Intervention de Gilda Hobert

Séance en hémicycle du 8 juin 2015 à 17h00
Juste appréciation des efforts en matière de défense et d'investissements publics dans le calcul des déficits publics — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilda Hobert :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes invités à nous prononcer sur la proposition de résolution européenne déposée par plusieurs de nos collègues socialistes visant à modifier les modalités de calcul des déficits publics en fonction des efforts réalisés par les États membres dans deux secteurs, la défense et les investissements publics.

Cette idée, plus particulièrement promue par la France, a cheminé de façon tangible au cours des derniers mois parmi nos partenaires européens, en particulier au sujet des dépenses de défense et doit résolument figurer à l’ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin prochains. Les auteurs de la proposition rappellent en effet certains objectifs essentiels de l’Union européenne énoncés à l’article 3 du traité qui l’instaure, selon lequel l’Europe « contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’Homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la Charte des Nations unies ».

Ce cadre général engage l’ensemble des pays de l’Union européenne. Néanmoins, les États membres présentent des niveaux d’engagement concret très divers et donc des efforts budgétaires également bien variables. La France, tout particulièrement, s’est engagée depuis l’élection de François Hollande en 2012, sous mandat des Nations unies, dans de vastes opérations extérieures de maintien de la paix visant également à lutter contre le terrorisme, au bénéfice de l’ensemble du territoire européen. Toutefois, cette donnée essentielle n’est pas prise en compte par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, signé en mars 2012 par les États membres de l’Union européenne – à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque. Cet accord intergouvernemental régi par le droit international comporte des engagements pris par les États contractants afin de « renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire » et de « renforcer la coordination de leurs politiques économiques et améliorer la gouvernance de la zone euro ».

En effet, après la crise des subprimes survenue en 2008, de nombreux États de l’Union européenne se sont trouvés dans l’incapacité de respecter les règles fixées par le pacte de stabilité et de croissance, consolidé en 2011 par le six-pack, lequel renforce la procédure de surveillance des indicateurs macroéconomiques nationaux et a mis en place un mécanisme de sanctions beaucoup plus fermes. L’Union européenne a pris des mesures supplémentaires avec la signature du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, qui prévoit l’introduction dans le droit national des États membres de procédures garantissant le respect d’une règle d’or, définie comme une règle d’équilibre structurel. Le traité s’appuie sur la notion de solde structurel annuel des administrations publiques et exclut ainsi les variations conjoncturelles et les mesures ponctuelles et temporaires.

Il a été transposé en droit français par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques du 17 décembre 2012, qui a donné lieu, ici même, à des débats nourris sur l’opportunité de tels carcans normatifs en l’absence durable de dynamisme économique.

Le renforcement de la discipline budgétaire est ainsi devenu la règle. Le principe novateur du texte, énoncé à l’article 3, qui fixe les principales dispositions ayant trait à la discipline budgétaire, est l’introduction d’une règle d’or. L’article 3 du traité pose en effet le principe selon lequel la situation budgétaire des administrations publiques – État, collectivités locales et administrations de sécurité sociale – est soit en équilibre, soit en excédent. L’équilibre est considéré comme atteint si le déficit structurel de l’État membre ne dépasse pas l’objectif, à moyen terme, de déficit qui lui est propre, dans la limite de 0,5 % du PIB pour les pays dont la dette publique excède 60 % du PIB. Si la dette publique d’un État est inférieure à 60 % du PIB, l’autorisation de déficit structurel est doublée et atteint 1 %. Par déficit structurel, on entend le solde budgétaire corrigé des variations de la conjoncture. La règle prévue par le traité complète donc la disposition du pacte de stabilité et de croissance disposant que le déficit effectif – c’est-à-dire conjoncturel et structurel – des États membres ne peut excéder 3 % du PIB.

