Intervention de général Jean-Pierre Bosser

Réunion du 18 mars 2015 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jean-Pierre Bosser, chef d'état-major de l'armée de terre :

Mesdames et Messieurs les députés, je souhaite tout d'abord vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer une fois de plus devant vous ce matin. Je voudrais vous dire que, dans les épreuves et les circonstances graves que traverse notre pays, l'armée de terre fait bloc avec la Nation. Elle fait aussi front et se veut force de proposition pour le pays. Les soldats que je rencontre à Paris et en Province mesurent parfaitement leur responsabilité vis-à-vis de leurs concitoyens. Ils m'ont tous dit leur fierté de remplir la mission Sentinelle, fierté qui reste intacte après deux mois et demi de mission et que chacun de nous partage. Nos soldats sont au contact quotidien des Français, les yeux dans les yeux, et ceci renforce encore le lien qui unit déjà la Nation à son armée professionnelle. Je crois que je ne serai pas démenti par madame la présidente, avec qui j'ai visité nos soldats en action dans la capitale, ni par ceux d'entre vous qui ont pu avoir ce contact avec eux.

Notre pays traverse une période extrêmement difficile qui place la sauvegarde du territoire, le continuum sécurité-défense, la protection de nos concitoyens et la cohésion nationale au centre des enjeux de Défense. C'est pourquoi le Président de la République a décidé de maintenir à son niveau actuel et autant de temps que nécessaire, l'engagement des armées, et notamment de l'armée de terre, sur le territoire national, accentuant de fait l'effort de Défense.

Je vous confirme, et les services de renseignement le feraient comme moi, que l'état du monde impose de maintenir la « garde haute » dans plusieurs directions pour continuer à faire face à la grande diversité des menaces. Dans ce cadre, mon souci est bien évidemment de préserver l'équilibre entre les missions et les moyens et par conséquent de renforcer les effectifs de l'armée de terre. Ceci constitue à mes yeux le défi majeur de l'actualisation de la loi de programmation militaire voulue par le ministre de la Défense.

Ce dernier l'a indiqué, le cadre fixé par le Livre blanc est toujours adapté et l'analyse des menaces y est encore juste, même si le danger terroriste s'étend dans le monde et si la menace asymétrique s'applique de façon particulièrement aiguë sur le territoire national. Face à la globalité des risques, conserver le spectre complet des capacités stratégiques me paraît essentiel. C'est d'ailleurs en considérant les évolutions qui se dessinent sous nos yeux, et pour renforcer encore l'efficacité de notre outil, que le modèle futur de l'armée de terre appelé « Au contact ! » - c'est-à-dire au contact des Français sur le territoire national et de l'adversaire où qu'il se trouve - est construit. Ce nouveau modèle lui sera présenté de façon définitive début avril.

Avec l'inscription de l'opération Sentinelle dans la durée, à hauteur de 10 000 hommes, dont 7 000 sont déployés, l'armée de terre connaît un niveau et un taux d'emploi totalement hors-norme, dans et hors de nos frontières.

De façon bien malheureuse, les événements de janvier dernier montrent que les réflexions qui étaient les miennes au moment de ma prise de fonction étaient parfaitement fondées. Les hypothèses sur lesquelles j'ai bâti ce projet sont hélas vérifiées aujourd'hui par les faits. Par voie de conséquence, le futur modèle inscrit d'emblée l'armée de terre dans la bonne direction, avec un nouvel équilibre entre opérations extérieures et opérations intérieures. Il la place sur des rails qui lui permettent de s'adapter à la nouvelle situation, d'arrêter la déflation des effectifs et d'entamer objectivement sa remontée en puissance.

Je viens d'évoquer dans cette introduction les deux grands sujets de mon intervention. La première partie sera ainsi consacrée au bilan et aux enseignements du déploiement de l'armée de terre dans le cadre du contrat Sentinelle. La deuxième partie me permettra de vous livrer mon analyse sur la place de la fonction « Protection » à l'avenir et sur les conséquences du prolongement de l'opération Sentinelle, avec le déplacement du « curseur opérationnel » de la fonction « Intervention » vers la fonction « Protection ».

Les attaques du 7 et du 9 janvier dernier ont brutalement ouvert un nouveau théâtre d'opération jusqu'alors « dormant » pour l'armée de terre depuis la chute du mur de Berlin : le territoire national. Nous découvrons de façon dramatique que la France a désormais un ennemi sur son propre sol. Le déclenchement inopiné, le 11 janvier, du contrat de protection 10 000 hommes, en renfort des forces de sécurité intérieure, a été marqué par une montée en puissance et un déploiement initial sur lesquels je tire quatre constats.

Le premier porte sur la réactivité de la chaîne de commandement des forces terrestres et de nos soldats. Comme vous le savez, en trois jours, entre le 8 et le 11 janvier, l'armée de terre a doublé ses effectifs engagés initialement au sein de l'opération Vigipirate, les multipliant par dix les trois jours suivants pour atteindre 10 500 soldats le 14 janvier. Au bilan, ce sont 170 unités, soit cinq fois plus que ce qui est attendu en 48 heures dans le contrat du Livre Blanc, qui ont été déployées dans une cinquantaine de villes en protection de 720 sites, dont plus de la moitié en Île-de-France. Cette réactivité traduit la maîtrise de la projection de forces que nous avons acquise ces vingt dernières années, comme l'illustre par exemple l'opération Serval au Mali. Je tiens à saluer aussi l'esprit d'initiative de nos hommes, qui étant attentifs à l'actualité, sont rentrés de façon spontanée dans leurs unités.

Le deuxième constat porte sur la robustesse et la continuité de la chaîne de commandement territorial, interarmées, qui n'avait pas été utilisée depuis longtemps et dont certains s'interrogeaient sur la pertinence : état-major des armées, officiers généraux des zones de défense, état-major interarmées de zones de défense, délégués militaires départementaux, ces derniers étant des acteurs déterminants en lien avec les préfets. Ils jouent un rôle majeur dans la bonne installation des détachements dans leur zone, contribuant ainsi la réussite de la mission. Cette robustesse et la continuité de la chaîne de commandement territorial soulignent combien la connaissance du terrain procurée par le maillage territorial a du sens et demeure indispensable pour répondre aux réalités locales. C'est la raison pour laquelle j'accorde dans le modèle « Au contact » une telle importance à l'empreinte territoriale de l'armée de terre.

Le troisième constat concerne la qualité des soutiens interarmées. Ils ont montré leur aptitude à se déployer à la même vitesse que les forces, en particulier la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI) et le service du commissariat des armées (SCA). Les enseignements tirés de l'exercice annuel baptisé « Alma », de réaction en cas de crue de la Seine, et l'expérience dont l'état-major de zone de défense Île-de-France dispose dans l'accueil, le transit et l'hébergement de détachements militaires en région parisienne, ont constitué des atouts importants. Je retiens d'ailleurs deux autres facteurs de succès. Le premier, la militarité des soutiens interarmées qui constitue bien un gage de réactivité et de disponibilité. Le second, la conservation d'emprises militaires, comme à Satory et à Saint-Germain en Laye, qui s'avère indispensable pour accueillir, équiper et héberger les détachements militaires de plus de 5 000 hommes appelés à être engagés sur le Grand Paris.

Le quatrième et dernier constat porte sur l'excellent comportement de nos soldats qui agissent depuis deux mois avec un grand professionnalisme et auquel je tiens à rendre hommage.

Je ne serais pas complet si je n'associais pas à ces félicitations notre réserve opérationnelle ! Nos réservistes, qui représentent environ 500 hommes, ont répondu présent et ont constitué une plus-value sur laquelle nous pourrons revenir au moment des questions.

