Intervention de Marwan Lahoud

Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
Commission des affaires économiques

Marwan Lahoud, président d'Airbus Group SAS, directeur général délégué d'Airbus Group :

Je suis heureux de me trouver à nouveau devant vous. Vous m'aviez invité, en octobre 2013, alors que le groupe EADS connaissait une période de grande mutation. Nous venions de mettre la dernière main à la révision stratégique rendue nécessaire par l'échec de la fusion avec BAE Systems ; c'est à ce moment qu'a été décidée la réorganisation du groupe. Qu'en est-il maintenant ?

EADS est devenu Airbus Group. Nous avons choisi la plus puissante et la plus prestigieuse de nos marques, celle qui permet à nos 155 000 salariés de se reconnaître une identité unique, celle, aussi, que connaît l'homme de la rue de New York à Djakarta. Le groupe compte trois divisions : Airbus pour les aéronefs civils, Airbus Défense et Espace et Airbus Helicopters. Nous sommes le premier fournisseur de la défense française, de la défense allemande et de la Royal Air Force, et aussi l'un des premiers exportateurs en matière de défense en France. Précédemment, l'organisation de cette activité était très dispersée ; le regroupement auquel nous avons procédé nous a donné une idée plus précise de notre poids dans ce secteur et de notre responsabilité à l'égard de nos clients nationaux – être fournisseur de la défense nationale emporte une responsabilité particulière. Airbus Helicopters est le premier hélicoptériste mondial, dans le domaine civil et dans le domaine militaire.

M. Tom Enders est président exécutif du groupe comme l'était M. Louis Gallois avant lui, mais l'actionnariat a été simplifié : il n'y a plus de pacte d'actionnaires ni, donc, de décisions prises hors des instances de direction – conseil d'administration, assemblée générale et comité exécutif. Bien entendu, des relations particulières continuent d'unir le groupe Airbus et les États français et allemand, qui ont souhaité conserver une participation dans le capital, en raison de notre activité « défense » et de son importance pour la sécurité nationale ; cela tient aux droits régaliens des États, non à leur qualité d'actionnaires. Le principal objectif du changement de gouvernance était que l'on n'en parle plus et que, la question étant réglée, on passe aux autres sujets de fond que sont l'évolution du marché et la production d'avions, de missiles, de lanceurs, de satellites et d'hélicoptères nécessaires à nos clients. C'est fait ; là est le vrai changement.

Deux tendances marquent le secteur de l'aéronautique et de la défense. La première est la forte croissance du transport aérien, supérieure à 5 % par an – cette progression ne se fait malheureusement pas en Europe, non plus qu'en Amérique du Nord, mais en Asie et au Moyen Orient. La deuxième tendance est la stagnation, sinon la diminution, des budgets de défense dans les pays occidentaux, cependant que de nouveaux acteurs et de nouveaux investisseurs apparaissent dans d'autres régions du monde. On assiste donc à un déplacement vers l'Est de l'activité aéronautique et spatiale. Sans nouveaux programmes structurants en Occident et face à de nouveaux concurrents, le groupe Airbus et l'industrie dans son ensemble évoluent dans un environnement durement compétitif. On notera aussi une sorte de grand écart : si 90 % de notre effectif est employé en Europe de l'Ouest, principalement en France, en Allemagne, en Espagne et au Royaume Uni, notre chiffre d'affaires est pour plus de 70 % réalisé hors de ces quatre pays. Il a doublé entre 2001 et 2014 pour passer de 30 à 60 milliards d'euros en quinze ans et la valeur des prises de commandes en 2014 a été presque trois fois celle du chiffre d'affaires. La tendance à la croissance va donc se poursuivre, avec un carnet de commandes total de plus de 800 milliards d'euros, qui représente plus de dix années de production.

Cette situation permet certes de préparer confortablement l'avenir, mais nous sommes inquiets de voir la part « Défense et Espace » de notre carnet de commandes diminuer progressivement.

L'année 2014 a été pour le groupe une année record dans le secteur de l'aviation civile : 629 aéronefs vendus, 1 456 commandes nettes et 6 386 appareils en commande. Dans le secteur « Défense et Espace », le fait marquant a été le lancement d'Ariane 6. Cette grande décision a été prise par le conseil des ministres de l'Agence spatiale européenne (ESA) dans un cadre nouveau : la concurrence vient d'acteurs uniquement privés. Nous nous sommes entretenus il y a deux semaines avec les dirigeants de Google, SpaceX et Facebook. Leurs ambitions sont considérables et leurs moyens, comparés aux nôtres, illimités, et ils ont l'intention d'investir dans les avions, les lanceurs et les satellites en s'affranchissant de toutes les contraintes qui sont les nôtres. Dans ce contexte, il était normal de passer à l'étape industrielle pour produire Ariane 6. Entre 1979 et aujourd'hui, les agences d'État – le Centre national d'études spatiales et son homologue allemand, le DLR, ou encore l'ESA – ont eu un rôle essentiel dans la mise sur les rails des programmes de lanceurs, mais la nouvelle situation exigeait de modifier la pratique et d'industrialiser la conception, la fabrication et le lancement des lanceurs spatiaux. Ce fut la décision prise en décembre par les États membres de l'ESA.

Tel est le contexte. J'en viens à la stratégie du groupe. De longues années durant, nous avons tenté d'équilibrer nos activités civiles et nos activités militaires ou institutionnelles. L'échec de la fusion avec BAE Systems qui aurait permis une forte consolidation de nos activités et la révision stratégique qui s'en est suivie nous ont conduits à renoncer à cette stratégie – non qu'elle ne fût pas pertinente, mais quand l'activité civile augmente de 5 % par an cependant que l'activité militaire, au mieux, stagne, l'équilibre recherché devient une chimère. Aussi avons-nous décidé de nous concentrer sur nos domaines de compétence technique avérés : les objets volants civils ou militaires et les services qui leur sont directement associés, et les activités spatiales.

Il en va pour les satellites comme pour les lanceurs : une révolution est en marche, avec l'apparition d'acteurs privés dont l'approche est purement commerciale, et l'on va passer de l'époque où il fallait entre un an et dix-huit mois pour mettre au point chaque prototype, au prix de plusieurs dizaines de millions d'euros pièce, à une époque nouvelle où l'on produira sans doute des dizaines de satellites par mois pour quelques dizaines de milliers d'euros. Cela aura un effet sur l'industrie dans son ensemble et nous devrons nous adapter ; grâce à la synergie que permet le groupe, nous sommes très bien placés pour le faire. Cette évolution modifiera aussi radicalement la manière de concevoir les applications spatiales. Les projets annoncés par Google et les autres acteurs de l'Internet peuvent sembler farfelus mais, après tout, des gens n'ont-ils pas osé penser, il y a plus de cent ans, que l'homme pouvait voler ?

Nous devons donc oser nous remettre en cause. Le projet d'avion à propulsion électrique a effectivement fait sourire. Il n'empêche : nous avons fait voler un premier prototype. Sans doute ne transportera-t-on pas demain 100 passagers dans un aéronef de ce type, mais peut-être après-demain. Encore faut-il retrouver l'esprit pionnier, l'envie et l'audace de repousser les limites, ne serait-ce que pour attirer dans nos usines et dans nos bureaux d'études les jeunes gens dont la présence est nécessaire au développement de nos activités.

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