Intervention de Jacques Toubon

Réunion du 16 avril 2015 à 11h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Jacques Toubon :

C'est cela.

Quant à votre question sur les catégories de policiers ou de gendarmes susceptibles d'utiliser ces armes de force intermédiaire, nous nous la posons nous-mêmes. Dans notre recommandation n° 6, nous ne sommes pas allés aussi loin que ne l'a dit le président : nous n'avons pas prôné d'interdiction absolue mais nous avons, par exemple, recommandé que les Flash-Ball ne soient pas utilisés dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre, en raison des risques inhérents à leur imprécision. En ce qui concerne ces armes, il faudrait déjà utiliser au maximum tous les possibilités d'enregistrements qui, le cas échéant, permettront de comprendre ce qui s'est passé.

Quelle action légale pourrait-on entreprendre à titre préventif ? demandez-vous, monsieur le rapporteur, en évoquant ces personnes qui se glissent dans les manifestations mais qui n'ont pas tout à fait les mêmes objectifs que les organisateurs. Pour compléter mon intervention sur ce point difficile, je dirais que c'est exactement le même genre de question qui se pose à cette assemblée, jour après jour depuis lundi après-midi, dans le cadre de l'examen de la loi sur le renseignement. Nous sommes dans la problématique de la proportionnalité : où place-t-on le curseur ? Si un cadre légal comportait des garanties particulières, notamment de contrôle et de recours, le Défenseur des droits pourrait le trouver acceptable.

Pour vous répondre, monsieur Vaillant, je vais revenir à notre recommandation concernant le 14 juillet 2013 : toute interdiction générale nous paraît problématique. Appliquer une instruction générale ou systématique à des lieux, des moments ou de personnes, c'est placer le curseur trop loin en direction de la limitation de la liberté. Il faut faire attention à cet aspect des choses et votre commission aurait raison d'y réfléchir.

Monsieur le président, en ce qui concerne les poursuites judiciaires, j'ai déjà eu l'occasion de livrer deux réflexions : le donneur d'ordre est rarement mis en cause ; en cas de poursuites pénales, les peines prononcées sont souvent de la prison avec sursis. Dans deux affaires que j'ai évoquées – concernant un lycéen et un garçon de neuf ans – j'ai dit que les peines prononcées pouvaient paraître non proportionnées à la gravité des blessures. Mais, je le répète, il ne m'appartient pas de commenter des décisions qui ont l'autorité de la chose jugée.

Je rappellerais aussi que la CEDH a rendu deux arrêts, l'un contre la Bulgarie le 20 décembre 2007, et l'autre contre la Turquie le 30 novembre 2004. Dans ce dernier, qui émane de la grande chambre, on lit : « Les instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas être disposées à laisser impunies des atteintes graves à l'intégrité physique et psychique des personnes, par exemple, en prononçant contre les agents responsables des peines minimales ou dérisoires avec sursis, sans jamais leur infliger de sanctions disciplinaires, ou en se cantonnant à l'accusation de négligence, sans tenir compte de la dimension d'atteinte à la vie. » Pour ma part, j'ai signalé l'absence totale de données générales sur les sanctions prises et sur la nature des faits sanctionnés à la suite de nos recommandations.

Monsieur le président, nous avons de bonnes relations avec les inspections auxquelles nous nous adressons systématiquement quand nous avons des saisines de ce genre. Pour le reste, il revient à l'autorité politique de dire comment il faut s'organiser.

Ceci m'amène à vous répondre sur la médiation, monsieur Said. Lorsque j'ai réuni ce petit réseau européen, nous avons été très frappés de voir que la Metropolitan Police de Londres dispose d'une sorte de médiation interne. En fait, c'est au fur et à mesure de l'opération de maintien de l'ordre que se pose la question de savoir si les règles – et notamment celles de la Convention européenne des droits de l'homme dont certains responsables britanniques aimeraient se dégager – sont ou non respectées. Comme dans la police britannique, nous pourrions avoir des officiers qui soient chargés plus particulièrement du respect des règles et de la déontologie. Mais nous avons choisi d'avoir des inspections extérieures, qui interviennent a posteriori, tant pour la police que pour la gendarmerie.

Enfin, s'agissant de la force légitime, monsieur Demarthe, je m'en remettrai à Max Weber : il y a un monopole de la violence légitime. Je pense que ce sera écrit dans votre rapport… Pour notre part, nous appréhendons la situation d'asymétrie qui existe, par essence et par construction, entre une force de sécurité qui est dotée de pouvoirs légaux et d'armes de toutes natures, et un individu qui n'a rien de tout cela. Pour ce qui concerne la défense des droits et des libertés fondamentales, le Défenseur des droits est le contrôleur de la déontologie des forces de sécurité. Son rôle est très important dans une situation où c'est toujours pot de fer contre pot de terre. Mais n'oublions pas que les forces de sécurité font aussi respecter l'État de droit. Lorsqu'un policier fait exécuter une décision de justice, c'est clairement dans ce cadre qu'il agit.

Dans le domaine qui nous occupe, nous avons, d'un côté, ceux qui cherchent à maintenir l'ordre avec tous les moyens dont nous avons longuement parlé, et, de l'autre, ceux qui cherchent à le troubler ou à le mettre en cause. Ces derniers peuvent aussi disposer de moyens de violence qui, en l'occurrence, ne sont pas légitimes. Nous n'avons pas été saisis par des membres de forces de sécurité de faits de violences commis par des manifestants. Je ne peux donc pas vous répondre sur le traitement que nous pourrions faire de tels dossiers.

D'une manière plus globale, nous devons réfléchir à un modèle européen, en ayant à l'esprit les événements qui se sont déroulés lors des sommets de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) à Strasbourg, Seattle, Gênes ou Copenhague. Nous devons nous préoccuper de la défense des droits de chacun, citoyens, policiers et gendarmes. À un moment où Paris s'apprête à accueillir la COP 21, il est légitime de réfléchir aussi à la question que vous avez posée sur la responsabilité des manifestants. En tant que Défenseur des droits, je n'ai jamais eu à me poser cette question mais je comprends que vous la formuliez.

Le maintien de l'ordre est une question de société et pas seulement de sécurité ou de liberté. Tous – le Parlement, le Gouvernement, les observateurs, les universitaires – doivent réfléchir dans cette optique. Quel visage notre pays veut-il offrir ? La réponse implique de la part de tous les responsables politiques, notamment de la part des parlementaires, des décisions en conscience.

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