Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 6 mai 2015 à 16h00
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Une grande part des questions ont porté sur les titres I à III. Pour ce qui est du titre IV, qui traite de la prime d'activité, le rapporteur Christophe Sirugue m'a demandé de préciser le mécanisme d'individualisation et de familialisation en montrant les différences avec le dispositif actuel.

L'objectif poursuivi est très clairement de ne pas faire de perdants parmi les familles modestes. La composition du foyer sera donc prise en compte selon une logique assez proche de celle du RSA activité : le montant forfaitaire retenu pour le calcul de la prestation sera majoré en fonction du nombre d'enfants et, le cas échéant, du statut de parent isolé. En revanche, les simplifications de la base ressources reposent sur un changement de logique par rapport à ce qui avait été retenu pour la mise en place du RSA activité, qui restait marqué par le caractère de minimum social du RSA dont il était une composante. C'est précisément ce paradoxe que nous avions dénoncé à l'époque : ceux qui nous accusent systématiquement de défendre l'assistanat et de confondre revenus d'activité et revenus de l'aide sociale sont les mêmes qui ont mis en place, avec le RSA activité, un dispositif qui confond totalement la logique de minimum social avec celle d'un complément d'activité ! Du coup, parce que c'était un minimum social, le RSA activité prenait en compte absolument toutes les ressources, comme cela est inscrit dans la loi. La base ressources incluait par exemple les aides en nature reçues d'un proche, cadeaux de Noël ou autres, monétaires ou financiers, les ressources que l'on ne touchait pas mais que l'on aurait dû toucher – des pensions alimentaires non versées, par exemple –, des revenus théoriques tirés d'un patrimoine quand bien même ils seraient purement latents – une résidence secondaire héritée, par exemple, dont on était supposé tirer un bénéfice alors qu'on n'en dégageait aucun.

En ce qui concerne la prime d'activité, la règle est simple, les ressources retenues pour son calcul sont strictement énumérées par la loi : il s'agit des revenus d'activité ou des revenus de remplacement des revenus professionnels : indemnités chômage, indemnités journalières – ce qui signifie, en réponse à M. Arnaud Richard, que la situation des personnes hospitalisées est prise en compte –, les prestations sociales, particulièrement les allocations familiales, et les revenus soumis à l'impôt sur le revenu. Sont donc exclus de cette base ressources les revenus non imposables au titre de l'IR, les aides en nature et les dons. Le débat aura lieu au sujet de l'extension précise de ces prestations.

Vous m'avez également interrogée, monsieur le rapporteur, sur l'éventuelle durée minimale d'activité, afin de ne pas intégrer les jeunes travaillant dans le cadre de jobs d'été d'un mois dans la liste des bénéficiaires de la prime. Il ne s'agit pas de dire que les jeunes qui travaillent un mois l'été ne travaillent pas, mais que la logique de la prime est d'accompagner le retour à l'emploi afin de favoriser l'insertion, et pas seulement d'apporter un complément à un emploi à un moment donné. On pourrait imaginer une durée minimale de trois mois correspondant à la durée du versement de la prime, puisque celle-ci prend en compte les revenus des trois mois précédents, et est réactualisée sous les trois mois.

Vous m'avez ensuite fait part de vos préoccupations relatives au financement à enveloppe constante. Les apprentis et les étudiants qui seront inscrits dans le périmètre par les amendements que présentera le Gouvernement représentent un peu moins de 200 000 personnes. En ce qui concerne les apprentis, ils figurent dans le cadre de financement initialement prévu. Pour les étudiants, il s'agira de déterminer si l'on module le barème sans le modifier – je rappelle que celui-ci résulte de projections et qu'il est donc purement indicatif. En gros, si l'on baisse de 10 euros les prestations envisagées, on doit pouvoir verser la prime aux étudiants. Le barème pourra faire l'objet de discussions dans l'hémicycle mais, dans la mesure où il s'agit de dispositions relevant du domaine réglementaire, nous souhaitons surtout organiser une concertation et agir de la façon la plus transparente qui soit.

