Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du 20 mai 2015 à 15h00
Transformation de l'université des antilles et de la guyane en université des antilles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, comment comprendre l’importance fondamentale du projet de loi sur l’université des Antilles et de Guyane sans au préalable prendre la pleine mesure des défis auxquels est confronté l’enseignement supérieur dans ces collectivités d’outre-mer ?

L’Assemblée nationale est aujourd’hui amenée à se prononcer sur ce projet de loi pour circonscrire une crise qui met en péril la survie même de l’université des Antilles. Notre inaction serait coupable, tant les enjeux sont immenses.

Enjeux immenses pour les Antilles car le chômage des jeunes actifs y atteint des seuils dramatiques : 68 % en Martinique, 59 % en Guadeloupe et 44 % en Guyane. Ces chiffres sont effrayants ! Or le diplôme demeure un atout incontestable pour gagner la bataille de l’emploi : pour preuve, dans ces trois territoires, le taux de chômage n’est plus que de 10 % pour ceux qui ont suivi une formation de l’enseignement supérieur.

Enjeux aussi pour notre République qui se doit de garantir un accès équitable à l’éducation sans distinction de condition sociale, de convictions, de confession religieuse, et de la même manière pour tous les territoires de France. D’ailleurs, quand on connaît leur histoire, on se dit que notre République devrait faire plus encore pour ces territoires.

La parution du rapport annuel de 2012 de la Cour des comptes, qui mettait en cause la gestion opaque, entre 2005 et 2010, du Centre d’études et de recherche en économie, gestion, modélisation et informatique appliquée, ainsi que la plainte déposée par la présidente de l’université Corinne Mencé-Caster ont fait éclater la crise dans laquelle s’est enfoncée et enlisée l’université des Antilles, jusqu’à risquer aujourd’hui l’éclatement. Comment en sommes-nous arrivés là ? C’est un autre débat.

Les irrégularités pointées du doigt par les magistrats de la rue Cambon ont suscité un sentiment de révolte profond et justifié, parmi les universitaires comme parmi les étudiantes et les étudiants, qui sont les premiers concernés.

Cette crise a conduit le Gouvernement, en novembre 2013, à prendre l’engagement d’acter le retrait du pôle guyanais de l’université, mais cette décision a en réalité exacerbé les tensions entre Guadeloupéens et Martiniquais – mauvaise pioche ! –, favorisé les revendications autonomistes et paralysé le système éducatif. Connaissions-nous bien, en réalité, le fonctionnement de ces territoires ?

Le Gouvernement a alors tenté de tirer parti de son habilitation à modifier les dispositions législatives relatives à l’université des Antilles et de la Guyane pour accroître l’autonomie de ses deux pôles et les doter, par l’ordonnance du 17 juillet 2014, de compétences propres. Le champ de l’habilitation ne lui a pas pour autant permis de tirer les conséquences du retrait du pôle guyanais.

Il était par conséquent indispensable que le législateur intervienne en urgence pour tirer les conséquences du retrait du pôle guyanais et clarifier la situation juridique des deux universités. Aussi, disons-le sans détour, le recours aux ordonnances, pour une fois, ne nous semble pas inapproprié.

Quelle ambition devait, selon nous, porter ce projet de loi ? Permettre aux deux pôles universitaires régionaux de jouir d’une large capacité d’organisation, administrative et pédagogique, en leur conférant les moyens d’adapter leur gestion quotidienne aux circonstances locales tout en préservant l’indispensable unité de l’université.

Répondre à une telle ambition aurait permis de poser les bases du déploiement d’une université solide et dynamique, à même de garantir à la jeunesse antillaise un enseignement supérieur de qualité, à la hauteur des défis économiques, sociaux et culturels auxquels sont confrontés nos deux territoires d’outre-mer des Antilles.

Il était par conséquent indispensable de rénover en profondeur la gouvernance de l’université des Antilles pour préserver son unité, tout en donnant au pôle martiniquais et au pôle guadeloupéen une large capacité d’organisation administrative et pédagogique. Cela paraissait si simple !

Ces compétences propres leur auraient permis d’adapter leur gestion quotidienne aux circonstances locales et d’aboutir à une organisation pleinement déconcentrée, rompant avec les anciennes tentations centralisatrices.

