Intervention de Alain Tourret

Réunion du 20 mai 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur :

Nous allons rédiger dans les semaines qui viennent une proposition de loi. Nous aurons des échanges avec la Chancellerie ainsi qu'avec le parquet général et la première présidence de la Cour de cassation – cela me semble très important. Nous souhaitons aller vite. Notre président saisira ensuite le Président de l'Assemblée nationale afin que le Conseil d'État examine la proposition de loi, tant la matière est importante. Cela nous aidera. Vous nous avez couverts de fleurs mais ce sont les enterrements où l'on est couvert de fleurs. (Sourires) Je me méfie beaucoup d'une telle « floraison ».

Je voudrais répondre à plusieurs observations.

S'agissant d'abord des crimes de guerre, on voit bien que c'est une question très importante. J'ai fait référence à l'année 2010 car c'est à compter de l'adoption de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale que la notion de crime de guerre a été introduite dans notre droit. Sur l'application de la loi dans le temps, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai jamais dit que la disposition serait d'application immédiate car je suis en faveur de la solution inverse. Il faut simplement bien vérifier quel est l'état de la jurisprudence en droit international et quelles sont les obligations internationales de la France en la matière.

Je voudrais dire un mot des nullités en droit pénal. Pourquoi certaines affaires sont-elles si longues à juger ? C'est à cause des nullités. Lorsqu'une instruction paraît être terminée, le juge d'instruction propose aux avocats, en application de l'article 175 du code de procédure pénale, de faire leurs observations dans le délai d'un mois avant que le procureur de la République ne prenne ses réquisitions. Or, que se passe-t-il ? Une dizaine de moyens de nullité est toujours soulevée au dernier moment, souvent le dernier jour. Les avocats spécialisés ne le sont pas pour rien. Il ne faut pas tout rejeter sur la justice. Admettons que certains avocats spécialisés font tout ce qu'ils peuvent pour que la procédure soit prolongée. Lorsqu'un moyen de nullité est soulevé, il faut que le juge puisse y répondre ; ensuite, il peut y avoir appel, ce qui oblige la chambre de l'instruction à se prononcer, puis la chambre criminelle de la Cour de cassation à faire de même. Si celle-ci casse, elle peut le faire sans renvoi mais, généralement, elle saisit une nouvelle cour et l'affaire est ensuite portée devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

MM. Bertrand Louvel et Renaud Van Ruymbeke souhaitent qu'une réflexion soit engagée sur les nullités en droit pénal. Il faut avoir le courage de se poser certaines questions. Les nullités ne devraient interrompre la procédure qu'à la condition qu'elles portent véritablement préjudice – un préjudice démontré. Il faut aussi s'interroger sur la possibilité de confier à la chambre criminelle un pouvoir d'évocation et de l'autoriser à casser sans renvoi ; une autre solution consisterait à confier à la juridiction de jugement le soin de se prononcer sur tous les moyens de nullité soulevés devant le juge d'instruction. Autrement, les procédures sont allongées de trois ou quatre ans. Regardez l'affaire de l'amiante : elle a commencé en 1996, j'en sais quelque chose, j'ai déposé la première plainte. En 2015, le tribunal n'est toujours pas saisi, notamment en raison du nombre de nullités soulevées tout au long de la procédure. Ne fallait-il pas, à un moment donné, tout renvoyer devant le tribunal, qui aurait statué ?

Je sais bien que l'on va me répondre que les moyens de nullité sont des moyens de liberté. On ne transige pas avec la liberté, mais on enterre les affaires. Il faut savoir ce que l'on veut ! En tout cas, ce n'est pas parce que l'on allongera les délais de prescription que l'on allongera la durée des procédures. C'est lorsque l'on aura résolu le problème des nullités que l'on résoudra le problème de la lenteur des affaires les plus complexes.

Je remercie notre collègue Dominique Raimbourg pour ses propos. Consensus et compromis caractérisent en effet notre travail. Je laisserai Georges Fenech répondre sur la question de la sanction de l'inaction de l'autorité judiciaire. C'est essentiel. Pourquoi ? Parce que nous proposons de porter le délai de prescription délictuelle de trois à six ans. Si nous ne prévoyons pas de sanctionner l'éventuelle inaction de la justice, le cours de la prescription risque d'être prolongé de manière excessive. Rappelez-vous qu'en matière criminelle, nous portons le délai à vingt ans. Il est donc indispensable qu'il y ait un délai préfix qui oblige la justice à accomplir des actes. Je ne pense pas que les magistrats interrompront le cours de la prescription de manière artificielle. Quand un dossier est enterré, il est enterré. Les procureurs généraux nous ont demandé de soutenir cette proposition. Les procureurs de la République sont beaucoup plus circonspects car ils s'interrogent sur l'adaptation de leurs moyens à une telle modification. C'est à nous de faire en sorte que le budget permette de répondre aux obligations du droit.

S'agissant de notre proposition de porter le délai de prescription de l'action publique des contraventions à deux ans, nous l'avons faite dans un souci de lisibilité du droit : il s'agissait de doubler les délais de prescription de l'action publique. Nous avons aussi proposé de ramener le délai de prescription de la peine de trois à deux ans, mais nous savons que cela risque de ne pas plaire à Bercy.

En ce qui concerne le terrorisme, le délai de prescription est de trente ans. Tous les spécialistes que nous avons rencontrés nous ont dit que cela ne correspondait à rien car le terrorisme ne se traduit pas par des infractions occultes mais par des infractions commises en plein jour, dont la publicité est immédiate. En revanche, je comprends parfaitement que l'on puisse dire que puisque le terrorisme est un acte de guerre, il doit être traité comme tel. Nous allons y réfléchir.

En ce qui concerne les modifications à apporter à la loi sur la presse, je vous invite à la prudence. La loi de 1881 est avant tout une loi sur la liberté de la presse. Si vous soumettez à une pression très forte l'ensemble de ce secteur, je pense que vous aurez attaqué la notion de même de liberté de la presse. Le délai de prescription de droit commun est de trois mois en la matière. Certaines infractions se prescrivent par un an. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, certaines infractions sont soumises à une prescription de trois ans. Introduire des infractions de presse dans le code pénal aurait pour conséquence de les soumettre à une prescription de six ans, le délai que nous proposons en matière délictuelle. Cela n'est pas envisageable. Il est préférable de ne pas modifier les régimes spéciaux de prescription. Il faudrait, sinon, les examiner un à un. Nous en oublierions forcément certains.

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