Intervention de Jean-Noël Jeanneney

Réunion du 17 avril 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Jean-Noël Jeanneney :

Compte tenu de leur richesse, je ne saurais reprendre toutes les interventions les unes après les autres : je choisirai les thèmes qui, à mes yeux, en ont émergé.

La question du lien entre temporalité et qualité de la loi me paraît essentielle, ceux qui trouvent que la construction de la loi est trop longue s'opposant à ceux qui la trouvent trop rapide. Cette préoccupation agitait déjà la vie politique sous la IIIe République. Léon Blum, lors de l'émergence de la menace anarchiste dans les années 1890, avait observé dans un article qu'il avait fallu un an pour adopter la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse, une loi de très grande qualité qui a été le fruit de navettes précieuses entre les deux chambres, et seulement une journée pour la modifier, en raison de l'inquiétude créée par les attentats anarchistes. Ce contraste lui paraissait regrettable. Légiférer demande du temps, un temps qui doit être organisé sans être excessif.

J'ai toujours eu le sentiment que, par la nature même de son élection, le Sénat se donne à lui-même une plus grande latitude de réflexion. Mon expérience de secrétaire d'État m'a conduit à observer que les travaux devant les commissions du Sénat sont plus denses et marqués par une présence plus constante des parlementaires, peut-être parce qu'ils sont moins proches de leur circonscription, que ceux de l'Assemblée nationale – je pense notamment au texte sur le dépôt légal de l'audiovisuel. La navette m'a paru favoriser la qualité du texte. En revanche, il a fallu sept ou huit ans pour adopter l'impôt sur le revenu en 1914 : c'est trop long. Sans être taxé de centriste, je crois pouvoir affirmer qu'il convient de trouver un équilibre.

Vous avez souligné, monsieur le président, le trop long délai – de vingt à vingt-deux mois – entre l'annonce d'un texte et son application. Je tiens à évoquer la question des décrets. Combien de lois ne sont pas suivies de décrets et demeurent de ce fait dans la sidération des grandes idées abstraites ? La Chambre haute pourrait recevoir la responsabilité de surveiller la sortie des décrets. Peut-être conviendrait-il de prévoir qu'une loi deviendrait « caduque », selon le mot de Yasser Arafat, si les décrets n'étaient pas pris. Il faut instaurer une contrainte considérable à cet égard.

S'agissant de la nature de l'élection, le tirage au sort est une idée peut-être piquante, mais qui doit être exclue. Mme Berger a évoqué la Grèce antique : celle-ci ne fonctionnait que grâce aux esclaves qui assuraient la vie quotidienne. Elle a vu, de plus, émerger des démagogues. D'ailleurs, le témoignage de Mme Duflot ne va pas dans le sens du tirage au sort.

1 commentaire :

Le 27/12/2016 à 09:42, Laïc1 a dit :

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"Elle a vu, de plus, émerger des démagogues."

Parce qu'il n'y a pas de démagogues dans notre système politique archi-corrompu ? Tous ces politiques qui essaient de flatter l'opinion publique dans le sens du poil pour être élus, avec de belles promesses racoleuses qui d'ailleurs sont rarement tenues une fois élu, où est l'absence de démagogie ? D'ailleurs, la démagogie se déduit de l'absence de référendum : puisque le peuple ne peut pas s'exprimer, et qu'il faut néanmoins obtenir ses voix, la flatterie est un exercice obligé pour le prétendant à l'élection, et on peut dire que le tirage au sort est au contraire un excellent moyen pour en finir avec la démagogie. Il peut y avoir encore de la démagogie suite au tirage au sort, mais elle n'atteindra jamais le niveau exceptionnel et hors norme que nous connaissons sous notre système électoral.

Par ailleurs, pour en revenir à l'exemple grec, il faut savoir que le tirage au sort ne concernait que les membres de la boulè, c'est-à-dire la chambre chargée de la rédaction des lois (suite à propositions citoyennes). Ces lois étaient ensuite transmises à l'ecclesia, où la totalité des citoyens discutaient ensuite de ces lois, avec adoption ou rejet suite à un vote à main levée. Imagine-t-on de reproduire un tel système dans nos pays très peuplés, où tout le monde est citoyen ? C'est évidemment impossible. C'est pourquoi la pratique du référendum reste le seul moyen démocratique réellement envisageable, surtout à l'heure d'internet, où le référendum en ligne simplifiera la mise en œuvre de ce procédé démocratique.

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