Intervention de Patricia Ferrand

Réunion du 15 avril 2015 à 16h15
Commission des affaires sociales

Patricia Ferrand, présidente de l'UNEDIC :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci beaucoup pour votre invitation qui nous donne l'occasion d'échanger sur l'assurance chômage, six mois après l'entrée en vigueur de la dernière convention négociée par les partenaires sociaux.

Dans un contexte économique et social durablement dégradé, il est toujours important de rappeler le rôle essentiel d'amortisseur de l'assurance chômage qui préserve partiellement les revenus des personnes perdant leur emploi.

En propos liminaires, permettez-moi d'insister sur deux points qui me semblent essentiels.

Sur le plan conjoncturel, l'assurance chômage a subi sept années de crise économique qui ont eu pour conséquence une très forte hausse du chômage. La durée de la crise est telle qu'il devient difficile de parler de conjoncture. Dans ce contexte, il est logique que le déficit de l'assurance chômage augmente. La situation financière de l'assurance chômage s'explique davantage par des raisons conjoncturelles que structurelles.

Sur le plan structurel, le marché du travail français est dual, très segmenté entre ceux qui ont emploi durable et ceux qui peinent à atteindre cette stabilité. Dans cette situation, l'assurance chômage accorde des droits longs aux premiers pour favoriser leur reconversion tandis qu'elle sécurise les seconds par l'allongement de la durée de leur indemnisation.

Pour rappel, voici quelques données clés de 2013 sur l'assurance chômage : 16,4 millions de salariés couverts ; 1,5 million d'employeurs ayant cotisé ; 2,6 millions de demandeurs d'emploi indemnisés ; 33 milliards d'euros de contributions collectées ; 34,5 milliards d'euros d'allocations, d'aides et de cotisations retraites complémentaires des demandeurs d'emploi indemnisés versées ; 3,1 milliards d'euros alloués au budget de Pôle emploi, soit les deux tiers du budget de ce dernier.

Rappelons aussi les nouvelles règles d'indemnisation du chômage, issues de la négociation de 2014. Les signataires de la convention visaient divers objectifs : une sécurisation renforcée, en prolongeant l'indemnisation des plus précaires – plus d'un million de personnes peuvent voir leurs droits prolongés dès lors qu'elles retravaillent pendant l'indemnisation ; une reprise d'emploi encouragée car la personne gagne toujours plus en travaillant qu'avec sa seule allocation ; une pérennisation du régime d'assurance chômage qui, dans le contexte financier, exige aussi de faire des économies en répartissant les efforts entre tous.

Dans cette convention, de grands principes ne changent pas, ce qui est important pour que les règles soient lisibles et compréhensibles pour les demandeurs d'emploi : l'allocation est toujours proportionnelle au salaire ; la durée d'allocation se calcule toujours à partir du principe qu'un jour travaillé donne droit à un jour indemnisé ; la durée maximale du versement de cette allocation est de deux ans, voire de trois ans pour les personnes âgées de plus de cinquante ans.

Deux mécanismes ont été mis en place pour encourager la reprise d'activité et protéger dans la durée les demandeurs d'emploi qui alternent des périodes de travail et de chômage.

D'une part, la création de droits rechargeables permet, sans exception, d'ouvrir de nouveaux droits à l'assurance chômage pour tout demandeur d'emploi en cours d'indemnisation qui retrouve un emploi, même de courte durée. Pour mémoire, ce principe de droits rechargeables avait été créé dans l'accord national interprofessionnel (ANI) puis repris dans la loi relative à la sécurisation de l'emploi de juin 2013.

D'autre part, le cumul entre l'allocation chômage et le salaire est élargi : il est désormais possible, quel que soit le nombre d'heures de travail dans le mois, afin de rendre systématiquement plus intéressant financièrement le cumul plutôt que le simple bénéfice de l'allocation.

Afin de pérenniser le régime d'assurance chômage, des mesures d'économies ont été décidées : le différé d'indemnisation, pour contrer toute optimisation de l'assurance chômage à l'approche de la retraite ; des mesures prenant en compte le recul de l'âge de départ en retraite ; la baisse du taux d'indemnisation, celui-ci passant de 57,4 % à 57 % du salaire ; la modification des règles spécifiques aux intermittents du spectacle.