Mme Mazetier m'a interrogée sur le cas des couples notamment et a bien signifié qu'elle ne concevait pas la prime comme un substitut au travail précaire. Je veux à nouveau insister sur ce point : ce n'est pas un élément du plan pauvreté. Certes, il y a des situations de précarité auxquelles il faut répondre et c'est précisément là l'enjeu de ce plan ; mais la prime d'activité n'a pas pour objet d'apporter un complément de revenu aux gens les plus pauvres, mais un complément de revenu et un soutien à l'insertion dans l'activité à des gens qui ne comptent pas nécessairement parmi les plus pauvres. Le public directement visé, je le répète, est celui dont les revenus se situent entre 0,5 et 1,2 SMIC.

Contrairement à ce qui existait auparavant, ce dispositif va encourager le travail des deux membres d'un couple. Concrètement, les deux membres d'un couple gagnant le SMIC bénéficient pour l'heure d'une prestation inférieure à ce qu'ils auront demain, puisque les deux actifs toucheront chacun une prime d'activité. Jusqu'à maintenant, un plus un ne faisait pas deux, mais à peu près un et demi. Dans le nouveau dispositif de prime d'activité, il n'y a aucune incitation à ce que le conjoint – en pratique, la femme – ne prenne pas une activité : au contraire, elle a tout à y gagner.

En ce qui concerne les prestations alimentaires, qui font partie des débats à venir, le Gouvernement a pris une mesure importante : le fonds de garantie des impayés des prestations alimentaires, par le biais de la Caisse d'allocations familiales qui se substitue au conjoint défaillant, assure le versement des impayés jusqu'à 100 euros par enfant en se retournant ensuite contre le mauvais payeur. Ce sujet a été bien identifié par le Gouvernement qui souhaite accompagner les femmes placées dans cette situation.

J'ignore si je peux apporter des éléments complémentaires à M. Cherpion, mais je vais essayer car je m'en voudrais qu'il prenne trop de Dafalgan : il ne faut pas abuser des médicaments… Combien de personnes sont-elles concernées ? Cela me permettra de répondre aussi à Mme Le Callennec. Comme pour tout dispositif social, une population cible a été déterminée, 5,6 millions de personnes en l'occurrence, dont on estime qu'elles peuvent prétendre au bénéfice de la prestation. Sachant qu'une prestation connaissant 100 % de taux de recours, cela n'existe pas, nous formons l'hypothèse, au regard de ce qui se pratique, que le taux de recours sera de l'ordre de 50 % – il nous appartiendra d'ailleurs de l'améliorer, et je répondrai à Mme Fanélie Carrey-Conte sur la manière dont nous espérons y parvenir.

Certains, qui n'ont droit ni à la PPE ni au RSA, bénéficieront de la prime d'activité ; d'autres, qui représentent quelque 800 000 personnes, ne bénéficieront plus des dispositifs existants – notamment de la PPE – et ne toucheront pas non plus la prime d'activité. Toutefois ces « perdants » perçoivent une part si faible de PPE – de l'ordre de 15 euros – qu'ils ignorent souvent en être bénéficiaires. D'autre part, sur ces 800 000 personnes, de 40 à 50 % sont des concubins, dont l'un des deux pouvait être éligible à la PPE même si les revenus du ménage sont élevés, alors qu'un couple marié disposant du même revenu ne l'était pas. Le Gouvernement, dans ces conditions, peut assumer qu'il y ait des « perdants ».

Des actions seront par ailleurs menées pour favoriser le taux de recours à la prestation, madame Carrey-Conte ; la simplicité du nouveau dispositif, notamment avec la déclaration de ressources trimestrielle et non plus mensuelle, y contribuera. La CNAF lancera également une campagne de communication, et, à terme, un accès dématérialisé sera mis en place, incluant une application pour les smartphones.

Pour ce qui concerne les étrangers, la prime d'activité est par nature réservée aux actifs qui travaillent en France. Il ne serait pas justifié de soutenir le système des travailleurs détachés, lesquels, au reste, ne bénéficient pas non plus de la PPE. Les travailleurs étrangers hors Union européenne qui ne justifient pas d'un séjour régulier en France de cinq ans au moins ne seront pas éligibles non plus, conformément aux conditions classiques en matière de prestations sociales, surtout si elles ont pour objet l'insertion dans le marché du travail. Une partie de ces personnes – je dis bien une partie seulement – peuvent, il est vrai, bénéficier de la PPE, même si les montants ne sont pas forcément très élevés.

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