Intervention de Françoise Dumas

Séance en hémicycle du 12 mai 2015 à 15h00
Protection de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas :

Permettez-moi tout d’abord de saluer le travail de nos collègues sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier, et de les remercier, tant pour leur rapport sur l’application de la réforme de la protection de l’enfance de 2007 que pour la rédaction de la présente proposition de loi. J’ai aussi une pensée pour la professeure Gouttenoire, qui a rédigé, avec beaucoup de compétence et de passion, un riche rapport sur les adaptations nécessaires à la protection de l’enfance. Ces travaux ont tous été guidés par l’objectif premier d’élaborer un droit centré sur le meilleur intérêt de l’enfant.

Nous discutons donc d’une initiative parlementaire qui permettra l’amélioration concrète et la modernisation de nos dispositifs de protection de l’enfance, et je m’en félicite. Cette proposition de loi est un texte responsable qui comporte un principe directeur et poursuit trois objectifs.

Son principe directeur consiste à remettre l’enfant au coeur du dispositif et à s’assurer du respect de son intérêt supérieur, c’est-à-dire de sa protection et de la prévention contre les maltraitances et les carences sociales, éducatives et affectives dont il est encore trop souvent victime. Cet impératif permet de rompre avec une conception du passé, dans laquelle l’enfant n’était trop souvent considéré qu’en fonction de la volonté des adultes, des parents qui l’entouraient.

Les objectifs de ce texte sont l’amélioration des gouvernances nationale et locale, la sécurisation du parcours normalisé de l’enfant et du jeune majeur, ainsi que la stabilité et la continuité de sa prise en charge tout au long de son enfance. Ces objectifs viennent largement corriger les limites de la loi de 2007, bien identifiées par Michelle Meunier et Muguette Dini dans leurs travaux.

Certes, la loi du 5 mars 2007 est un bon texte, chacun en convient. Elle a le mérite de répondre aux besoins des enfants et de garantir une plus grande vigilance et un plus grand respect de la part des intervenants qui les entourent. En témoignant d’une volonté réelle d’améliorer la situation des enfants pris en charge, elle a, en somme, jeté les bases. Mais elle s’est heurtée à plusieurs écueils ou obstacles rendant son application imparfaite et ses objectifs imprécis. Le texte que nous allons examiner propose par conséquent non pas de remettre à plat, mais de réajuster ses dispositifs. J’ai une pensée particulière pour les professionnels de l’enfance au sein des services départementaux, pour les travailleurs sociaux, médico-sociaux et associatifs, ainsi que pour les familles d’accueil qui pourront ainsi bénéficier de nouveaux outils d’intervention au profit des enfants.

Nous le savons tous : les disparités des moyens attribués à la protection de l’enfance dans les territoires ont rendu notre action peu lisible et souvent très inégalitaire. Comment tolérer que, dans certains départements, certains moyens, outils et dispositifs n’existent pas vraiment et qu’ailleurs, de nombreux efforts soient réalisés, des réseaux construits, des moyens dégagés et des pratiques renouvelées au bénéfice des enfants et de leur famille ? L’aide sociale à l’enfance concerne chaque année 300 000 jeunes et représente près de 20 % des dépenses d’action sociale des départements. Il est absolument indispensable qu’une politique de cette importance soit menée de façon homogène et équilibrée sur l’ensemble du territoire, tout en demeurant, bien sûr, humaine. Ces réalités nous ont été rappelées à maintes reprises par les associations que nous avons reçues.

Certaines pratiques doivent aussi évoluer pour l’ensemble des acteurs. La multiplicité des intervenants, l’insuffisance des formations professionnelles et le manque de coopération conduisent souvent à augmenter l’insécurité dans les parcours des enfants pris en charge. Il faut par exemple mieux repérer les signes de négligence et de maltraitance. Le texte apporte des réponses concrètes sur ces points.

En outre, la prévalence du maintien du lien biologique est aujourd’hui encore trop souvent la règle, comme le placement systématique l’avait été en d’autres temps. Ce réflexe institutionnel reflète une certaine conception de la protection de l’enfance qui a longtemps prévalu, pensée sous le prisme du droit des familles et surtout des parents, parfois au détriment de l’intérêt des enfants. Nous devons parvenir à faire émerger une troisième voie entre le « tout placement » et le « tout maintien du lien ». Il faut, pour ce faire, prendre en compte la notion d’environnement affectif stable et continu, et bâtir pour chaque enfant un parcours sécurisé en replaçant son bien-être et son épanouissement au coeur de l’action publique.

Cela implique de mettre l’enfant au centre des décisions qui le concernent, de partir de ses besoins. C’est à l’enfant qu’il faut apporter des réponses individualisées pour lui permettre de construire sa vie future. Cela implique surtout de limiter ce que l’on pourrait qualifier la « maltraitance institutionnelle » : cette pratique consistant à maintenir un enfant dans le dispositif de la protection de l’enfance alors qu’il pourrait bénéficier d’une adoption simple, par exemple, ou être confié à des tiers avec lesquels il a construit des liens affectifs et structurants. Pour reprendre les mots de Michelle Meunier, « on n’a encore rien trouvé de mieux qu’une famille pour élever un enfant ».

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