Intervention de Marwan Lahoud

Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
Commission des affaires économiques

Marwan Lahoud, président d'Airbus Group SAS, directeur général délégué d'Airbus Group :

Il existe un projet d'A380NEO. Mais, avant de décider de réaliser un investissement de plusieurs milliards d'euros, nous prenons le temps d'analyser le marché, de déterminer le coût de la nouvelle motorisation et de définir l'impact de cette fabrication sur nos résultats. Bien entendu, si nous lançons la nouvelle version, toute la chaîne de production, dont Aircelle, en bénéficiera. Mais il n'est pas question de prendre une décision à plusieurs milliards d'euros si la commercialisation de l'A380 n'est pas améliorée de manière déterminante. Le sujet est en cours de discussion et la décision interviendra quand nous aurons pesé tous les éléments du dossier.

Plusieurs raisons expliquent que des postes ne soient pas pourvus dans les métiers de la production de la filière aéronautique française, y compris dans des régions durement frappées par le chômage. La première est l'absence de qualifications. Être soudeur, ajusteur ou chaudronnier industriel demande des qualifications précises que les lycées professionnels, en de nombreux lieux, ne permettent pas d'acquérir. Il n'en va pas de même partout, car nous avons réussi à nous mettre d'accord avec des collectivités locales et des lycées professionnels. Le lycée Airbus de Toulouse est un exemple pour tous et à Méaulte, dans la Somme, où nous avons une usine, une initiative locale a été prise avec le proviseur pour former à ces métiers. J'en appelle à une coopération locale avec les lycées et les collectivités, de manière qu'à leur sortie des lycées professionnels les élèves aient la qualification qui leur permettra d'intégrer une filière qui a des besoins. Il y a aussi que ces métiers ont mauvaise réputation ; sur ce plan, c'est à l'industrie d'agir, et le Gifas présentera cette année au Salon du Bourget les métiers de la production dans un « avion des métiers ». Cela nous permettra par exemple d'expliquer qu'être ajusteur au XXIème siècle signifie piloter une machine numérique. La troisième raison est la faible mobilité des salariés : si nous ouvrons un poste à Nantes, il est très difficile de convaincre quelqu'un qui cherche un emploi en Champagne de postuler. Tout cela conduit à la situation grotesque que des postes restent non pourvus dans une filière qui recrute.

Le groupe Airbus a une tradition sociale ; les informations parues dans La Dépêche du Midi au sujet des rémunérations ne disent pas autre chose. Cette tradition sera respectée. Si notre succès est ce qu'il est, c'est que les relations sociales dans l'entreprise unissent avant tout des gens passionnés par l'aéronautique. Le dialogue social y est adulte. Nous savons qu'il faut partager les résultats avec nos salariés, ils savent qu'il faut faire des efforts quand la situation n'est pas florissante – c'est arrivé, et les efforts ont été très importants. Ce donnant-donnant participe de notre contrat social et nous chercherons, comme nous l'avons toujours fait, à trouver un accord sur la politique salariale.

La montée en cadence et l'organisation de la production concernent tout le groupe et toute la chaîne de sous-traitance. Nous ne sommes pas une industrie qui délocalise : même à l'époque de l'euro fort, plus de 70 % de la production était faite sur le territoire national. Nous avons été amenés à établir certaines activités hors d'Europe pour accompagner une vente – cela avait un effet multiplicateur sur une activité correspondante en Europe. Ce schéma est appelé à se poursuivre, même si la pression des coûts, des charges et de la fiscalité est de plus en plus difficile à supporter. Notre message aux pouvoirs publics est donc : « Nous voulons rester sur le territoire national, facilitez-nous un peu les choses ». J'ajoute que activité « défense » nous ancre en Europe ; si elle devait disparaître ou être réduite à la portion congrue, nous n'aurions plus besoin de rester. Cela ne se ferait pas du jour au lendemain, mais au gré des changements à la tête de l'entreprise. Aujourd'hui, les 14 membres du comité exécutif sont tous passés par des activités « défense ». S'il n'en est plus ainsi demain, l'attachement au drapeau et au territoire risque de s'estomper.

