Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Réunion du 5 mai 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis :

L'examen de cette proposition de loi, issue d'une initiative sénatoriale, intervient dans un contexte marqué par de nombreux drames ayant mis en danger la vie d'enfants.

Si ces tragédies soulignent l'urgence et la nécessité des réformes proposées, elles ne doivent pas occulter le fait que ce texte est issu d'un travail de fond mené depuis plusieurs années. Il constitue en effet la traduction législative du rapport de la mission d'information de la commission des Affaires sociales du Sénat sur la protection de l'enfance, présenté en juin 2014 par Mme Michelle Meunier et Mme Muguette Dini – un rapport dont je tiens à souligner la qualité. Il tient également compte des réflexions du rapport du groupe de travail sur la protection de l'enfance et l'adoption présidé par la professeure Adeline Gouttenoire, remis en février 2014, ainsi que du rapport sur le délaissement parental rendu en 2009 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et des travaux du Conseil supérieur de l'adoption.

La protection de l'enfance est une politique publique essentielle, qui concerne près de 300 000 jeunes par an, pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE), et à laquelle les départements consacrent chaque année environ 7 milliards d'euros, soit plus de 20 % de leurs dépenses d'action sociale.

La dernière grande réforme de cette politique a été introduite par la loi du 5 mars 2007. L'objet de la proposition de loi n'est pas de « remettre à plat » la réforme de 2007, mais de tirer les conséquences des imperfections ou des dysfonctionnements qui ont pu être constatés dans son application, grâce aux nombreux travaux d'évaluation que j'ai cités et aux observations des praticiens de la protection de l'enfance.

Son ambition est d'améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance, de contribuer à la sécurisation du parcours de l'enfant protégé et d'adapter le statut de l'enfant placé sur le long terme, afin d'éviter que des enfants ne soient laissés sans projet de vie, si bien accueillis soient-ils. Elle a pour but de donner tout son sens à l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1990, que la France a été l'un des premiers pays à signer, et qui pose le principe fondamental selon lequel toute décision concernant l'enfant doit être guidée par l'intérêt de ce dernier, ses besoins et le respect de ses droits.

Parmi les vingt-trois articles de la proposition de loi, dix relèvent de la compétence de la commission des Lois, qui s'en est donc saisie, car ils modifient le code civil et, pour l'un d'eux, le code pénal. Il s'agit des articles 11, 12, 14, 15, 17, 18, 20, 21, 21 bis et 22. Six de ces dix articles ont été supprimés par le Sénat à l'initiative de sa commission des Lois, et un, l'article 21 bis, résulte à l'inverse d'un amendement adopté par le Sénat en séance publique. Par ailleurs, le Sénat a substantiellement réécrit plusieurs des articles qu'il a maintenus.

Dans certains cas, ces suppressions et modifications sont bienvenues et ont amélioré le texte. Dans d'autres, elles ont diminué considérablement le niveau d'ambition de la proposition de loi, car les dispositions visées étaient essentielles à une meilleure protection de l'enfant.

Je vous proposerai naturellement de maintenir les suppressions qui me paraissent justifiées. Tel est le cas pour trois articles. Premièrement, l'article 14, qui visait à permettre une nouvelle adoption plénière d'enfants précédemment adoptés, admis en qualité de pupille de l'État. Cet article aurait en effet conduit à remettre en cause le principe d'irrévocabilité de l'adoption plénière, qui est l'un des critères essentiels de distinction de cette dernière d'avec l'adoption simple.

Deuxièmement, l'article 20, qui prévoyait de rendre automatique le retrait d'autorité parentale pour les parents auteurs ou complices d'un crime ou d'un délit sur la personne de leur enfant ou de l'autre parent. Cette automaticité soulèverait en effet des difficultés d'ordre constitutionnel et de compatibilité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Troisièmement, l'article 21, qui prévoyait l'extension de l'indignité successorale aux parents auteurs et complices d'un crime ou d'un délit commis sur la personne de leur enfant, qui instituait lui aussi une sanction automatique et encourait les mêmes critiques.

À l'inverse, il me semble indispensable de revenir sur certaines des suppressions opérées par le Sénat, afin de restaurer l'ambition initiale du texte, en améliorant simplement parfois sa rédaction initiale.

Je vous proposerai donc de rétablir trois articles, à commencer par l'article 12, relatif à la réforme des règles applicables à la révocation de l'adoption simple durant la minorité de l'adopté, qui prévoit que cette révocation ne pourra être demandée que par le ministère public, et non plus par la famille d'origine et, si le mineur a plus de quinze ans, par l'adoptant. De nombreux rapports ont préconisé cette réforme, qui permettrait d'encourager le recours à l'adoption simple dans le cadre de la protection de l'enfance.

J'ai également déposé un amendement visant au rétablissement de l'article 17, relatif à la désignation d'un administrateur ad hoc indépendant du service d'aide sociale à l'enfance dans les instances d'assistance éducative ; il me paraît en effet important d'assurer cette indépendance à l'égard de l'ASE.

Enfin, je serai également favorable au rétablissement de l'article 22 relatif à l'inceste, sur lequel je n'ai pas déposé d'amendement, car nos collègues Sébastien Denaja et Bernard Roman, qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet, en ont déposé un qui me convient parfaitement. Il est indispensable de réinscrire l'inceste dans le code pénal, afin de reconnaître sa spécificité et le traumatisme qu'il représente pour les victimes.

Je vous proposerai également de revenir sur l'une des modifications apportées par le Sénat à l'article 18, qui réforme la procédure de déclaration judiciaire d'abandon. Le texte initial prévoyait d'« objectiver » la notion d'abandon – qu'il rebaptisait « délaissement manifeste » –, c'est-à-dire de ne plus tenir compte du caractère volontaire ou non de l'abandon par les parents. La recherche de l'intention des parents rend en effet très difficile cette procédure et constitue un obstacle important, qui décourage les intervenants de la protection de l'enfance d'y avoir recours. Le Sénat a réintroduit ce caractère volontaire, ce qui ne me paraît pas devoir être approuvé.

Je vous présenterai aussi un amendement complétant l'article 15, qui prévoit une audition systématique de l'enfant doué de discernement dans le cadre d'une procédure d'adoption, afin d'y apporter des précisions indispensables sur la conduite à tenir en cas de refus de l'enfant d'être entendu ou sur les modalités de cette audition, par exemple.

Enfin, je me réjouis de l'ajout de l'article 21 bis, issu d'un amendement du sénateur UMP Alain Milon, qui réduit à deux ans le délai à compter duquel l'enfant recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française peut acquérir la nationalité française par déclaration, ce qui permettra d'adopter plus facilement les enfants originaires de pays ne connaissant pas l'adoption.

Ainsi modifiée, cette proposition de loi renforcera significativement la protection de l'enfant et devrait faire, je l'espère, l'objet d'un large consensus.

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