Intervention de Gilbert Collard

Réunion du 20 mai 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilbert Collard :

Je voudrais commencer par une observation de géographie historique : il ne faudrait pas ne parler que de Pontoise, c'est à Aigues-Mortes que la prescription est née, ville dont j'ai l'honneur d'être le député. (Sourires) Sur le fond, je trouve le travail remarquable et nécessaire : il ouvre le champ à une critique très constructive.

Toutefois, il y a un fondement de la prescription étrangement absent de l'argumentaire des rapporteurs. On croit être moderne, et on en revient finalement à Beccaria qui, dans son Traité, a rappelé que la prescription existait non pas en raison de l'oubli mais parce que le temps qui passe pouvait transformer l'homme. Le criminel poursuivi quinze années après les faits peut ne plus être l'homme du crime. Cicéron l'a également relevé dans nombre de ses plaidoyers. Il faut donc garder à l'esprit que le temps qui s'écoule peut, si la prescription ne l'interrompt pas, nous amener à juger un homme qui n'est plus le même.

Je considère que l'ensemble des propositions des rapporteurs est recevable sur le plan criminel. Sur le plan délictuel, il y a des éléments à discuter. Sur le plan contraventionnel, en revanche, je pense qu'il faut cesser de persécuter les petites gens pour de petites infractions.

Plus généralement, je crains qu'il y ait un danger à l'allongement de la prescription : l'allongement des lenteurs de la justice. Quand on sait la durée des affaires et le poids des procédures judiciaires sur un homme victime ou poursuivi, on peut redouter de donner aux juges une sécurité absolue et la garantie de pouvoir tranquillement s'endormir sur les dossiers. Le sujet, qui ne souffre pas la polémique, mérite d'être débattu.

Par ailleurs, je voudrais savoir si, dans les crimes de guerre que vous rendez imprescriptibles, vous incluez le terrorisme. Le terrorisme doit être imprescriptible, car on sait que, par l'effet des évasions transfrontalières, des terroristes sont parfois retrouvés dix ou quinze ans après les faits. Il faut affirmer que le terrorisme, c'est la guerre, et le faire entrer dans la notion de crime de guerre.

Je suis surpris de la solution que vous préconisez pour les infractions commises à l'encontre de personnes qui n'ont plus leur libre arbitre. Sans libre arbitre, l'individu est un fantôme dans un procès, un fantôme dans son drame. Il est un peu comme le personnage de Goya : il crie mais on ne l'entend pas. J'ai connu personnellement des personnes qui se trouvaient dans cette situation. Il n'est pas possible de les priver, quand elles retrouvent leurs facultés, du droit d'ester en justice. Il faut donc prévoir la possibilité de ne prescrire les infractions commises à leur encontre qu'à partir du moment où elles ont recouvré leur libre arbitre. Je vous demande d'y réfléchir.

Quant à la théorie, presque ecclésiale, de la révélation – il est vrai que notre rapporteur est un spécialiste du droit canonique –, je considère que c'est une jurisprudence pour les maîtres-chanteurs. Elle a son utilité mais peut être très dangereuse. Dans une vie sociale, elle constitue un élément de chantage et de vengeance, souvent utilisé dans les divorces : faire partir la prescription pénale de la révélation des faits me paraît un risque trop grand.

Enfin, j'estime que vous ne prenez pas suffisamment en compte l'honneur et la considération. Pourquoi ne pas rallonger la prescription en matière de diffamation ? Un individu diffamé ne peut agir en trois mois ! Il faut tout de même savoir que, même si la procédure dure pendant un an, l'avocat doit conclure tous les trois mois pour éviter la prescription de l'affaire. Il faut avoir le courage de dire que la presse n'a pas tous les pouvoirs, ni les diffamateurs tous les droits. Lorsqu'un individu se prend une bordée de diffamations et d'injures, il n'a pas le temps de réagir dans un délai si bref. Victime de diffamation, il faut d'abord se remettre avant de pouvoir agir, trouver un avocat et faire l'assignation en justice : or, en trois mois, c'est impossible. L'honneur et la considération méritent donc aussi un rallongement des délais de prescription.

Je suis également contre la rétroactivité de la loi, quelle qu'elle soit. Aucune loi ne devrait rétroagir, mis à part le cas de la rétroactivité in mitius. Car la rétroactivité, c'est l'insécurité totale et le manque de publication, qui ne peuvent être acceptées dans un État de droit humaniste.

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