Intervention de Rémi Pauvros

Réunion du 3 juin 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Pauvros :

Je précise que la première mission dont j'ai été chargé n'était pas une mission parlementaire. Ce rapport m'avait été demandé à l'époque par le secrétaire d'État chargé des transports, Frédéric Cuvillier. La première question posée par Frédéric Cuvillier visait à savoir si nous devions réaliser ce canal ou pas. J'ai eu l'occasion de vous présenter un premier travail de « reconfiguration » du projet pour le rendre soutenable. Le Premier ministre a annoncé, le 26 septembre, à Arras, la décision du Gouvernement de déposer le dossier de demande de participation de la Commission européenne – ce qui a été fait le 28 février dernier – pour obtenir cette participation dans le cadre du mécanisme d'interconnexion en Europe (MIE).

La procédure est en cours. Nous devrions connaître cet été la hauteur exacte de sa participation, mais surtout son échelonnement, sachant que l'engagement à hauteur de 40 %, pris à Tallinn, sera certainement confirmé à Riga dès ce mois de juin à l'occasion de la réunion sur la problématique des transports en Europe.

Le canal Seine Nord Europe, rappelons-le, ne se limite pas au transport en tant que tel : c'est un projet à caractère éminemment économique. C'est un chantier important, même s'il n'a pas l'ampleur du Grand Paris ou de certaines lignes à grande vitesse. Le travail qui m'a été confié visait à savoir comment nous allions le réaliser.

Il s'agit de construire un nouveau modèle conduisant à une politique de transport plus attentive à l'évolution de l'environnement. Le développement, la logistique des entrepôts, le « tout-camion » est une des caractéristiques de ces dernières années. Dans le cas du Nord-Pas-de-Calais, 13 millions de mètres carrés d'entrepôts de plus de 5 000 mètres carrés, c'est-à-dire 4 % par an malgré la crise, sont construits chaque année. La plupart de ces zones ne sont branchées sur le système de transport que par la route. C'est donc une véritable interrogation que nous devons avoir quant à l'avenir du multimodal et à la capacité à faire en sorte que ces zones d'activité aient une autre dimension.

C'est le cas, par exemple, d'Amazon, à Douai, qui vient de réaliser 90 000 mètres carrés pour 200 poids lourds par jour, sans avoir prévu aucune autre perspective logistique. C'est le projet Narval, à Cambrai, sur la zone militaire, où 600 000 mètres carrés d'entrepôts sont prévus, sans autre connexion que la route ou, éventuellement, le ferroviaire.

Se pose également le problème des pics de pollution. Nous pouvons, certes, prendre des mesures d'urgence, comme les pastilles ou la circulation alternée. Mais il est de notre responsabilité de prévoir l'avenir et d'envisager d'autres projets de transports capables de modifier les comportements, s'agissant notamment du fret.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, les poids lourds constituent 20 % du trafic autoroutier, et le transit représente 50 % du trafic poids lourds des autoroutes lilloises. La fin du modèle d'approvisionnement des centres urbains doit aussi être développée. Nous ne pouvons pas imaginer que Paris continue à être desservi par de grands poids lourds semi-remorques à proximité. La démarche de Franprix, à Paris, est un bon exemple de recherche d'un mode de distribution différent ; on peut également évoquer le cas de Majencia, ou le Centre multimodal de distribution urbaine (CMDU), récemment inauguré à Lille, qui sont autant de projets de connexion entre le fluvial, la route et le ferroviaire, pour permettre la distribution dans les grands centres urbains. Autant d'éléments qui peuvent contribuer à diminuer les pics de pollution. Je rappelle que 18 % des pollutions sont liées aux transports, qui ont donc un impact direct sur la vie de nos concitoyens.

Enfin, il s'agit de redonner une compétitivité au fluvial et de reconnaître la nécessité du grand gabarit, avec un effet de seuil entre 600 et 800 tonnes – le transport sur 200 kilomètres revient alors de 10 à 15 euros la tonne – et au-dessus de 1 500 tonnes, c'est-à-dire sur un bateau de cent dix mètres 110 mètres, où le coût tombe à moins de 7 euros la tonne.