Ce renforcement de la discipline budgétaire fait toutefois l’objet d’exceptions, en cas de « faits inhabituels » ou de « grave récession économique » : le c) de l’article 3 dispose que « les parties contractantes ne peuvent s’écarter temporairement de leur objectif respectif à moyen terme ou de la trajectoire d’ajustement propre à permettre sa réalisation qu’en cas de circonstances exceptionnelles ». Selon le b) du 3. de l’article 3 du traité, « les "circonstances exceptionnelles" font référence à des faits inhabituels indépendants de la volonté de la partie contractante concernée et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou à des périodes de grave récession économique telles que visées dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, pour autant que l’écart temporaire de la partie contractante concernée ne mette pas en péril sa soutenabilité budgétaire à moyen terme. » Ces dispositions permettent ainsi aux gouvernements de l’Union qui maintiennent leurs efforts structurels de déroger, avec l’accord de la Commission, aux carcans du traité et d’éviter les sanctions économiques associées en demandant des reports de leurs objectifs de déficit nominal de moyen terme.

Toutefois, rien dans le traité ne se rapporte, comme le remarquent justement les auteurs de cette proposition de résolution, aux efforts relatifs réalisés respectivement par les États membres en matière de défense afin de contribuer à la réalisation des objectifs généraux du traité sur l’Union européenne, notamment ceux visant le maintien de la paix et la lutte contre le terrorisme. Or ce n’est pas un mince sujet, tant les surcoûts annuels des opérations militaires extérieures françaises – les OPEX – engagent des montants importants : 873 millions d’euros en 2012, affectés principalement au maintien des opérations en Afghanistan, 1,25 milliard d’euros en 2013, année de l’opération Serval au Sahel et au Mali, et encore 1,12 milliard d’euros en 2014, avec, entre autres, l’opération Sangaris en République centrafricaine. Ces opérations non budgétées font l’objet d’un financement interministériel et ne pèsent pas sur le seul budget de la défense. Malgré tout, sur l’ensemble du PIB national, l’effort budgétaire de la France en matière de défense est considérable, puisque, depuis plusieurs années, il est légèrement supérieur à 1,50 % ; il n’est que de moitié en Italie et des deux tiers en Allemagne.

Ainsi, ces opérations conduites sous mandat de l’ONU fondent une inégalité de situation entre les partenaires européens que dénoncent les auteurs de la proposition de résolution, ce sur quoi nous les rejoignons, comme nous rejoignons le Gouvernement. En effet, ces disparités, stables dans le temps, peuvent être considérées comme structurelles et légitiment donc la demande d’une révision de la définition de l’assiette du déficit public structurel, qui figure à l’article 2 du protocole no 12 du traité sur l’Union européenne, afin qu’elle repose également sur une juste appréciation des efforts consentis au titre des OPEX.

Le second sujet que soulève cette proposition de résolution concerne les conclusions de la Commission européenne remises le 3 juillet 2013 aux exécutifs nationaux, en vue de l’exclusion des investissements publics du calcul des 3 %, conclusions qu’il s’agirait maintenant d’inclure au protocole du traité. Cette idée, également essentielle et évoquée de manière récurrente, a été défendue par de nombreux économistes et élus avant d’être reprise par la Commission européenne, dans un contexte de reprise économique atone dans l’ensemble de l’Union.

La nouvelle interprétation par la Commission européenne de la flexibilité du pacte budgétaire, présentée dans une communication du 13 janvier de Pierre Moscovici et Valdis Dombrovskis, va en ce sens, même si elle est limitée à certains investissements et ne concerne que les pays dont le déficit public nominal est inférieur à 3 %. Les auteurs de la présente proposition de résolution demandent donc que cette communication soit révisée pour qu’elle s’applique indépendamment de la situation économique de l’État membre. En cas de croissance faible, et pour préserver le niveau d’investissements, l’ensemble des États membres pourraient ainsi déduire de leurs calculs les dépenses réalisées pour le cofinancement de projets européens sur leur sol, issus des fonds régionaux ou du futur Fonds européen pour les investissements stratégiques.

Vous l’aurez compris, le groupe RRDP soutient fermement cette initiative et votera en faveur de cette résolution européenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion