Intervention de François Rebsamen

Réunion du 6 mai 2015 à 16h00
Commission des affaires sociales

François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs, je vous remercie de nous avoir invités, ma collègue Marisol Touraine et moi-même, à vous présenter le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi.

Je laisserai à Mme Touraine la parole sur le volet important du projet de loi qui concerne la prime d'activité.

Je commencerai par l'histoire de ce texte.

Le dialogue social est la marque du quinquennat de François Hollande. Depuis 2012, cette méthode a fait ses preuves : les trois grandes conférences sociales et les cinq accords nationaux interprofessionnels sont l'expression de cette réussite. En juillet dernier, j'ai proposé aux partenaires sociaux de se saisir de la question de l'efficacité du dialogue social dans l'entreprise : nous l'avons évoquée lorsque je suis venu devant votre commission le 9 juillet dernier.

Si ces négociations n'ont pas abouti, cela ne marque ni l'échec du dialogue social dans son ensemble, ni la fin des réformes menées par le Gouvernement sur ces sujets. Légitimement, le Gouvernement a repris la main.

Pour avancer sur ces sujets cruciaux pour tous les salariés et toutes les entreprises du pays, il a fallu viser un point d'équilibre. C'est à cette fin que j'ai consulté les représentants syndicaux et patronaux tout au long du processus d'élaboration du projet de loi. Je crois pouvoir affirmer devant vous que le point d'équilibre est atteint. Le texte que je vous présente est le fruit de plus de neuf mois de dialogue avec les partenaires sociaux.

Il était important que le Gouvernement prenne ses responsabilités en préparant un projet de loi sur le sujet, car les salariés et les entreprises de notre pays ont tout à gagner, chacun en conviendra, à un dialogue social de meilleure qualité.

Le dialogue social existe. Chaque année, près de 36 000 accords sont conclus dans les entreprises. Toutefois, des sondages récents font apparaître qu'un tiers seulement des salariés auraient une bonne image des syndicats, ce qui donne une idée de la crise de légitimité auxquels ils sont confrontés. Cette crise n'épargne d'ailleurs pas les autres formes de représentation, à commencer par les élus. Ma conviction est qu'il est plus que jamais nécessaire de redonner de la force aux représentants du personnel. Je crois également que ce défi pourra être relevé en partant du niveau de vie le plus proche des salariés, c'est-à-dire de l'entreprise.

Créer les conditions d'un dialogue social plus vivant, plus efficace et plus proche des réalités des entreprises et des préoccupations des salariés, c'est répondre à la fois à une double exigence démocratique et d'efficacité économique.

Une exigence démocratique, tout d'abord : le principe de la participation des salariés est inscrit dans la Constitution. Il est juste en effet que les salariés soient associés, par l'intermédiaire de leurs représentants, aux décisions qui concernent leurs conditions de travail, leur pouvoir d'achat, leur formation et leurs emplois. Ils ont le droit, et ce droit doit être effectif et réel, de participer aux choix stratégiques qui déterminent non seulement leur vie dans l'entreprise, mais bien souvent aussi leur avenir.

Un dialogue social plus performant permet également de répondre à une exigence d'efficacité, sociale tout d'abord : des relations plus confiantes dans les entreprises sont le gage d'une meilleure qualité de vie au travail. Un dialogue social constructif, c'est également l'assurance que les fruits de la croissance, lorsqu'elle est là, profiteront à tous et qu'en cas de difficultés pour l'entreprise, des solutions justes seront trouvées. C'est ce qu'attendent nos concitoyens.

Un dialogue social plus performant est de surcroît un facteur décisif d'efficacité économique. On parle beaucoup de coût du travail et du capital : or ces points ne sont pas les seuls à entrer dans la compétitivité d'une entreprise. Sa capacité à innover, à améliorer la qualité de ses produits et à satisfaire les attentes de ses clients – tout ce qu'on appelle la compétitivité hors coût – est tout aussi importante. En la matière, l'exemple de nos voisins allemands, suédois ou autrichiens, doit nous inspirer. La capacité qu'ont eue certains leaders de la DGB – Deutscher Gewerkschaftsbund – allemande à prendre toute leur part dans les décisions stratégiques qui se sont révélées très positives dans les grands groupes, par exemple automobiles, montre que c'est un non-sens d'opposer dialogue social et performance économique. Chacun le sait ici : les deux sont complémentaires.

Pour être performante, l'entreprise doit être un lieu de coopération et d'engagement collectif. Il lui faut investir dans les compétences en en préparant une gestion prévisionnelle et s'inscrire dans le long terme. Les salariés doivent également pouvoir être entendus et participer aux débats qui permettent de définir les orientations stratégiques, avec, à la clef, un climat social apaisé et une motivation plus forte et plus importante des salariés.