Si je prends un exemple concret, aujourd'hui, à Nesle, 75 % de la production d'un céréalier est transportée par camion, avec un coût de 11 euros la tonne. Avec une péniche de 800 tonnes, le coût monte à 15 euros la tonne. Par contre, dès que l'on passe à une péniche de 4 000 tonnes, on arrive à un coût de 9 euros la tonne, ce qui veut dire que le transport fluvial devient compétitif. C'est un gain de 4 euros par tonne sur le canal à grand gabarit. Ce céréalier dont la production est de 4 millions de tonnes par an s'est dit déterminé, si le canal à grand gabarit est construit, à faire passer la quasi-totalité de sa production vers Rouen ou Dunkerque du poids lourd au fluvial.

Il s'agit de donner de la compétitivité à nos ports. Nous y reviendrons certainement à propos de l'avenir du Havre.

Il faut savoir que lorsqu'un porte-conteneurs de 18 000 équivalents vingt pieds (EVP) arrive à quai, au Havre notamment, la moitié des conteneurs déchargés part en camion, ce qui fait 4 000 camions, qui forment une file de soixante-dix kilomètres… Il faut donc développer des infrastructures ferroviaires, mais aussi fluviales, pour évacuer rapidement, aménager un hinterland plus efficace et connecter nos ports à ce grand réseau.

Je propose également de faire de ce canal un exemple de conduite de projet partenariale et participative. Les difficultés de nos procédures actuelles ont été soulignées au regard des événements souvent dramatiques que nous avons connus ces derniers temps, les délais trop longs des enquêtes : sept ans se sont écoulés entre la première enquête publique et le démarrage des travaux pour la LGV Tours-Bordeaux, par exemple. Qui plus est, cette organisation du temps ne permet pas de poser des questions sur le déroulement du chantier. Le Président de la République a demandé, en novembre 2014 d'imaginer, à travers la Conférence environnementale, d'autres procédures pour mener à bien ces projets.

Je propose une procédure extrêmement participative pour faire en sorte que la population soit directement liée à cette réalisation. J'ai, pour ma part, organisé bon nombre de réunions et de rencontres sur les points les plus sensibles du futur chantier. Je propose dans mes conclusions la création de maisons du canal, d'ateliers du canal, d'un observatoire des engagements, et surtout un engagement total sur la transparence qui prévaudra dans la réalisation de ce projet.

Je propose un projet respectueux du développement durable, avec une certification et des objectifs partagés. Si VNF a fait un travail remarquable en la matière, je pense que nous pouvons grandement améliorer les choses. Je soumets des propositions concrètes en ce qui concerne la gestion de l'eau, mais aussi le partenariat avec la profession agricole, notamment pour le terrain des dépôts, la certification pour assurer l'atteinte des objectifs, afin de faire de ce projet un exemple de réalisation d'un projet durable, d'un canal durable, comme j'avais pu le faire dans mon département pour les routes.

Je voudrais ensuite que ce canal soit l'occasion de porter un projet économique pour inciter au report modal.

Je propose de mettre en place une société de projet. Elle pourra être créée rapidement, par ordonnance, dès la promulgation de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques où cette possibilité a été introduite par amendement. L'objectif est de faire participer l'ensemble des partenaires à la réalisation du projet. Il ne s'agit pas de laisser les collectivités territoriales en dehors de la maîtrise d'ouvrage. On ne peut pas leur demander une participation de 1 milliard d'euros sans les associer pleinement au projet.

Cette société n'est pas seulement un élément technique et politique : c'est aussi pour les collectivités une garantie puisqu'elle aura forcément un objectif en matière de résultat, avec la participation de l'ensemble des acteurs. J'ai proposé que soient associés à la maîtrise d'ouvrage la région Normandie et le Val-d'Oise, afin que l'ensemble du projet de canal soit intégré dans les préoccupations de la société.

J'ai également proposé que cette société ait une compétence en matière de développement économique pour gérer au mieux la commercialisation des plateformes et, suivant l'exemple d'HAROPA ou de Medlink sur le Rhône, faire en sorte que l'ensemble du réseau soit géré d'une façon partagée. Il est très important que nous ayons un suivi direct des bateaux et d'être assurés de leur utilisation maximale.

