Intervention de Albéric Dumont

Réunion du 16 avril 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Albéric Dumont, coordinateur général de la « Manif pour tous » :

Je vais m'efforcer de répondre à toutes les questions posées de manière à la fois concise et technique.

L'objectif n'est évidemment pas de ne parler que du 24 mars, mais c'est cet événement qui fournit la meilleure illustration de nos relations avec la préfecture.

Monsieur Goujon, « perturbateurs », oui, mais « casseurs », non : nous n'avons jamais eu à déplorer la moindre dégradation, le matériel urbain n'a pas été touché, la protection des biens a été totale.

Vous avez soulevé un point très intéressant : le positionnement des forces de sécurité. Nous avons constaté que lorsque les forces de l'ordre étaient présentes en tenue et au contact direct des manifestants, cela provoquait systématiquement des incidents, même avec les personnes les plus pacifiques qui soient. Nous avons donc demandé à la préfecture, ce qu'elle a accepté de faire lors de nos deux dernières manifestations, de placer les forces de l'ordre en retrait. Rien ne sert de faire passer les familles le long des boucliers ; cela crispe tout le monde. En revanche, cela ne coûte rien d'installer les barrages fixes quelques dizaines de mètres plus loin. Notre dernière manifestation s'est terminée au pied de la tour Montparnasse, place du 18 juin 1940 ; il y avait 400 fonctionnaires de police en uniforme sur la place ; vous ne les verrez sur aucune photo, alors qu'ils étaient au coeur de la manifestation. Pourquoi ? Parce que nous avions pu étudier avec le préfet la possibilité de déployer des forces d'intervention lourde à proximité, mais sans contact direct avec la foule. Elles sont d'ailleurs restées sur leurs bases, n'ayant pas besoin d'intervenir.

En ce qui concerne les barrages qui auraient été forcés le 24 mars, le préfet de police l'a dit lui-même devant vous, vu les circonstances il a préféré ouvrir les barrages pour laisser les gens aller sur la place de l'Étoile et sur les Champs-Élysées.

Quant à l'utilisation des gaz lacrymogènes dont nous avons été victimes, je croyais – c'est ce que l'on m'avait toujours dit – qu'on ne lâchait des gaz dans une foule compacte que pour l'obliger à se disperser. Dans le cas dont nous parlons, les gaz ont été utilisés pendant la manifestation sur une foule compacte qui ne pouvait pas s'échapper. Pour moi, il s'agit d'une erreur technique. Il existe de nombreuses méthodes pour faire avancer une foule ou reculer un barrage ; si vraiment cela s'avère nécessaire, on peut utiliser du gel lacrymogène, qui permet de viser uniquement la personne face à laquelle on se trouve et qui est manifestement hostile, au lieu d'asperger une foule – on sait bien qu'un gaz occupe tout l'espace qui lui est offert.

S'agissant de la gestion des perturbateurs, je m'exprime au nom de la « Manif pour tous » mais les organisateurs d'événements de tous ordres, revendicatifs ou festifs, sont confrontés aux mêmes difficultés. Il faut d'abord identifier les individus en amont, ce que seuls les services de renseignement ont le pouvoir de faire, par le biais de notes ; ils peuvent ainsi savoir si tel groupe, représentant un nombre donné de personnes, a prévu de venir, et, si oui, dans quel but. Des groupes ont été repérés de cette manière par la police lors de nos manifestations : quand quarante personnes déjà identifiées par les renseignements sortent d'un train et se dirigent vers la manifestation, il est évident que les services de maintien de l'ordre sur place les suivent, et nous avons pu le vérifier. Pourtant, les forces de l'ordre ne sont jamais intervenues. C'est l'un des griefs que nous avons contre elles : elles ont laissé ces groupes parvenir jusqu'au coeur de nos manifestations et les perturber, pour réprimer ensuite toute la foule. Ne pourrait-on étudier l'éventualité, à laquelle je ne vois aucun obstacle juridique, d'empêcher des éléments identifiés comme potentiellement perturbateurs, connus pour leur dangerosité – et non simplement parce qu'ils ne porteraient pas les bons insignes –, d'arriver au beau milieu de la manifestation, au lieu d'attendre qu'ils agissent pour venir ensuite nous en imputer la responsabilité à nous, organisateurs, qui ne représentons, vous l'avez dit, que des papas, des mamans, de jeunes enfants – même s'ils ne sont pas toujours en poussette – et des personnes âgées ?