Parallèlement à cette large autonomie, la cohérence et l’unité stratégique de l’université des Antilles devaient impérativement être préservées. Il s’agissait de renforcer son attractivité, de lui permettre de rayonner sur le plan scientifique, et dès lors de mieux retenir ses bacheliers et d’en attirer d’autres venus d’au-delà des frontières, en s’appuyant sur le dynamisme universitaire de la zone caraïbe. La question des objectifs de l’université des Antilles doit être posée en tenant compte de la situation de ces territoires au sein d’une région du monde en plein développement. À cet égard, l’analyse d’Alfred Marie-Jeanne est juste et m’a beaucoup impressionné… Cette nouvelle organisation aurait conféré à l’université des Antilles des fondations solides qui lui auraient permis d’envisager son développement avec sérénité.

Aussi en première lecture avions-nous estimé que l’un des enjeux majeurs de cette nouvelle gouvernance était sans conteste de prémunir l’université des Antilles d’éventuelles tensions entre ses trois gestionnaires que sont le président de l’université, d’une part, les vice-présidents des deux pôles régionaux, d’autre part – Patrick Hetzel a excellemment évoqué ce point.

Les évolutions apportées sur ce point au Sénat nous semblaient de nature à assurer une solidarité au sein de l’équipe de direction. En effet, l’élection commune de cette équipe par le conseil d’administration de l’université des Antilles, sous la forme d’un « ticket » de candidats préalablement rassemblés, leur aurait permis de travailler en bonne intelligence et d’assurer ensemble la continuité d’une université puissante et ambitieuse.

Nous regrettons vivement que cette disposition, adoptée par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, ait été ici supprimée en séance publique lors de la première lecture car elle aurait permis de garantir la cohérence stratégique et l’unité de l’établissement. Elle aurait également permis de créer des relations de confiance entre le président et les deux vice-présidents, et favorisé l’élaboration d’un projet d’établissement global et cohérent, défendu par le président, ainsi que la mise en place de véritables stratégies.

Au terme de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale et le Sénat, les deux assemblées ont échoué à s’entendre sur ce seul point en commission mixte paritaire. Nous le regrettons.

Le projet de loi qu’il nous est proposé d’adopter aujourd’hui ne contient plus la disposition, introduite à l’initiative du Sénat, tendant à lier l’élection du président de l’université et des deux vice-présidents de pôle universitaire régional sous la forme d’un « ticket » de candidats préalablement formés et soumis au seul vote du conseil d’administration.

Cette suppression est d’autant plus surprenante que feu notre rapporteur Christophe Premat, lors de l’examen du projet de loi en commission, en première lecture, estimait « que la solidarité nécessaire de cette équipe induite par son élection commune par le conseil d’administration de l’université des Antilles sous forme d’un « ticket » de candidats préalablement rassemblés est sans doute l’un des éléments les plus prometteurs pour assurer la continuité d’une université puissante et ambitieuse ». Qu’en pensez-vous aujourd’hui, monsieur le rapporteur Yves Durand ?

En ce qui nous concerne, nous sommes convaincus que l’éclatement de l’université serait particulièrement grave et pénaliserait lourdement la jeunesse antillaise. Mais le ver est dans le fruit…

Nous croyons que la survie de cette université passe par des pôles disposant d’une autonomie renforcée et une gouvernance cohérente et efficace. Or, ces deux éléments, essentiels à nos yeux, ne sont plus garantis.

Nous respectons profondément nos compatriotes antillais et guyanais, nous les aimons et nous voulons que ce qui les distingue – leur histoire, souvent douloureuse, leur culture, leur rapport si particulier avec la nature, leur appartenance à des parties du monde en plein développement et la qualité des relations humaines qu’ils savent entretenir – soit une chance, pour eux et pour l’ensemble de notre pays. Il convient pour cela que leurs enfants puissent s’épanouir à travers un système de formation de grande qualité, notamment dans le supérieur.

Nous doutons aujourd’hui de l’efficacité de ce projet de loi, dont l’équilibre a été bouleversé. Aussi, en l’état, nous ne pourrons malheureusement pas le voter.

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