Le bilan positif que je tire du déploiement de Sentinelle repose aussi pour beaucoup sur l'état d'esprit et la cohésion de l'armée de terre et sur la qualité de ses chefs et de ses soldats. Je voudrais illustrer ce constat grâce au cas concret de l'attaque qui a visé à Nice, le 3 février, trois soldats du 54e régiment d'artillerie d'Hyères. Ce cas d'espèce résume la complexité de la mission et les qualités dont nos soldats font la démonstration chaque jour. Sans entrer dans le détail des faits, je veux mettre en exergue quatre aptitudes fondamentales. La première concerne l'autonomie et l'esprit de décision du chef de trinôme, un jeune sergent de 34 ans, qui adopte la réaction adaptée à la situation et donne les bons ordres. La seconde porte sur le courage physique et le sens de l'engagement qui ont été nécessaires pour maîtriser l'assaillant, au corps à corps, en dépit des multiples blessures subies par chacun lors de cette « interpellation ». La troisième est la maîtrise de la force et le discernement dont le trinôme a fait preuve en choisissant délibérément de ne pas riposter par le feu et de s'exposer au danger pour protéger la population autour. La quatrième aptitude concerne l'éthique du soldat et le code comportemental mis en avant dans la formation de nos jeunes, qui a conduit le trinôme à protéger l'agresseur des passants, devenus menaçants.

Je voudrais conclure sur cette action en attirant votre attention sur un point supplémentaire. Nous comptons dans nos rangs des militaires de toutes origines sociales et culturelles et de toutes confessions religieuses. Ils ont en commun d'avoir fait le choix de s'engager pour défendre notre pays. Les échanges que j'ai avec eux lors de mes visites me montrent qu'il n'est pas forcément simple pour un jeune soldat ou un jeune Français de confession musulmane de garder un lieu de culte différent de sa propre religion. À cet égard, je constate que leur neutralité exemplaire et leur disponibilité sans faille incarnent remarquablement les valeurs de notre République. Je crois que les Français ont mille fois raison de plébisciter comme ils le font leurs soldats et de faire confiance à leur armée. C'est évidemment pour chacun d'entre nous une marque de considération et de reconnaissance dont vous savez l'importance.

Une autre caractéristique de l'armée de terre mérite d'être soulignée : sa polyvalence. Nous avons fait le choix, depuis vingt ans et le modèle conforte ce choix, de ne pas prédestiner les forces par type de mission. Ceci offre l'avantage de la souplesse d'emploi et de l'économie des moyens, que l'on sait comptés. Au passage, la décision de remonter en puissance illustre les limites atteintes dans ce domaine. Concrètement, cela signifie qu'un soldat des forces terrestres sait et remplit avec la même efficacité toutes les opérations fixées par le contrat opérationnel : il intervient, il protège, il prévient et il s'engage avec la même efficacité à Gao qu'à Paris.

Les inquiétudes qui auraient pu être émises sur la capacité de nos soldats à basculer des théâtres extérieurs vers une mission intérieure trouvent leur réponse dans la maîtrise des savoir-faire et dans l'expérience opérationnelle. Nos soldats professionnels savent conjuguer polyvalence et spécialisation. J'ai la conviction que la réaction du trinôme de Nice reflète le niveau de l'ensemble des forces terrestres. Pour preuve, 370 incidents contre la force Sentinelle (agression de soldats, désignation au laser) ont été recensés le premier mois sans qu'aucun ne donne lieu à une réaction disproportionnée de la part de nos hommes. Un tel professionnalisme n'est évidemment pas le fait du hasard. C'est bien le résultat d'une formation exigeante de nos officiers, sous-officiers, et nos militaires du rang et d'un entraînement adapté et différencié de nos unités. Il s'agit là du capital le plus précieux de l'armée de terre, pour qui l'homme est au coeur de l'action, donc au centre de mes préoccupations. Comme je vous l'avais indiqué lors de ma première audition, nous devons être vigilants à ne pas éroder à l'excès ce capital. Le prolongement de l'opération Sentinelle constitue à ce titre un défi immense. L'armée de terre entre dans une nouvelle ère qui accélère encore son rythme de respiration, impliquant de trouver un nouvel équilibre entre opération extérieure, opération intérieure et les indispensables périodes de préparation aux opérations, de remise en condition de formation et d'entraînement.