En ce qui concerne le nombre de réunions, une manifestation de cette ampleur en suppose en moyenne quatre à six au cabinet du préfet, dont une ou deux en présence du préfet de police, puis cinq réunions techniques à la direction de l'ordre public, dont une avec les partenaires de la préfecture – RATP, SNCF, zone de défense. Chaque réunion dure entre une heure et demie et quatre heures.

Monsieur Folliot, je ne saurais établir aucune comparaison avec d'autres mouvements que je ne connais pas, sinon par voie de presse, et auxquels je n'ai pas participé. Je ne dis pas que nous avons été particulièrement ciblés. Je me fonde sur tous les éléments que nous dénonçons depuis deux ans et que nous vous apportons aujourd'hui. Les méthodes sont certainement courantes et appliquées à tous les mouvements. Simplement, elles étaient exceptionnelles nous concernant, puisqu'elles visaient un public extrêmement pacifique. Voilà ce que nous dénonçons.

Quant à l'organisation du mouvement pendant les manifestations, nous recrutons des bénévoles que nous orientons soit vers la logistique, soit vers l'accueil et la gestion de la foule, soit vers la sécurité – au simple sens de la gestion des flux –, soit enfin vers le service d'ordre, chargé de la sécurité proprement dite, avec le renfort d'une société de sécurité privée. Les agents que celle-ci emploie, et qui ont l'avantage d'être agréés par le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), sont les seuls qui soient rémunérés pour leur mission. Contrairement à d'autres, en effet, nous ne payons pas notre service d'ordre.

S'agissant de l'articulation entre ces éléments et les forces de l'ordre, nous avons lors des manifestations de grande ampleur un centre opérationnel, placé sous la responsabilité de la direction de la « Manif pour tous », dirigé par des techniciens de chez nous qui gèrent la manifestation : ce sont eux qui donnent au cortège le signal du départ, qui annoncent le dispersement et qui, derrière leur Algeco, utilisent les vidéos du cortège dont ils disposent et les informations que leur transmettent les bénévoles pour prendre des décisions. Dans ce centre opérationnel, il y a deux officiers de police, issus l'un de la direction de l'ordre public, l'autre de la direction du renseignement de la préfecture.

En outre – mais ce dispositif n'a pas été reconduit, en vertu d'une décision que nous n'avons pas comprise –, un responsable de notre organisation restait à la préfecture, avec les autorités, pour faciliter les liaisons. En effet, lors d'un grand rassemblement, les communications téléphoniques ne passent pas et les postes de transmission, ou talkies-walkies, des forces de l'ordre et ceux des organisateurs ne sont pas compatibles. On est donc réduit au contact physique ou à l'utilisation de lignes fixes que nous installons sur le parcours.

La gestion de ces événements comporte plusieurs degrés d'intervention. Les équipes d'accueil, en jaune, accueillent et orientent les participants. Les équipes de sécurité gèrent le flux. Les équipes du service d'ordre agissent en cas d'incident, en lien avec les forces de l'ordre, généralement selon la répartition suivante : à l'intérieur du cortège pour le service d'ordre de la « Manif pour tous », à l'extérieur pour les forces de l'ordre, sauf si une infraction est constatée, auquel cas un officier de police judiciaire intervient en application de l'article 73 du code de procédure pénale. Toutefois, nous n'avons pas la possibilité d'assurer le maintien de l'ordre : ce n'est pas notre métier, nous ne sommes pas formés pour cela. La gestion des groupes dont nous parlions est donc du seul ressort de la préfecture.

Enfin, je lance un pavé dans la mare, sans vouloir créer de polémique : je trouve insupportable que, comme le préfet de police l'a lui-même fait devant vous, l'on qualifie nos manifestations de revendicatives alors que d'autres qui le sont tout autant, sur les mêmes sujets mais de manière divergente, comme les gay pride, sont considérées comme festives.

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