Intervention de Francis Vercamer

Séance en hémicycle du 26 mai 2015 à 21h30
Dialogue social et emploi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le texte dont nous commençons l’examen suscitait indéniablement de grandes attentes. Force est de constater que le résultat n’est pas à la hauteur des ambitions affichées.

Comme d’habitude, le souffle des ambitions gouvernementales s’est affaibli au fil des mois pour lever un voile décidément bien léger sur des dispositions bien modestes. De fait, il ne s’agit pas là – si les mots ont un sens – d’un texte de modernisation du dialogue social. Tout au plus peut-on y distinguer des adaptations ou des ajustements.

Pour commencer, on ignore quelle est précisément la conception du dialogue social que développe le Gouvernement. Le groupe UDI a toujours été favorable au dialogue social. La négociation, le dialogue sont les conditions essentielles pour s’assurer que les réformes reposent sur un diagnostic largement partagé et qu’elles sont engagées de façon pérenne. Ce n’est pas faire injure à l’expertise et à la capacité d’innover des partenaires sociaux que d’affirmer que notre démocratie sociale, depuis bien des années, n’est pas en bonne santé.

Or nous avons besoin de syndicats reconnus par leurs pairs, dont la légitimité est incontestable, pour faire évoluer notre droit par le dialogue social. Sans doute faut-il aller plus loin et renforcer l’attractivité des organisations syndicales comme professionnelles. C’est également la nature même des organisations syndicales, fruit de notre histoire, qui est questionnée, et qui pourrait évoluer, ce que nous pouvons souhaiter, vers un syndicalisme de services. De la même manière, l’effet erga omnes des accords collectifs, dont les dispositions sont applicables à l’ensemble des salariés, adhérents ou non à une organisation représentative, n’incite pas à adhérer à un syndicat.

Toutes ces questions sont aujourd’hui posées, avec d’autant plus d’acuité que le dialogue social est un puissant levier de transformation de notre pays. Mais le moins que l’on puisse dire est que ce projet de loi garde sur ces sujets un silence qui laisse songeur.

Il y a quelques jours, une mission installée par le Premier ministre a commencé ses travaux sur la place de l’accord collectif, en particulier l’accord d’entreprise, dans notre droit du travail. Pour notre groupe, la loi doit fixer et assurer le respect des grandes règles d’ordre public social, tandis que la négociation collective pourrait déterminer les règles les plus adaptées aux spécificités de chaque branche professionnelle, voire des entreprises. Nous étudierons donc avec attention les propositions qui émaneront de ces réflexions. Mais le lancement des travaux de cette mission, alors même que nous examinons ce projet de loi, nous place à nouveau devant cette fâcheuse tendance du Gouvernement à fractionner les débats autour d’un même sujet, en les abordant de façon partielle et successive, sans cohérence visible. Or c’est une vue d’ensemble dont nous avons besoin, en particulier sur un sujet aussi important que le dialogue social.

Mais ce n’est pas cela qui étonne le plus. Que ce projet de loi ne réponde pas à des enjeux pourtant bien identifiés comme nécessitant une réponse est très surprenant. J’en veux pour preuve le sujet des seuils sociaux et de leur impact sur l’emploi.

Il y a dans notre pays 2,6 fois plus d’entreprises de 49 salariés que de 50 ; 1,7 fois plus d’entreprises de 19 salariés que de 20 et 1,8 fois plus d’entreprises de 9 salariés que de 10. Vous-même, monsieur le ministre, envisagiez il y a un an de geler l’enclenchement de ces seuils pendant trois ans, afin d’en mesurer l’effet sur l’emploi. Il s’agissait là d’une démarche pragmatique qui avait le mérite de proposer une voie mesurée, sans parti pris, susceptible d’apporter une solution à une problématique qui fait débat.

Mais le projet de loi n’aborde pas la question des seuils d’effectifs. Bien sûr, vous objecterez que les partenaires sociaux n’ont pas souhaité modifier les dispositions touchant aux seuils de 11 et 50 salariés, et qu’il n’est pas possible de légiférer contre leur avis. Mais est-il pour autant interdit au Gouvernement d’expérimenter ? Une expérimentation aurait été la bienvenue pour tenter d’estomper les effets néfastes des seuils sur l’emploi. Mais de cette question, vous avez manifestement fait votre deuil.

Concernant les modifications apportées aux institutions représentatives du personnel, l’objectif de simplification, si tant est qu’il ait été recherché, passe à côté de son sujet. Certes, l’extension de la possibilité de recourir à une délégation unique du personnel, ou la faculté de réunir au sein d’une seule instance les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène et de sécurité, vont dans le bon sens. Mais un nouveau seuil à 300 salariés est créé, alors même que chacun s’accorde à reconnaître que la diversité déjà foisonnante des seuils sociaux est une source de complexité.

