Intervention de Agnès le Bot

Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
Commission des affaires sociales

Agnès le Bot, membre de la commission exécutive confédérale de la CGT :

Aux yeux de la CGT, ce qui compte, c'est moins d'afficher et de reconnaître la nécessité du dialogue social que de définir les objectifs de celui-ci. La négociation, en effet, a montré que ces objectifs pouvaient diverger selon les uns ou les autres, ce qui fut d'ailleurs une des causes de son échec. Nous sommes donc dans une situation inhabituelle puisque, en dépit de la réforme instaurée par la loi de 2007 sur la modernisation du dialogue social, ce projet de loi ne s'appuie sur aucun accord interprofessionnel préalable.

Pour la CGT, la démocratie sociale doit être un instrument de citoyenneté des salariés, et c'est sur ce point que le projet de loi nous pose quelques problèmes. L'entreprise appartient aussi aux salariés et, si l'on défend le progrès et l'efficacité économique et sociale, l'exercice de la démocratie ne peut s'arrêter aux portes du monde du travail. Pourtant, en dépit des propositions faites par notre organisation lors de la concertation préalable, ce sont bien les objectifs du patronat, ceux-là mêmes qui ont conduit à l'échec de la négociation, que sert ce projet de loi, dont une majorité de salariés et de leurs représentants ne tirera aucun bénéfice, notamment parce que la rationalisation des IRP qu'il organise dans les entreprises de cinquante salariés et plus ne peut que nuire, selon nous, à la qualité du dialogue social.

L'effectivité de la représentation collective dans les entreprises de petite taille, y compris au-delà des TPE, reste incertaine malgré les objectifs figurant dans le document d'orientation. Certes, un pas a été franchi – et nous le saluons – pour les salariés des très petites entreprises, qui, jusqu'ici, avaient seulement le droit de voter pour un sigle syndical tous les quatre ans. Si nous approuvons la mise en place des commissions paritaires régionales et la répartition des sièges en leur sein selon l'audience régionale obtenue par les organisations, il faut, pour réellement garantir ce nouveau droit à la représentation accordé aux 4,6 millions de salariés des TPE, améliorer le dispositif des commissions paritaires interprofessionnelles, ce qui inclut les commissions déjà existantes, lesquelles devront se mettre en conformité avec la loi. Les droits et les moyens des représentants ne peuvent en rester à ce que prévoit le projet de loi. De même, il convient d'élargir les attributions des commissions pour y intégrer l'aide au dialogue social, c'est-à-dire notamment la gestion des conflits, mais aussi des oeuvres sociales et culturelles.

En ce qui concerne la valorisation du parcours des élus et mandatés ainsi que la discrimination salariale, le projet de loi comporte des avancées mais doit, selon nous, être amendé sur certains points. Le champ des élus concernés, trop restrictif, doit être élargi, et, dans le cadre de la validation des acquis de l'expérience, les compétences acquises dans l'exercice de l'activité syndicale doivent être reconnues de la même manière pour tous les élus et mandatés.

Le projet de loi aborde la question de la parité, et nous sommes favorables aux mesures visant à mieux équilibrer les candidatures féminines et masculines aux élections des représentants et des délégués du personnel. J'attire néanmoins votre attention sur la difficulté à constituer des listes syndicales, singulièrement dans les petites entreprises, où nos organisations syndicales sont peu présentes. Il serait souhaitable qu'en la matière le projet de loi nous offre davantage de moyens.

Cela posé, j'en viens aux éléments plus fondamentaux qui font que ce projet de loi est loin de nous satisfaire. Nous considérons, en effet, qu'il ne s'affranchit guère du dogme patronal selon lequel la représentation collective, le droit syndical, les droits et moyens d'intervention des salariés et de leurs représentants sont autant de contraintes majeures pour les entreprises. De ce fait, le CHSCT et sa capacité à jouer pleinement son rôle dans l'amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels sont malmenés. Plus globalement, la rationalisation de la représentation syndicale se traduit par un affaiblissement de la capacité d'intervention des salariés sur le travail et sur la marche de l'entreprise, avec, à terme, des dégâts collatéraux plus larges encore.

Comment, où et quand discuter du travail, de son contenu et de son organisation ? Alors que les salariés aspirent à mieux travailler, alors que le travail requiert de plus en plus d'anticipation et de créativité, ce texte n'apporte à ces questions aucune réponse satisfaisante, ce qui risque de coûter très cher, humainement et économiquement, à la société française. L'ensemble des organisations syndicales a construit une feuille de route pour un plan santé tourné vers la prévention et la volonté de transformer le travail afin de ne plus s'y abîmer. La future loi va à contresens de cette ambition. À force de négliger le débat sur la qualité du travail en imposant la précarité, la parcellisation du travail, le mal-travail et son cortège de souffrances, de gâchis, voire de catastrophes – que l'on songe à AZF ou à la SNCF –, c'est l'efficacité de notre économie qui est compromise.

C'est la raison pour laquelle la CGT s'oppose vigoureusement au contenu des dispositions des chapitres III et IV. Elle considère, en effet, que l'élargissement de la délégation unique du personnel aux entreprises de moins de trois cents salariés et l'intégration en son sein des attributions du CHSCT, tout comme la mise en place par accord majoritaire d'une fusion des instances dans les entreprises de plus de trois cents salariés ne font que répondre aux exigences qu'avait posées le MEDEF lors de la négociation en réclamant l'instauration d'une instance unique du personnel.

Avec la tenue d'une réunion commune tous les deux mois au lieu de tous les mois, une expertise commune, un avis unique et un budget commun, la DUP ne constitue nullement à nos yeux un cadre « plus stratégique » et « moins formel », mais une tentative de rationalisation et de centralisation. Les nouveaux dispositifs signifient donc plus d'informations à traiter avec moins de moyens, ce qui est d'autant plus problématique que cette question des moyens est renvoyée à des accords.

En matière d'accords, précisément, nous nous opposons à la logique de primauté des accords d'entreprise et des accords dérogatoires qui sous-tend le texte. Cette question doit faire l'objet d'une véritable évaluation, au regard notamment du sort réservé au principe de faveur.

Enfin, si le projet de loi entend proposer des solutions qui préservent et élargissent les opportunités de négociation tout en garantissant la primauté des organisations syndicales, nous considérons que les dispositions qu'il comporte en ce sens doivent être aménagées.

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