Comme vous le savez, le volet « Protection » du contrat opérationnel constitue depuis toujours une priorité pour l'armée de terre qui reste par essence l'armée du territoire et des Français. Il n'est pas ici question de luttes intestines ; je ne conteste pas à l'armée de l'air la sécurité de l'espace aérien ni à la marine nationale l'action de l'État en mer et ces dernières ne disputent pas le rôle de l'armée de terre en matière de protection du territoire national. Il n'en demeure pas moins que l'on avait un peu oublié, depuis la « mise en sommeil » de la défense opérationnelle du territoire (DOT), que l'armée de terre pouvait avoir un rôle sur le territoire national.

Quand j'ai construit le nouveau modèle de l'armée de terre, j'avais imaginé le doter d'un pilier consacré à la protection. Je savais que beaucoup de contradicteurs, y compris internes, diraient que les soldats de l'armée de terre sont faits pour intervenir à l'extérieur et non pour monter la garde. Je n'imaginais pas à l'époque être rattrapé par l'actualité de façon aussi brutale !

Lorsqu'on recense les forces de l'armée de terre qui contribuent en temps normal à la protection du territoire, on est en fait surpris des moyens importants qui sont concernés sur un mode permanent ou occasionnel. Ceci mérite d'être évoqué car la palette de moyens « terre » est finalement assez peu connue, l'envergure des capacités d'action terrestre sur le territoire national étant pour autant bien réelle. Ainsi, 8 500 sapeurs-pompiers de Paris rendent à la population parisienne, avec le dévouement que vous savez, un éminent service public. Je voudrais à cette occasion rendre hommage à l'exceptionnel sens du devoir du caporal-chef Aurélie Salel qui est morte au feu dans le cadre d'une intervention ce week-end et adresser mon soutien au 1re classe Florian Dumont. De même, 1 400 sapeurs-sauveteurs de l'armée de terre arment les trois régiments d'instruction et d'intervention de la sécurité civile. Par ailleurs, 1 100 « terriens » sont, pour l'essentiel au 2e régiment de dragons de Saumur, les experts dans le domaine de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique, dont un certain nombre a été déployé pour lutter contre le virus Ebola. Il faut également y ajouter les démineurs et les maîtres-chiens. Comme vous le voyez, la liste des capacités duales est longue et contribue à la densité du pilier consacré à la protection du territoire national. Ce « flux intelligent » de forces classiques qui irriguent le territoire national a toujours été important mais il n'a jamais atteint un niveau aussi élevé sur un temps aussi long.

L'engagement le 14 janvier de 10 500 soldats des forces terrestres sur le territoire national porte cette contribution au niveau maximal prévu par le Livre blanc, un degré jamais atteint jusqu'alors.

Dans le même temps, à l'extérieur de l'hexagone, le niveau d'engagement reste élevé. Il représente pour les seules forces terrestres de l'ordre de 10 000 soldats prépositionnés outre-mer et déployés sur quatre théâtres d'opérations extérieures. Ce faisant, l'armée de terre conduit simultanément deux volets essentiels de sa mission : la protection et l'intervention. Si l'on considère la simultanéité de ces déploiements, les effectifs engagés et ceux en alerte ainsi que le nombre et la typologie des opérations, le contrat opérationnel fixé dans le Livre Blanc à l'armée de terre était déjà en janvier sous forte tension, voire à la limite du dépassement. Nous sommes en mesure de remplir ces deux volets, mais au prix de notre capital opérationnel, sans laisser le moindre espace de respiration pour la remise en condition, avec le risque de fragiliser la fidélisation des effectifs sachant que l'absence hors garnison pourrait être d'un jour sur trois voire un jour sur deux. La décision de prolonger l'opération Sentinelle dans la durée fait sortir l'armée de terre du cadre des contrats pour lesquels elle a été dimensionnée. En particulier le contrat « Protection » qui prévoyait un engagement ponctuel, sans relève, pour une durée maximale de trois mois. C'est un nouveau contrat opérationnel pour l'armée de terre, assorti d'une nouvelle trajectoire des effectifs, demandée au président de la République par le chef d'état-major des Armées.

Je voudrais partager avec vous les réflexions que m'inspire ce changement majeur, à l'échelle de l'armée de terre mais aussi de la défense.

La résonance entre les menaces extérieures et intérieures reste très forte. Par voie de conséquence, la complémentarité entre la défense de l'avant et la défense au-dedans reste vitale. Le chef militaire que je suis considérerait comme une erreur stratégique de circonscrire notre défense et de rétrécir nos ambitions aux stricts contours de nos frontières. J'ai d'ailleurs la certitude que la capacité dont dispose encore aujourd'hui la France d'engager physiquement ses soldats en opération au contact de l'ennemi où qu'il se trouve constitue un signal politique fort du niveau de détermination de notre pays, dont il ne faut pas sous-estimer la portée politique. Je n'envisage pas un avenir très radieux pour une société qui n'aurait plus la volonté ou la force de combattre ceux qui cherchent à détruire les valeurs qui la font vivre, le combat fût-il à livrer à 4 000 kilomètres de distance. Ce constat appelle un impératif : maintenir les moyens et les effectifs dont nous avons besoin pour conduire à la fois des opérations extérieures dont l'intensité va croissante et les opérations du territoire national, dont nous ne connaissons pas aujourd'hui les évolutions.

Au durcissement des opérations répond une exigence que je porte en qualité de chef d'état-major : la protection de nos hommes. Comme vous le savez, elle repose en partie sur leurs équipements. 2015 portera, en complément de SCORPION, deux opérations majeures qui constituent des priorités pour l'armée de terre : la mobilité des forces spéciales et le successeur du système de drone tactique intérimaire (SDTI).

Concernant l'emploi et les modes d'action, le corpus législatif et réglementaire existant pose un cadre clair pour l'accomplissement de la mission. En revanche, il est important de réfléchir à la façon dont l'armée de terre pourrait faire évoluer son action aux côtés des forces de sécurités intérieures, en tirant le meilleur parti de ses aptitudes et de son expérience opérationnelle. Parmi les pistes de réflexion figure le recours à des modes d'action plus mobiles : en effet, la garde statique de points sensibles, si elle rassure, risque de perdre avec le temps de son utilité et de son efficacité. Nous considérons généralement que la protection passe par des dispositifs de surveillance changeants et imaginatifs, qui créent l'incertitude chez l'adversaire. Une plus grande mobilité permettrait de mieux rentabiliser les atouts spécifiques des forces terrestres. On pourrait ainsi réfléchir à l'emploi sur réquisition de capacités de types équipes cynophiles, modules NRBC ou drones, ou à l'utilisation des savoir-faire relatifs à la surveillance d'une zone. C'est l'objectif que je me suis fixé pour l'armée de terre dans les prochains mois, en imaginant avec quels moyens et pour quelles missions elle pourrait agir mieux sur le territoire national si on le lui demandait. Il y a là un vaste champ éthique, juridique, conceptuel et doctrinal qui sera exploré prochainement.

De façon plus pratique, l'armée de terre doit réinventer son cycle opérationnel. Il s'agit d'organiser un nouveau mode de fonctionnement qui permette d'éviter l'asphyxie car le taux de rotation de nos effectifs est aujourd'hui trop élevé. Entre janvier et juin, 14 000 soldats auront effectué deux rotations Sentinelle de plus d'un mois et demi. À cette cadence, nos unités alterneront bientôt les opérations extérieures et les opérations intérieures avec trop peu de temps entre les deux pour pouvoir se régénérer, c'est-à-dire s'instruire, s'entraîner et se remettre en condition.