Telle est ma conviction : un dialogue social plus efficace est vital à la fois pour les salariés, pour les entreprises et pour le pays.

Comment se satisfaire du nombre élevé d'entreprises et de salariés exclus, de droit ou de fait, du dialogue social ? Comment se satisfaire des discriminations qui touchent ceux qui s'engagent au service des autres salariés, qu'ils soient délégués du personnel ou délégués syndicaux ? Comment se satisfaire, enfin, de discussions où la forme, bien souvent, prend le pas sur le fond, sans que la voix des uns et des autres puisse porter comme il se doit ?

Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui est un texte de progrès social, qui changera le quotidien des millions de salariés et des milliers d'entreprises que compte notre pays. Il vise quatre objectifs.

Premier objectif : assurer la représentation de tous les salariés. Pour l'heure, seuls les salariés des très petites entreprises de quelques secteurs – l'artisanat ou l'agriculture, par exemple – ont accès à la représentation. Mon ambition est de permettre à chacun des 4,6 millions de salariés des TPE de notre pays d'être représenté sous une forme qui corresponde aux spécificités des entreprises de très petite taille. C'est pourquoi le projet de loi prévoit la création de commissions paritaires régionales, composées d'employés et d'employeurs issus des TPE. Ces commissions seront des lieux de dialogue et de conseil pour les salariés comme pour les employeurs. Ce sera une première en Europe ; la démocratie sociale s'en trouvera renforcée à la fois dans les TPE et dans notre pays.

Deuxième objectif : rendre le dialogue social plus vivant et plus efficace.

Je le soulignais en préambule : certaines obligations de consulter et de négocier sont aujourd'hui trop formelles, au détriment de débats stratégiques dans lesquels les salariés peuvent réellement faire entendre leur voix et peser sur les décisions qui sont prises. Ce constat est très largement partagé par les partenaires sociaux.

C'est ainsi que la mesure proposée dans le projet de loi s'inscrit dans la continuité d'un travail engagé de longue date par les partenaires sociaux. Elle prolongera en leur donnant toute leur portée les dispositions de la loi sur la sécurisation de l'emploi, qui elles-mêmes reprenaient l'Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Je pense notamment à la mise en place de la consultation sur les orientations stratégiques et à la création d'une base unique de données économiques et sociales, qui est actuellement déployée dans les entreprises. Ces mesures visaient déjà à mettre les représentants du personnel au coeur de la prise de décision.

C'est un nouveau cap très important que le texte permettra de franchir en prévoyant de passer de dix-sept obligations d'information et de consultation à trois consultations annuelles : la première portera sur les orientations stratégiques et leurs conséquences, la deuxième sur la situation économique et financière, la troisième sur la situation sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.

Les douze obligations de négociations seront quant à elles regroupées en trois blocs cohérents : le premier portera sur la rémunération, le temps de travail et la répartition de la valeur ajoutée, le deuxième sur la qualité de vie au travail, et le troisième sur la gestion des emplois et des compétences. Le dialogue social aura ainsi beaucoup plus de sens pour tous. C'est un aspect très important, qui redonnera, nous l'espérons, un élan aux vocations syndicales ou de représentants du personnel. Elles en avaient bien besoin…

Troisième objectif : adapter les institutions représentatives du personnel à la taille des entreprises.

J'ai souhaité partir d'un principe clair : toutes les institutions ont leur pertinence. C'est pourquoi elles sont toutes maintenues, avec les missions et les compétences qui leur sont associées. Ce que prévoit le projet de loi, c'est un fonctionnement plus simple et mieux adapté à la spécificité des entreprises, notamment celles de petite taille. Il suffit de tourner le regard vers nos voisins européens pour trouver chez eux un droit plus simple ou des possibilités d'adaptation en fonction de la taille ou de la nature des entreprises. Une inspiration est sans doute à puiser dans ces formes d'adaptation.

La possibilité de mettre en oeuvre une délégation unique du personnel (DUP) sera étendue aux entreprises jusqu'à 300 salariés. Cette DUP comprendra également le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Pour les entreprises de plus de 300 salariés, il sera possible de regrouper tout ou partie des institutions représentatives du personnel (IRP) afin de créer un cadre de discussion plus souple. L'accord majoritaire, c'est-à-dire celui qui sera conclu par des syndicats qui ont obtenu 50 % des voix aux élections professionnelles, permettra aux acteurs du dialogue social de définir eux-mêmes non seulement le périmètre des instances et ses règles de fonctionnement, mais aussi les moyens des représentants, qui pourront être renforcés. Ce sera une reconnaissance du rôle central des syndicats, qui sont les mieux à même de redéfinir une partie des règles du jeu. Qui pourrait penser qu'ils concluraient des accords qui iraient contre le dialogue social ? Ce ne serait pas leur faire confiance !

