Intervention de Noël Mamère

Réunion du 8 avril 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère, rapporteur :

Il y a effectivement de grandes différences entre l'Arctique et l'Antarctique.

Elles sont d'abord géographiques, l'un étant une mer glacée, l'autre un continent. Les conséquences du réchauffement climatique n'y sont donc pas les mêmes.

Les différences sont aussi politiques. L'Antarctique est pour le moment sanctuarisé, grâce au traité de 1959 complété par d'autres textes, notamment le Protocole de Madrid de 1991, lequel dédie l'Antarctique à la science et interdit l'exploitation minière. Cela dit, ce dispositif va arriver à échéance en 2048 et il y a déjà des craintes qu'il ne soit remis en cause par des pays. La Chine a été citée, mais on doit aussi évoquer la Russie, qui a indiqué en 2011 qu'elle envisageait une exploitation minière. Il y a aussi la menace représentée par le développement du tourisme, avec aujourd'hui 50 000 visiteurs par an – le même constat vaut d'ailleurs pour l'Arctique, où le tourisme est encore beaucoup plus développé. Bref, bien des revendications pourraient s'exprimer en 2048 et remettre en cause l'avenir du continent.

La France est très présente en Antarctique, avec en particulier la station Concordia que nous partageons avec l'Italie. Cette station est située à plus de 3 000 mètres d'altitude, ce qui ajoute encore à la dureté des conditions. Il s'agit d'endroits où l'on peut avoir 90 degrés au-dessous de zéro !

L'une de nos recommandations, concernant le Subantarctique, est de veiller à maintenir les outils que nous avons sur place, malgré les restrictions budgétaires. Il y a notamment plusieurs navires qui doivent être renouvelés pour assurer la continuité de notre présence. Nous n'avons qu'un navire adapté à la navigation dans les eaux englacées, alors que d'autres pays sont très bien dotés en brise-glaces, je pense notamment à la Russie.

Le caractère océanique de l'Arctique fait que les conséquences du réchauffement climatique n'y sont pas les mêmes. Cette année, nous avons atteint la plus petite limite de banquise. La fonte de la banquise est très rapide et elle pourrait disparaître, en été, d'ici vingt ou trente ans. Tout cela attire des prédateurs, à la recherche d'hydrocarbures, de minerais rares ou de nouvelles routes maritimes faisant économiser plusieurs milliers de kilomètres, lesquelles suscitent beaucoup d'intérêt en Chine. L'Arctique est le meilleur témoin du réchauffement climatique, qui y est beaucoup plus fort. Le risque pour les décennies à venir, c'est de prendre dix degrés en plus, soit la différence de température moyenne entre Naples et Stockholm. Vous imaginez les changements que cela peut induire !

Étant plus proche des grands pays industriels, l'Arctique est également plus touché par la pollution.

Face aux fortes pressions pour exploiter l'Arctique, la meilleure protection serait un statut équivalent à celui de l'Antarctique. Mais l'Arctique est une mer entourée par des terres qui appartiennent aux États-Unis, au Canada, au Danemark, à la Norvège et à la Russie. Le droit de la mer s'y applique, c'est-à-dire la convention de Montego Bay, donc la liberté de naviguer et même, souvent, de pêcher ce que l'on veut. Il y a aujourd'hui une forte extension de la pêche qui menace de nombreuses espèces.

Quant aux pays riverains, ils n'ont mis en place qu'une gouvernance assez faible : les pays arctiques forment le Conseil arctique, qui comprend aussi douze États observateurs, dont la Chine, ainsi que des représentants d'ONG et des peuples locaux. Car c'est un autre point à souligner : alors que l'Antarctique est inhabité, l'Arctique est peuplé, avec 4 millions d'habitants. Du moins l'est-il pour partie, car il n'y a pas « un » Arctique, mais « des » Arctiques, comme l'ambassadrice norvégienne chargée des pôles nous l'a expliqué à Oslo. On ne peut pas comparer l'archipel du Svalbard, où se trouve le village scientifique le plus septentrional, avec le Groenland, qui a une population traditionnelle.

Ces pays riverains ont des prétentions de souveraineté et se disputent notamment le plateau continental dans l'océan Arctique. Tout cela a été avivé par une étude de l'institut géologique des États-Unis, d'où il ressort que peut-être 30 % du gaz et 13 % du pétrole encore à découvrir sur terre pourraient être au-delà du cercle polaire, ce qui attire évidemment les grandes compagnies pétrolières.

Les risques écologiques sont pourtant énormes. Je rappelle que pour récupérer une petite partie de la fuite de la plateforme Deep Water Horizon dans le golfe du Mexique en 2010, il a fallu plus de 6 000 bateaux. Quant à ce qui pourrait arriver en cas de marée noire dans des eaux froides, notre référence est la catastrophe de l'Exxon Valdez : un quart de siècle après, il y a toujours des conséquences de cet accident sur l'écosystème, qui est très fragile ; pourtant, c'était dans le nord du Pacifique, pas dans l'Arctique, où ce serait pire.

