Intervention de Ségolène Royal

Réunion du 6 mai 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, du développement durable et de l'Énergie sur la préparation de la Conférence Climat :

Le fait que trois de vos commissions se réunissent pour cette audition prouve l'ampleur et la complexité de la tâche que représente la préparation de la Conférence Climat, ainsi que le caractère passionnant de l'action que nous avons à conduire ensemble.

Je me suis rendue ce matin dans un lycée du Bourget, où étaient présents plus d'une centaine de lycéens de différents établissements de la région, avec leurs professeurs. Ces lycéens travaillent depuis la rentrée sur une simulation des négociations sur le climat, chacun représentant un État ou groupe d'États. C'était passionnant. Ces élèves témoignent d'une grande maturité et d'une bonne connaissance des enjeux, tirée des documents officiels, et font preuve d'une grande mobilisation.

Cela me permet d'insister sur le fait que cette conférence concerne absolument tout le monde : tous les pays, mais aussi tous les citoyens, toutes les entreprises, toutes les ONG, toutes les collectivités territoriales, bref l'ensemble de la société civile, ainsi que les parlementaires que vous êtes. Vous avez en effet un rôle majeur à jouer, en tant que représentants de la démocratie. Le combat pour l'environnement est toujours lié à la question démocratique, à la capacité d'associer les citoyens aux décisions qui les concernent. Si les opinions publiques se mobilisent, les pays se mettront en mouvement. Même dans certains pays non démocratiques, les opinions publiques se manifestent, contre la pollution de l'air ou les risques industriels, par exemple, et les dirigeants, sous cette pression, sont obligés de bouger.

La France et l'Europe ont un rôle crucial à jouer. L'Europe a été à la hauteur de sa tâche en figurant parmi les premières parties à la convention-cadre des Nations Unies pour le changement climatique à communiquer son INDC (Intended Nationally Determined Contribution), avec un objectif à l'horizon 2030 de réduction d'au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, de 27 % de la consommation d'énergie à partir des énergies renouvelables et d'augmentation de l'efficacité énergétique de 27 %. À ce jour, trente-six parties à la convention-cadre, dont les vingt-huit pays de l'Union européenne, qui se sont positionnés en bloc, ont soumis leurs contributions. Ces pays représentent un tiers des émissions mondiales et 80 % des émissions des pays développés.

Je présenterai les objectifs, les outils et les échéances de la conférence.

L'objectif majeur est un changement de civilisation. Un monde est en train de disparaître, celui qui a conçu son développement sur la consommation des énergies fossiles, avec les dégâts que nous connaissons, et un nouveau monde est en train de naître, que nous devons aider à émerger. Pour cela, il faut tout d'abord surmonter quelques doutes. Certains de ces doutes se sont déjà bien estompés : plus personne ne conteste aujourd'hui les effets de la consommation d'énergies fossiles sur le dérèglement climatique et les risques graves que fait courir ce dérèglement. Le contexte est donc favorable pour mettre un terme aux tergiversations des années passées.

Des doutes subsistent sur les motivations des pays les plus riches. L'échec relatif de Lima s'explique par ces doutes des pays les plus pauvres, qui ont subi les modes de développement des pays riches et à qui l'on demande aujourd'hui de faire des choix différents. Nous devons dissiper ces doutes, tout d'abord en étant très clairs sur la question des financements : c'est un préalable au succès du sommet. Il faut espérer que ces financements seront mis en place, non seulement les 10 milliards qui sont déjà sur la table, mais pour lesquels il reste encore à définir les modalités d'engagement, mais aussi les 100 milliards d'ingénierie financière en provenance du secteur financier et des entreprises. Les entreprises et le secteur financier commencent à comprendre que le coût de l'inaction est plus élevé que celui de l'action. S'engager dans la transition énergétique et dans un autre modèle de développement peut permettre de créer des activités et des emplois, et de concevoir une sortie de la pauvreté pour de nombreux pays qui sont aujourd'hui privés d'accès à l'énergie et subissent de surcroît le plus durement, étant sous les latitudes les plus chaudes, le coût du réchauffement climatique, avec des déplacements massifs de populations que l'on appelle désormais des « réfugiés climatiques ».

Nos objectifs ne sont pas seulement arithmétiques ; ce sont des objectifs de valeurs, de survie, d'accès au développement et de sortie de crise pour les pays industrialisés. C'est un défi majeur à relever, mais aussi – c'est le message que veut porter la France – une formidable chance à saisir pour réparer les dégâts du passé et définir les conditions d'un développement durable, grâce à l'imagination, aux progrès de la technologie, à l'investissement dans les filières du futur : l'efficacité énergétique et la lutte contre le gaspillage énergétique, notamment dans le secteur du bâtiment, les énergies renouvelables, l'économie circulaire, par laquelle les déchets des uns deviennent la matière première des autres, le secteur de la biodiversité.