S'agissant des effectifs, le ministre de la Défense a déclaré que la trajectoire inscrite dans la loi de programmation militaire serait revue. Il s'agit de prendre en compte le dépassement des seuils des contrats opérationnels, en particulier ceux liés au prolongement de l'opération Sentinelle. À ce stade, l'armée de terre estime qu'il lui faut une force opérationnelle terrestre (FOT) à 77 000 pour tenir ses contrats dans la durée, en incluant l'opération Sentinelle, sans obérer ni la préparation opérationnelle et ni les remises en condition au retour d'engagement. Il s'agit d'hypothèses de travail que nous approfondissons avec l'état-major des armées. La déclinaison de ces hypothèses en termes d'organisation, de recrutement et d'équipements est en cours. Cette nouvelle trajectoire d'effectifs ne remet au passage pas en cause l'optimisation et la modernisation que l'armée de terre conduit dans le cadre du projet des armées CAP 2020. Comme le modèle futur de l'armée de terre le prévoit, elle s'y intègre.

Les réserves apportent une contribution opérationnelle de premier plan dont l'intérêt est parfaitement reconnu par l'armée de terre. Il faut néanmoins reconnaître qu'à ce stade des outils pertinents pour stimuler la montée en puissance de la réserve font encore défaut. L'armée de terre explore deux directions pour optimiser le dispositif. Elle se fixe d'abord pour objectif de passer de 15 000 réservistes à 22 000 en rénovant leur gestion dans le sens d'un assouplissement pour faciliter leur emploi. L'idée consiste à pouvoir engager en permanence 1 000 réservistes sur le territoire national, dans la durée. Il s'agit ensuite de revaloriser une deuxième réserve à partir des militaires qui ont quitté le service actif, pour des renforts ponctuels. Ce réservoir rappelable permettrait d'activer des renforts ponctuels en cas de crise majeure à partir d'anciens militaires. Cette réserve est à réinventer sur la base d'un concept existant – la réserve opérationnelle de deuxième niveau – mais qui ne dispose ni du cadre législatif, ni de l'organisation, ni des équipements qui permettent d'en imaginer l'emploi dans la durée et avec court préavis.

Enfin, je terminerai en abordant le renforcement de la cohésion nationale qui constitue un objectif au plus haut sommet de l'État. L'armée de terre y apportera sa contribution à travers un nouveau dispositif appelé « service militaire volontaire » (SMV). Il se propose de reproduire, suivant des modalités très similaires, le service militaire adapté qui est mis en oeuvre sous la tutelle du ministère des Outre-mer par du personnel de l'armée de terre. Cet outil de formation professionnelle et d'éducation aux valeurs donne pleinement satisfaction. Moyennant son adaptation à la métropole, qui constitue l'objet de l'expérimentation qui commencera à l'automne 2015, le SMV se veut un outil d'insertion sociale et professionnelle, favorisant l'emploi des jeunes par une éducation citoyenne, une formation à un métier et une première expérience dans le cadre d'un emploi militaire.

En janvier dernier, notre pays a été frappé de stupeur mais il a montré aux yeux de tous l'image de l'unité dans l'adversité et de la fermeté face au danger, Sentinelle apportant une preuve de la résilience de notre Nation. L'actualisation de la loi de programmation militaire constitue un signal supplémentaire de la volonté de la France de ne pas céder aux menaces et de protéger ses citoyens. Nous considérons qu'il s'agit d'un rendez-vous majeur dans lequel le modèle de l'armée de terre s'intégrera parfaitement.

Pour vous en convaincre, je vous invite à réserver la date du 28 mai pour rejoindre l'armée de terre sur le plateau de Saclay à l'école Polytechnique. Nous serons très honorés de vous accueillir pour vous présenter ainsi qu'à tous nos invités le futur visage l'armée de terre.

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