Intervention de Philip Cordery

Séance en hémicycle du 8 juin 2015 à 17h00
Prévention et lutte contre le tabac — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac vous est présentée dans le texte adopté par la commission des affaires sociales, lui-même conforme au texte amendé par la commission des affaires européennes. C’est en qualité de rapporteur de ces deux commissions que je m’exprime.

La consommation de tabac constitue la première cause de décès prématuré en Europe : selon le périmètre des affections prises en compte, le tabac tue entre 650 000 et 750 000 Européens chaque année, soit plus que la population du Luxembourg. On estime que le tabac tue entre 73 000 et 90 000 fumeurs par an en France. Pour notre pays, le coût social du tabac est estimé à 47 milliards d’euros par an alors que la fiscalité du tabac représente seulement 11 milliards d’euros de recettes en 2014.

Nous le savons, dans l’espace européen, les actions de lutte contre le tabagisme sont fragilisées par la disparité des politiques nationales et en particulier par les différences de prix du tabac dans les différents États membres.

La coordination de l’action au plan européen, et en particulier entre États frontaliers, paraît donc indispensable. Mais affirmer l’importance d’une harmonisation par le haut en Europe ne constitue en aucun cas un argument pour négliger les possibilités que nous offre d’ores et déjà la législation nationale. C’est la raison pour laquelle, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé, nous avons refusé de faire de la coordination européenne un préalable à toute mesure ambitieuse. Notre majorité a résolument refusé l’inaction.

Au contraire, nous avons choisi de faire de la lutte contre le tabagisme un des domaines d’action prioritaire de la prévention en santé. Nous avons adopté des mesures extrêmement volontaristes pour mettre en oeuvre le programme national de réduction du tabagisme et aller au-delà de mesures de coordination déjà prévues au plan européen.

Cette impulsion nouvelle au niveau national autorise notre pays à appeler nos partenaires européens à être plus ambitieux contre le tabagisme.

S’agissant du tabac, les traités européens pâtissent d’une ambiguïté, pour ne pas dire une contradiction : le tabac constitue en premier lieu une marchandise licite et bénéficie à ce titre des garanties de la libre circulation. Mais en même temps il est reconnu par l’Union européenne comme un fléau de santé publique. L’Union européenne a donc réglementé les produits du tabac ainsi que les droits assis sur leur consommation, au même titre que pour les autres produits, mais l’Union a également adopté des actes visant à développer les espaces non-fumeurs, à lutter contre le commerce illicite et à développer les campagnes antitabac. En matière de santé publique, il s’agit au demeurant d’une simple compétence d’appui aux États membres.

La lutte contre le tabagisme nécessite d’actionner deux leviers : d’une part les mesures de santé publique qui préviennent l’entrée ou aident à sortir du tabagisme et d’autre part, l’action sur le prix du tabac, dans lequel les taxes sont déterminantes. C’est sur ce second point que la situation est la plus délicate au niveau européen.

Nous le savons, des augmentations importantes des prix permettent d’obtenir des baisses significatives de la consommation de tabac : en dernier lieu, cela a été illustré en France par le plan cancer engagé en 2003 et 2004. Une hausse rapide du prix atteignant 40 % a alors entraîné une baisse des ventes de près de 30 %.

Mais depuis 2007, la diminution de la consommation de tabac s’est interrompue, et on peut même constater une hausse. Parmi les adultes, la consommation quotidienne de tabac a augmenté de deux points entre 2005 et 2010 pour atteindre 30 %. Chez les jeunes âgés de 17 ans, elle dépasse 31 %, soit une augmentation de 2,6 points en trois ans à la fin de la dernière décennie.

Or nous rencontrons aujourd’hui des difficultés à mobiliser de nouveau l’outil tarifaire. Nous en connaissons la cause : le commerce hors réseau, alimenté à la fois par la contrebande organisée par les industriels et par les ventes transfrontalières licites résultant des différences de prix de chaque côté de la frontière.

Dans les pays d’Europe occidentale au niveau de vie comparable, le prix du paquet de cigarettes le plus demandé s’étale de 4,80 euros au Luxembourg à 9,94 euros au Royaume-Uni. En France, ce prix est de 7 euros : il est donc plus élevé que chez chacun de nos voisins d’Europe continentale – 5,47 euros en Belgique ou en Allemagne, 4,75 euros en Espagne.

Différents facteurs entrent en ligne de compte. Si le prix fixé par les producteurs est libre, il tient compte du niveau de vie des populations et fait toujours l’objet d’un agrément, de droit ou de fait, par les autorités nationales. Cependant, à niveaux de vie équivalents, c’est la fiscalité, dont la part dans le prix de vente varie de près de 20 points entre pays comparables, qui joue un rôle décisif. Par exemple, le minimum de perception pour 1 000 cigarettes est de 210 euros en France, mais de 105 euros au Luxembourg, 128 euros en Espagne ou 137 euros en Belgique.