Il n'est pas question de séparer la transition énergétique et les actions liées à la biodiversité, à la protection de la nature, des paysages et de l'agriculture. Les actions en faveur de la biodiversité peuvent en effet elles-mêmes apporter des solutions au réchauffement climatique. Par exemple, la forêt des Landes limite l'érosion de la côte aquitaine. En outre-mer, la reconstitution des mangroves, que nous avons inscrite dans la loi de transition énergétique, permet d'amortir la violence des vagues. De même, les toits végétalisés permettent des économies d'énergie.

Si nous réussissons à accélérer la transition écologique et énergétique et à la mettre à la portée de tous par des transferts de technologie vers les pays les plus pauvres, nous aurons les moyens de définir un modèle de développement assis sur des valeurs de civilisation permettant à la planète de nourrir ses habitants, qui seront 10 milliards en 2050. C'est une question de survie.

Vous connaissez les outils pour y parvenir. Laurent Fabius les a énoncés devant vous : il s'agit de l'accord, bien sûr, de l'agenda des solutions, du financement et de la mobilisation de la société civile.

Le sujet de la Conférence Climat est systématiquement inscrit à l'ordre du jour des sommets internationaux. Du 17 au 19 mai prochain aura lieu le dialogue de Petersberg sur la transition énergétique, rassemblant une trentaine de pays sous co-présidence allemande et française. Le couple franco-allemand entend accélérer la préparation de la conférence. Se tiendront ensuite le sommet du G7, en juin, celui du G20, en novembre, le sommet d'Addis-Abeba, qui doit résoudre la question du financement, en juillet, ainsi que le sommet des Nations Unies à New York à la fin du mois de septembre, qui sera un moment clé dans la mesure où la plupart des chefs d'État et de Gouvernement seront présents et que le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, est très engagé pour la réussite de la conférence.

Aussi, je suggère que la mobilisation des parlementaires se fasse avant septembre, afin que vous puissiez peser de toutes vos forces. Je me réjouis que le sujet mobilise au-delà des clivages politiques, comme j'ai pu le constater lors des débats sur la loi de transition énergétique et la loi de biodiversité. Ce qui fait la force du message de la France, c'est justement que nos forces politiques sont unies sur cette échéance.

Le succès de la maîtrise du changement climatique sous le seuil de deux degrés dépend bien sûr de l'accord qui sera signé, mais plus encore des solutions opérationnelles locales. C'est le niveau local, et notamment l'engagement des collectivités territoriales et des réseaux d'entreprises, qui déterminera la réalité de la lutte contre le réchauffement climatique. C'est pourquoi j'ai lancé l'appel à projets sur les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV). À ma grande satisfaction, nous avons reçu cinq cents réponses, de tous les territoires. L'initiative locale a très souvent été en avance sur les initiatives nationales. Seule une bonne articulation entre une impulsion nationale, des initiatives locales et les enjeux internationaux pourra rendre le mouvement irréversible.

Votre présence est attendue lors de la Business Week, à partir du 20 mai, qui rassemblera à l'UNESCO les grandes entreprises et les grands groupes financiers. Il y aura ensuite, début juillet, un rassemblement mondial de la recherche de haut niveau. La recherche française sur les écosystèmes et dans les sciences du vivant est reconnue mondialement. Ce sommet de la science sera un moment très fort de la préparation de la Conférence Climat ; il rencontre un tel succès que l'espace ne sera pas suffisant à l'UNESCO et que plusieurs organismes scientifiques ont été mobilisés pour accueillir une partie des débats.

Ces échéances s'accompagnent, comme l'a indiqué M. le président Chanteguet, d'un grand débat mondial, que j'ai souhaité lancer avec le concours de la Commission nationale du débat public et qui démarrera début juin. Des formateurs ont été établis dans chacun des grands groupes de pays, pour éviter un trop grand nombre de déplacements et maintenir le bilan carbone à un niveau raisonnable. Nous travaillerons par visioconférence. Les citoyens du monde entier, les élus, les collectivités, les entreprises sont invités à participer à ce débat. Les résultats des grandes décisions qui seront prises dépendent des citoyens : si tout le monde se mobilise, nous pourrons compter sur le caractère opérationnel des décisions.

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