La force de Google, Apple, Facebook, Amazon, SpaceX se résume en quelques mots : des moyens financiers illimités et une créativité qui ne l'est pas moins. Eric Schmidt, le président de Google, m'a conseillé tout net de développer les activités d'Airbus dans les domaines non réglementés – là où le développement est le plus fort. L'annonce faite par Elon Musk, président de Tesla Motors et de SpaceX, qu'il allait fabriquer des voitures électriques avait été jugée risible ; on a cessé de rire. Ensuite, il a fait rire en annonçant qu'il fabriquerait un lanceur spatial, et plus personne ne rit. Et quand Google dit vouloir permettre l'accès à Internet dans les zones à ce jour non couvertes en lançant 800 ballons en haute atmosphère, on commence par se gausser, mais…

La leçon à tirer de tout cela est qu'il faut retrouver l'audace qui a permis de faire voler avions, fusées et satellites, et à l'homme de fouler la Lune. Pour cela, il faut accepter l'idée de l'échec – et mieux vaut échouer vite ! Tom Enders a entraîné les dirigeants du groupe en « voyage d'apprentissage » en Californie. Là-bas, j'ai retrouvé ma jeunesse d'ingénieur en aéronautique : on expérimente et, si cela ne marche pas, on passe à autre chose… Nous devons retrouver cet esprit pionnier et pour cela attirer des jeunes gens que nous ne ferons pas rêver avec des tableaux budgétaires mais avec des projets véritablement audacieux. Le E-Fan, prototype d'avion à propulsion électrique, en est un : comme ce fut le cas pour SpaceX, les experts ont souri ; aujourd'hui, il vole.

Avec Ariane 6, on change la manière de faire : les industriels – la co-entreprise Airbus Safran Launchers – prennent leurs responsabilités en finançant une partie du développement. Ce sera toujours un lanceur Ariane, marque puissante, et les comportements ne changeront pas : aujourd'hui, les étages sont assemblés aux Mureaux et les lanceurs achevés à Kourou, sans que rien soit fait pour retarder ceux qui servent à lancer les satellites de nos concurrents. Ariane est une activité en soi, qui ne souffre pas la moindre distorsion de concurrence. Notre objectif est de vendre le plus de lanceurs possible, y compris pour lancer les satellites de nos concurrents. Rien ne justifie la moindre inquiétude à ce sujet. D'ailleurs, Airbus Safran Launchers a une gestion assez autonome. « Ce ne sont là que paroles », me direz-vous ; eh bien, non. Les actionnaires de MBDA – qui sont Airbus Group pour 37,5 %, BAE Systems pour 37,5 % et Finmeccanica pour 25 % – sont aussi ceux d'Eurofighter ; pourtant, loin d'empêcher la vente des missiles installés sous le Rafale, ils l'ont encouragée.

Nous avions dit que nous ajusterions le plan social « Défense et Espace » en fonction des prises de commandes et nous sommes en train de revoir les objectifs de réduction d'effectif dans l'activité spatiale pour tenir compte des ventes de satellites exceptionnelles réalisées en 2014. Cela étant, si les ventes ont été tellement nombreuses, c'est que nos commerciaux ont déployé tout leur talent, mais c'est aussi que les perspectives d'amélioration de notre compétitivité leur ont permis de faire des propositions plus concurrentielles. C'est un cercle vertueux, et c'est la vie normale de l'entreprise de procéder aux ajustements nécessaires, dans un sens ou dans l'autre, pour emporter des affaires.

La PMR, une activité très rentable, va sortir du groupe Airbus car les opérateurs de télécommunication ont une trop grande avance dans le développement de la large bande pour que nous puissions suivre. Nous voulons ainsi garantir l'avenir de la prochaine génération de radio professionnelle sécurisée. Les acquéreurs potentiels sont les opérateurs du secteur des télécommunications qui ont déjà investi dans ce domaine. L'acquéreur sera sans doute un membre du Gifas ; l'esprit de solidarité de la filière sera donc toujours là.

L'achat de 50 hélicoptères par la Pologne est une excellente nouvelle pour le groupe Airbus, et pour la France et l'Allemagne dont les gouvernements se sont beaucoup mobilisés à cette fin par une démarche commune du président de la République et de la Chancelière auprès des autorités polonaises. C'est aussi une excellente nouvelle pour l'Union européenne en matière de défense ; cela montre que lorsque la volonté existe, les Européens peuvent être compétitifs, vis-à-vis des États-Unis en particulier.

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