face à des lobbies puissants, qui ont la possibilité de diffuser de nombreux messages sur internet, une vérité peut être, pendant un temps, plus faible qu’un agglomérat de mensonges.

Face au terrorisme, au risque qu’il représente, la vérité implique que nous soyons rigoureux et que nous expliquions ce que nous faisons, et ce sous votre contrôle, celui de la CNCTR et celui du juge.

Compte tenu de la menace qui pèse sur le pays, de la gravité de ce qui peut advenir, je suis exaspéré de voir que, sur un sujet aussi grave, à propos duquel nous nous appliquons à apporter, dans la plus grande des sincérités, le maximum de précisions, il puisse y avoir autant d’amalgames, autant d’approximations et, parfois, autant d’arrogance !

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