Plus généralement, la biodiversité est gravement menacée dans l'Arctique. L'ours polaire ou la mouette ivoire sont en danger, car ils ont besoin de l'existence d'une banquise pour se nourrir. Pour ces animaux, à la différence d'autres, il n'y aura pas de possibilité de se réfugier plus au nord pour suivre l'évolution climatique. Ils risquent donc de disparaître, d'autant qu'ils subissent la concurrence des animaux, notamment des oiseaux, qui, du fait du réchauffement, envahissent les régions arctiques depuis les zones tempérées.

Pour ce qui est des perspectives de gouvernance de l'Arctique, on peut être relativement pessimiste, avec des pays riverains qui ont des attitudes différentes.

Pour les États-Unis, l'Arctique n'est pas une priorité, ce qui fait qu'ils sont assez ouverts à la coopération internationale et soutiennent des mesures de protection, comme les aires marines protégées, où la pêche et l'exploitation des hydrocarbures sont interdites.

Mais pour le Canada du Premier ministre Stephen Harper, l'Arctique permet surtout d'exalter la souveraineté nationale.

La Norvège, quant à elle, joue sur l'ambiguïté. C'est un pays soucieux de protéger l'environnement et ouvert aux discussions internationales. Mais c'est aussi un pays qui n'est pas prêt à accepter une gouvernance commune sur l'Arctique, en particulier sur la mer de Barents et ses réserves d'hydrocarbures.

Le Danemark est présent en Arctique du fait du Groenland. C'est là que les risques sont les plus grands, car le Groenland est très riche en minerais, notamment les terres rares, qui suscitent bien des appétits. Ce n'est pas pour rien que le Président sud-coréen s'y est rendu. Les intérêts chinois s'implantent aussi.

Enfin, la Russie est très dépendante de l'Arctique pour sa production d'hydrocarbures. Vous vous souvenez de l'opération montée par Greenpeace contre une plateforme russe, au demeurant très ancienne et très dangereuse. La Russie renforce sa présence et remilitarise l'Arctique. Nous avons aussi vu cette présence au Svalbard, où il existe des implantations russes comme Barentsburg : même si le Svalbard bénéficie, en application du traité de Paris de 1920, d'un statut d'ouverture internationale et de démilitarisation, on est en droit de s'interroger.

Les perspectives de développement de l'exploitation économique dans l'Arctique restent limitées par certains facteurs : les nouvelles lignes maritimes seront peut-être un jour exploitées, mais pour le moment demeurent chères, car il faut l'aide de brise-glaces, et aléatoires, car l'extension de la banquise est différente chaque année, de sorte que le trafic se limite encore à quelques dizaines de bateaux. Quant aux compagnies pétrolières, elles sont retenues par la crainte des conséquences exceptionnellement graves qu'aurait une marée noire : on ne pourrait pas la traiter et ce serait l'accident de Deep Water Horizon multiplié par dix ou cent !

Mais on ne peut pas trop compter sur le Conseil arctique pour réguler cela, car cette instance, que Michel Rocard avait à juste titre qualifiée de syndicat de copropriétaires, n'a pas été capable de produire des décisions protectrices. Il s'oppose aussi toujours à ce que l'Union européenne y devienne observatrice, en raison de son conflit avec le Canada sur la chasse aux phoques, même si celui-ci est en cours de règlement.

La France ne peut pas non plus jouer un rôle trop important, car elle n'est pas possessionnée dans l'Arctique et y a seulement une base, la station AWIPEV, que l'Institut polaire français Paul-Émile Victor partage avec l'Institut allemand Alfred Wegener ; ce sont les cinq pays riverains de l'Arctique qui mènent la danse.

De plus, il reste des travaux à finir en interne : pour mieux structurer notre recherche, il y a une démarche du CNRS qui s'appelle le Chantier arctique, mais celui-ci est encore en cours de mise en place. De même, on attend toujours la publication d'une Feuille de route nationale sur l'Arctique, alors que dans un premier temps nous espérions pouvoir présenter notre rapport en même temps que cette publication. Enfin, l'Arctique ne sera pas au programme de la COP21, ou, s'il l'est, c'est qu'il sera entré par la fenêtre. Notre ambassadrice chargée de préparer cet évènement, Laurence Tubiana, nous a expliqué les efforts qu'elle faisait pour y introduire la dimension arctique, mais ce n'est pas facile.

L'idéal serait bien sûr de considérer l'Arctique comme un patrimoine commun de l'humanité et de le sanctuariser comme l'est l'Antarctique, mais ce sera difficile, voire impossible. C'est pourquoi nous recommandons d'encourager le Conseil arctique à se renforcer, en lien avec l'Organisation des Nations-Unies. Comme pour l'Union européenne, il s'agit de dépasser le fonctionnement purement intergouvernemental de façon à surmonter les souverainismes.

Pour conclure, l'Arctique est une région déterminante aussi bien pour ce qui concerne le réchauffement climatique, où elle nous annonce ce qui va arriver, que du point de vue géopolitique. De ce point de vue, c'est une région sensible entre l'Ouest et l'Est, à laquelle il faut prêter attention quand on voit la politique actuelle du président Poutine. Nous n'avons pas fini de parler de l'Arctique.

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