Je propose aussi une contribution au report modal des entrepôts logistiques. Pour les entrepôts qui utilisent exclusivement des camions, je propose que la taxe sur les entrepôts, déjà utilisée en Ile-de-France pour payer le réseau du Grand Paris, soit mobilisée. Le camion est plus souple et moins cher que les autres modes de transport ; si nous ne prenons pas de mesures pour faire réfléchir les porteurs de projets, nous aurons dans l'avenir des projets faisant exclusivement appel aux camions. Un entrepôt de 100 000 mètres carrés en e-commerce représente, je le répète, 200 camions de plus par jour. Il faut donc inciter à utiliser le canal et le ferroviaire. La location d'immobilier en Nord-Pas-de-Calais, c'est 30 à 60 euros le mètre carré par an, les taxes foncières 3 à 8 euros par mètre carré et par an. Quant à la taxe Grand Paris, c'est 1 euro par mètre carré et par an. On pourrait imaginer une taxe de l'ordre de 50 centimes d'euro par mètre carré et par an, et la gratuité si la zone est connectée au ferroviaire et au fluvial. Cela pourrait être une incitation intéressante pour amener au report modal.

Je propose également une étude sur l'utilisation de l'eurovignette sur les autoroutes concédées. Il ne s'agit pas de financer le canal par l'eurovignette, comme le laissait entendre un journal local. Aujourd'hui, chaque consommateur paie une contribution environnementale sur tous les appareils qu'il achète : pour une imprimante, par exemple, de 150 euros l'éco-participation est de 1 euro. On peut imaginer que les poids lourds participent de la même façon, mais à des niveaux extrêmement faibles. Aujourd'hui, 13 000 poids lourds par jour empruntent l'autoroute A1, ce qui fait un camion toutes les dix secondes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On peut imaginer que ces camions étrangers qui traversent nos autoroutes à péage et qui polluent le plus contribuent un peu. Un péage Paris-Lille – 150 kilomètres environ – coûte 46,70 euros pour un 40-44 tonnes. Pour un camion de norme Euro 4, la directive propose, pour l'eurovignette, un coût de 0,03 centime du kilomètre, ce qui représenterait 4,50 euros pour l'ensemble du parcours. Ce qui est important pour le transporteur, c'est le coût à la tonne. Un camion, c'est 25 à 28 tonnes de charge utile. Cela fait 15 centimes d'euros à la tonne entre Paris et Lille quand une voiture d'une tonne paie 16 euros… Ce sont quelques éléments pour dédramatiser cette histoire d'eurovignette. Je ne veux pas réengager le débat sur l'écotaxe, mais simplement dire que si l'on peut récolter 40 à 50 millions d'euros de recettes par an, c'est autant de capacité de remboursement d'emprunt pour la société de projet. C'est peu, mais cela suffira pour boucler un budget ou faire face à d'éventuels surcoûts. Telle est la proposition qui peut être faite actuellement. Nous sommes en contact avec les services européens de la Commission européenne ; le ministre fera, ou non, bon usage de mes préconisations.

Il s'agit, non pas d'imaginer un projet qui concerne le fluvial, mais un projet qui concerne la multimodalité, une évolution, une modernité du transport. Ce qui va vite n'est pas forcément moderne. Je pense à l'engouement pour le TGV : c'est effectivement une belle réussite en matière technologique, mais nous en connaissons aussi le coût et les impacts. Ce que je propose est un projet moderne parce qu'il est sûr et que son impact écologique est extrêmement limité. C'est un projet qui relève avant tout du développement durable et je le présente comme tel. L'ensemble des auditions que j'ai menées me conforte dans l'idée qu'il faut, sur ce plan, être d'une exigence absolue.

C'est aussi un projet indispensable sur le plan économique. Dans mon premier travail, j'avais avancé le chiffre de 50 000 emplois à terme créés tout au long du canal. Je crois mes estimations extrêmement raisonnables au regard de ce que j'ai pu avoir comme sollicitations de la part d'un certain nombre d'investisseurs potentiels. C'est enfin pour nos ports un enjeu essentiel, car leur hinterland reste à mon avis un des éléments majeurs de leur compétitivité et leur permettra de résister à la concurrence d'Anvers et de Rotterdam.

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