Par ailleurs, le projet de loi laisse hors du champ de la simplification les PME, et surtout les TPE, alors qu’elles sont les moteurs de l’activité économique, susceptibles de créer de nouveaux emplois. Au contraire, les TPE héritent, avec les commissions paritaires régionales, d’une obligation supplémentaire. Ces nouvelles instances, dont des amendements adoptés en commission ont dénaturé les missions, ne peuvent être créées sans que soit pris en compte l’effet dissuasif à l’embauche des multiples seuils. La création de ces commissions devrait être accompagnée de mesures de relèvement de certains de ces seuils, sauf à ce que ce projet de loi soit, délibérément, un nouveau signe négatif envoyé par le Gouvernement aux entreprises, particulièrement aux plus petites.

Pour toutes ces raisons, ce projet de loi n’est pas un texte de modernisation du dialogue social. Et l’on peine à croire qu’il puisse favoriser l’emploi et l’activité professionnelle. Nous regrettons que le principe de la création d’un compte personnel d’activité y soit inséré, sans véritable concertation préalable des partenaires sociaux. Manifestement, le Gouvernement a décidé de passer outre les dispositions de l’article 1er du code du travail, alors même que le groupe socialiste s’était érigé en gardien du respect de l’obligation de concertation préalable lors du mandat précédent. Mais il est vrai que vous n’aviez pas voté en faveur du recours préalable systématique au dialogue social, dans le cadre d’une loi qui était, alors, une réelle loi de modernisation.

La transférabilité des droits des salariés est, bien sûr, un enjeu considérable, alors même que les parcours professionnels sont plus divers, les salariés plus mobiles. Mais les contours de votre dispositif restent à préciser et son contenu demeure incertain. Les questions autour de sa faisabilité restent entières, alors même qu’employeurs et salariés commencent seulement à appréhender concrètement la réforme de la formation professionnelle. Par ailleurs, la mise en oeuvre du compte pénibilité, qui n’entrera en vigueur finalement qu’au 1er juillet 2016, reste extrêmement complexe pour de nombreux employeurs.

Pour l’heure, la manière dont s’engage la réflexion autour de cette réforme laisse planer un doute sérieux quant à son appropriation par les partenaires sociaux.

Par ailleurs, le Gouvernement s’apprête à remettre en cause l’un des outils de lutte contre les discriminations à l’embauche qu’est le CV anonyme. Il est pour le moins paradoxal, dans un texte qui veut favoriser l’emploi, de supprimer un outil qui, s’il est bien utilisé, peut aider des personnes sans emploi à faire valoir leurs compétences, leurs savoir-faire et leur parcours auprès d’un employeur ! Ce n’est pas le meilleur signal envoyé par le Gouvernement pour démontrer sa détermination à lutter contre les discriminations ! On peut admettre que le dispositif mérite d’être adapté, qu’il faille mieux définir sa cible. Mais il ne peut être réduit à une coquille vide.

Enfin, la fusion de la prime pour l’emploi – PPE – et du RSA activité en une prime d’activité ne manque pas de soulever de sérieuses réserves, à commencer par le nombre de bénéficiaires de cette nouvelle prime. La PPE et le RSA activité concernaient 8 millions de personnes, quand le nombre de bénéficiaires potentiels de la prime d’activité est estimé à 5,6 millions d’allocataires. De plus, le Gouvernement table sur un taux de recours de 50 %. Même si celui-ci est supérieur au taux de recours au RSA activité, ce ne sont que 2,8 millions de personnes qui seront concernées par la prime d’activité. Pour une réforme de cette ampleur, censée améliorer l’accès aux droits – érigé en objectif national par le Président de la République – on ne peut que s’étonner qu’un tel taux ait été fixé ! D’autant que rien dans le projet de loi ne précise les dispositions qui seront prises pour inciter les personnes potentiellement éligibles à activer leurs droits.

Par ailleurs, l’estimation du nombre des perdants de la réforme – ceux qui ne seront plus bénéficiaires de la PPE – est contestée. Bien évidemment, le risque est de faire supporter aux classes moyennes les plus modestes le coût d’une réforme qui s’adresse, en fin de compte, à un nombre restreint de bénéficiaires.

Monsieur le ministre, pour l’heure, vous n’avez pas convaincu notre groupe de la pertinence des choix opérés pour faire du dialogue social le moteur de la modernisation de notre pays et encourager la création d’emplois. Pour autant, fidèle à sa ligne d’opposition constructive, le groupe UDI aborde ce texte avec la volonté de défendre ses propositions tout au long des débats, afin que le dialogue social soit un véritable levier d’innovation, d’échanges et de créativité, dans l’entreprise comme dans notre société.

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