Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du 20 mai 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Je tiens à saluer le travail de nos collègues : leur exposé très riche témoigne de la bonne entente qui a présidé à leurs travaux. Mais le sujet de la prescription en matière pénale a tout du « serpent de mer » ; il y a de nombreuses années que l'on s'interroge sur le droit à l'oubli. Évoquer cette question nous fait aller d'Auguste à la Révolution française en passant par Saint Louis, comme vous l'avez rappelé. Les règles de prescription sont aujourd'hui peu lisibles et difficiles à appréhender, ce qui est sans doute à mettre au débit du législateur. L'interprétation qu'en font les juridictions et la notion d'ordre public ont également profondément changé.

Nous ne devons pas non plus négliger les évolutions paradoxales de la société : alors qu'internet et les réseaux sociaux voient l'individu revendiquer un droit à l'oubli, la société le récuse collectivement dans la sphère publique. Le phénomène n'est sans doute pas nouveau, mais il connaît une accélération ces dernières années. Sans doute est-ce une conséquence de la considération plus importante dont bénéficient les victimes, ce dont nous devons nous féliciter, mais qui a pour effet d'estomper l'intérêt de la société devant celui de la victime. J'y vois aussi une suite logique de l'idée instillée par certaines séries télévisées américaines, dont il ne faut pas sous-estimer l'impact, qui mettent en scène des enquêtes résolues par la police scientifique laissant penser – dans un droit bien différent du nôtre – que toutes les affaires peuvent être éclaircies, même cinquante ans après les faits.

Malgré ces évolutions, je crois qu'il faut rappeler tout l'intérêt de ce « pardon légal » dont l'abandon serait tout à fait regrettable. Nous ne sommes pas un pays de common law. Pour ma part, je revendique ce droit continental de la prescription, issu de notre histoire et qui façonne en partie notre société. Quelles que soient les accélérations de la vie moderne et la nouvelle place dévolue aux victimes, le trouble suscité par une infraction s'apaise avec le temps. Comme l'ont indiqué nos rapporteurs, le progrès technique n'efface pas complètement la question de la détérioration des preuves et de l'altération des témoignages par l'âge ou par la maladie.

Vos propositions sont, à cette aune, réellement intéressantes. Vous recommandez de conserver le principe d'une prescription, ce que je soutiens, tout en aménageant les durées et le dies a quo. Cette évolution attendue pourrait peut-être éviter, à l'instance, quelques arguties et autres recherches d'éléments en nullité parfois peu convaincantes, même si le succès légal est parfois au rendez-vous. Cette orientation nécessitera une transcription législative que vous saurez, j'en suis sûr, mener à bien.

Je m'interroge sur votre suggestion relative aux crimes de guerre, qui sont par définition insoutenables. Le droit actuel les distingue, en prévoyant leur prescription, des crimes contre l'humanité qui sont imprescriptibles. Aussi le rapprochement des deux régimes me laisse-t-il perplexe : ne risque-t-on pas de banaliser, de donner à penser que tout se vaut et qu'il n'y a pas de gradation entre crimes de guerre et crimes contre l'humanité – ce qui est peut-être, d'ailleurs, une position intellectuellement soutenable ? Une modification de la définition des crimes de guerre n'en résulterait-elle pas nécessairement ? Ce sont des interrogations dont j'ignore les réponses.

En revanche, je m'inscris en faux contre la recommandation d'une modification rétroactive du régime de la prescription. La loi pénale plus rigoureuse ne dispose que pour l'avenir ; c'est un principe intangible. Envisager une application de nouveaux délais à partir de 2010 me semble délicat et même franchement inconstitutionnel. Nous pouvons discuter de l'application future, mais ne touchons pas au passé !

Je veux conclure en rappelant la très grande qualité de ces travaux qui, sans doute, pourront recueillir un très large soutien dans notre Assemblée et dans notre Commission. Plus qu'une base, c'est une première pierre sur laquelle nous pourrons construire efficacement.

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