Il n'est pas question, comme d'aucuns ont pu le craindre, d'affaiblir ou de faire disparaître le CHSCT. Au contraire, le projet de loi prévoit de le valoriser et de le renforcer. Au sein de la DUP, il conservera toutes ses prérogatives, notamment celles d'ester en justice et de recourir à des expertises. Dans le cadre des institutions regroupées par accord majoritaire dans les entreprises de plus de 300 salariés, une commission spécifique portant sur les sujets d'hygiène, de santé et de conditions de travail sera instituée. Le projet de loi prévoit enfin que tout salarié d'un établissement appartenant à une entreprise de plus de cinquante salariés sera couvert par un CHSCT, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est une avancée importante car, depuis les lois Auroux, le CHSCT est au coeur des questions de sécurité, de santé au travail et de qualité de vie dans les entreprises.

Quatrième et dernier objectif : reconnaître, valoriser et favoriser l'engagement des salariés dans l'entreprise.

Les inégalités salariales dont sont victimes certains représentants du personnel, notamment syndicaux, ne sont pas acceptables. Elles sont cependant une réalité : elles nuisent à l'engagement, notamment des plus jeunes. Le projet de loi prévoit donc un mécanisme de non-discrimination salariale, qui concernera tous les représentants du personnel dont les heures de délégation occupent 30 % ou plus du temps de travail. Il prévoit également de développer les conditions d'une meilleure articulation entre engagement syndical et vie professionnelle. Un entretien de prise de fonctions, au début du mandat, et un entretien de repositionnement professionnel, à 1'issue de mandat, seront institués.

Le projet de loi prévoit en outre un dispositif de valorisation des compétences acquises au travers de l'exercice d'un mandat, qui permettra à tous ceux qui s'engagent de voir leur expérience au service des autres salariés valorisée.

Il faut par ailleurs continuer d'agir en faveur de l'égalité femmes-hommes. C'est pour répondre à cette ambition que l'obligation de représentation équilibrée entre femmes et hommes sur les listes des élections professionnelles est inscrite dans le projet de loi. C'est une novation majeure du projet de loi. Dans la lignée de ce qui a été accompli dans le domaine politique, la représentation équilibrée doit progresser dans le domaine social. Elle passe également par la composition des instances représentatives du personnel. Le Gouvernement a une volonté très forte d'agir en ce sens.

Voilà pour la partie du texte qui porte sur le dialogue social. Il faut le mesurer, ce sera une réforme profonde qui transformera durablement les relations de travail dans les entreprises, au bénéfice des salariés, de l'efficacité des entreprises et de la croissance dont notre pays a tant besoin.

Le projet de loi comporte deux autres volets dans le champ du travail et de l'emploi, qui marquent eux aussi des avancées sociales.

Le premier concerne l'intermittence du spectacle.

La loi sanctuarisera et pérennisera le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Elle définira également une méthode, qui mettra les partenaires sociaux au centre de la prise de décision. L'enjeu est de mieux articuler les niveaux interprofessionnel et professionnel pour une approche renouvelée et, espérons-le, plus efficace des négociations.

Je tiens à saluer une nouvelle fois la qualité des travaux de Mme Archambault et de MM. Combrexelle et Gille. Ce dernier, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour cette partie du texte, s'assurera jusqu'au bout du processus législatif que leurs propositions seront bien traduites dans la loi.

Le second volet concerne le compte personnel d'activité et, plus largement, la sécurisation des parcours professionnels. La création du compte personnel d'activité est une réforme majeure qui marquera notre histoire sociale. Comme l'a dit le Président de la République, ce compte, qui sera un droit pour tous à l'horizon 2017, sera le capital de ceux qui travaillent. Il rassemblera les droits individuels des salariés, à commencer par les droits à la formation : compte personnel à la formation, compte épargne-temps, compte pénibilité. L'ambition du Gouvernement est de réunir ces droits en un seul « lieu » et de les décloisonner pour permettre à chacun d'être acteur de son parcours professionnel. Ce compte préfigure l'avenir de nos droits sociaux. Chaque salarié pourra construire son parcours selon ses aspirations, sans crainte de la mobilité et surtout sans avoir à pâtir de ses choix. C'est un sujet sur lequel nous devrons travailler ensemble, sur la base des propositions des partenaires sociaux, qui seront consultés et se trouveront au coeur de l'élaboration des dispositions.

La loi contiendra également des mesures concrètes en faveur des publics les plus éloignés de l'emploi. Le rôle central de l'AFPA – Association pour la formation professionnelle des adultes – dans le service public de l'emploi sera reconnu comme tel et renforcé.

En conclusion, ce projet de loi défend une conception ambitieuse du progrès et de la démocratie sociale. Je sais pouvoir compter sur vous pour enrichir ses dispositions dans un esprit d'équilibre.

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