Dans ces propos liminaires, je voudrais aussi rappeler que l'une des missions de l'UNEDIC est de suivre la mise en oeuvre de l'accord négocié par les partenaires sociaux et de l'évaluer dans la perspective de la prochaine négociation. Le bureau de l'UNEDIC réalise un suivi mensuel de la convention d'assurance chômage, ce qui lui permet de réagir très vite. Il a ainsi pu identifier et documenter, pour le compte des partenaires sociaux, les situations de demandeurs d'emploi pour lesquels l'application des droits rechargeables conduisait à verser pendant longtemps une indemnisation beaucoup plus faible que celle liée au dernier emploi occupé.

Ces travaux du bureau ont été remis aux négociateurs. Ces derniers ont alors signé un avenant à la convention d'assurance chômage qui élargit le droit d'option à 120 000 allocataires – sous conditions – pour leur permettre de percevoir une allocation calculée sur leurs dernières périodes d'emploi. Cette expérience illustre bien le rôle de l'UNEDIC dans le suivi d'application d'une convention : elle repère et alerte sur des difficultés d'application puis aide à la construction d'une solution.

Globalement, nous pouvons nous réjouir d'une coopération renforcée avec Pôle emploi pour la mise en oeuvre des nouvelles mesures de la convention d'assurance chômage. Nous n'avons déploré aucun dysfonctionnement opérationnel alors que d'aucuns craignaient des problèmes informatiques majeurs.

Venons-en à la situation financière de l'assurance chômage. Les nouvelles règles d'indemnisation ont été négociées dans un cadre financier contraint. En 2014, année où la croissance n'était que de 0,4 %, le déficit s'est élevé à 3,9 milliards d'euros et la dette cumulée à 21,5 milliards d'euros. Pour 2015, les prévisions de croissance s'améliorent : en janvier, le consensus des économistes, qui nous sert de référence, s'établissait à 0,9 %. Sur cette base, le déficit prévisionnel de l'assurance chômage se situe à 4,4 milliards d'euros et sa dette cumulée à 25,9 milliards d'euros.

Sans la nouvelle convention d'assurance chômage, le déficit aurait été aggravé de 850 millions d'euros. Des efforts d'économies ont bel et bien été réalisés, tout en sécurisant un plus grand nombre de demandeurs d'emploi. La stratégie financière de l'UNEDIC, associée à la garantie de l'État votée par le Parlement, permet un financement des allocations à des coûts très réduits. Comme d'autres emprunteurs, et notamment l'État, nous bénéficions de taux d'intérêt extrêmement faibles.

Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que les nouvelles règles négociées prennent en compte la situation actuelle du marché du travail. Disons-le directement et fermement, le marché du travail français est aussi flexible que celui d'autres pays européens. C'est un marché certes peu mobile mais flexible.

Il se distingue cependant par deux éléments : les contrats à durée déterminée (CDD) sont de plus en plus courts ; il est de plus en plus difficile d'en sortir. Depuis le début des années 2000, nous assistons à une explosion du nombre des contrats de très courte durée, c'est-à-dire qui portent sur quelques heures par jour ou sur quelques jours par mois. La difficulté de sortir des CDD, que l'on appelle la récurrence entre emploi et chômage, est aussi un problème structurel du marché du travail français.

Ces caractéristiques conduisent à une segmentation croissante. Certains passent facilement d'un contrat à durée indéterminée (CDI) à l'autre ; ils ont un parcours professionnel relativement fluide, sans périodes de chômage. D'autres perdent un emploi en CDI et disposent d'une longue durée d'indemnisation. Les derniers perdent des emplois en CDD ou en intérim, ne sont indemnisés que pendant une courte durée, et se retrouvent dans une sorte de lessiveuse. Ceux-là ont beaucoup de mal à sortir de la récurrence entre emploi et chômage, et ils n'accèdent pas facilement à un CDI.

L'assurance chômage est le reflet de cette situation. Seulement 10 % des allocataires de l'assurance chômage ont été licenciés pour des raisons économiques, alors que 50 % des allocataires sont indemnisés suite à une fin de CDD ou de mission d'intérim. Pourtant, on parle davantage des premiers que des seconds. Il faut aussi se rendre compte que plus de la moitié des allocataires travaillent : ils ont une activité de quelques heures ou des quelques jours par mois et ils cumulent une partie de leur allocation avec leur salaire. Conscients de ces problématiques spécifiques du marché du travail français, les négociateurs ont cherché les moyens d'y remédier.

Pour terminer, vous me permettrez de souligner les vertus du système paritaire de l'assurance chômage. La négociation permet un ajustement régulier des règles aux conditions dans lesquelles les employeurs et les salariés exercent. Cet ajustement est issu d'un dialogue constructif entre partenaires sociaux soucieux d'aboutir à un résultat acceptable de part et d'autre. L'assurance chômage est synonyme de paritarisme responsable, actif et réactif.

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