On mesure les effets de ces différences pat l’écart entre le chiffre d’affaires lié au tabac par fumeur enregistré par le réseau des buralistes en zones frontalières et ce même chiffre d’affaires sur le reste du territoire. Pour une dépense annuelle d’environ 300 euros par fumeur, l’écart était de 12 euros en 2002 mais a atteint 76 euros moins de dix ans plus tard : il a donc été multiplié par plus de six. Cet écart représente un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros, absorbés par le commerce transfrontalier, soit près de 200 millions de paquets de cigarettes.

L’harmonisation par le haut ne peut venir que de la coopération entre États. Les décisions en matière de droits d’accises sur le tabac sont régies par la règle de l’unanimité, et l’Union européenne ne dispose pas de compétence fiscale permettant de définir, par exemple, des taux de taxes additionnelles sur le prix du tabac.

La directive de 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés comporte des mesures très limitées : l’accise globale minimale sur les cigarettes a été portée de 57 % à 60 % du prix de vente, et le niveau minimal des droits sur le tabac à rouler passera de 47 euros par kilo en 2014 à 67 euros en 2020.

Nous ne pourrons apporter une réponse à la hauteur du défi sanitaire auquel nous sommes confrontés que si les États membres coordonnent véritablement leur action en matière fiscale. Aussi cette proposition de résolution appelle-t-elle à l’harmonisation des politiques menées au sein de l’Union européenne dans les différents domaines de la lutte contre le tabagisme.

Tout d’abord, l’aboutissement ultime de la lutte contre toute publicité pour le tabac est la mise en place du paquet neutre. La proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de fournir à l’ensemble des États membres des éléments d’évaluation a posteriori de l’introduction du paquet neutre par certains États membres. Dans la mesure où certains États auront adopté le paquet neutre et que d’autres se seront contentés de mettre en place le paquet « directive », la Commission européenne pourra comparer les effets respectifs de ces deux paquets en matière de santé publique, mais aussi analyser leurs conséquences sur le commerce transfrontalier ou sur la contrebande. Cette demande d’évaluation est d’ailleurs cohérente avec l’article 5 duovicies du projet de loi de modernisation de notre système de santé adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, issu d’un amendement de notre collègue Bernadette Laclais, qui prévoit la remise d’un rapport sur les effets du paquet neutre.

Logiquement, la proposition de résolution invite également le gouvernement français à promouvoir le paquet neutre auprès de ses partenaires européens.

Mes chers collègues, ceux d’entre nous qui ont refusé l’adoption du paquet neutre, par crainte de voir la France s’engager seule dans cette voie en Europe continentale, devraient à tout le moins soutenir cet aspect de la proposition de résolution. Puisque le paquet neutre sera appliqué en France, autant s’assurer que le Gouvernement s’efforcera d’y rallier le plus grand nombre de nos partenaires européens, en particulier nos voisins, afin de maximiser les effets de la mesure. Au demeurant, la France n’est pas seule dans ce combat : elle pourra s’appuyer sur l’action du Royaume-Uni ou de l’Irlande.

Par ailleurs, la proposition de résolution mobilise l’outil tarifaire en appelant à une harmonisation par le haut de la fiscalité, avec une attention particulière pour les zones frontalières. Malgré les contraintes budgétaires, le texte invite la Commission européenne à accroître sa participation financière aux campagnes nationales de lutte contre le tabac. En raison des spécificités du rapport social au tabac dans les différentes nations européennes, cette approche paraît plus efficace que d’engager des campagnes de prévention au niveau européen. Elle est, en outre, conforme au principe de subsidiarité.

Cette politique doit être complétée par un renforcement de la lutte contre les achats transfrontaliers illicites de tabac. L’article 18 de la directive du 3 avril 2014 autorise les États membres à interdire la vente à distance transfrontalière de produits du tabac destinés aux particuliers. Cette mesure est largement transposée par la France : en dernier lieu, l’article 93 de la loi de finances rectificative pour 2014 interdit et réprime non seulement la vente – ce qui était déjà le cas –, mais aussi l’achat à distance de tabac. Cet article définit également les moyens opérationnels utilisables par les services des douanes, en liaison avec les sociétés de distribution. Mais la coopération entre les administrations des douanes des différents États membres peut encore être améliorée : la proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de préciser les modalités pratiques de mise en oeuvre de cette interdiction.

Enfin, je salue l’initiative de notre collègue Michèle Delaunay, qui a proposé, lors de l’examen de ce texte par la commission des affaires européennes, l’ajout d’un ultime alinéa appelant la Commission européenne « à élaborer des recommandations destinées à harmoniser les procédures civiles en matière de recours des victimes du tabac et à promouvoir les actions de groupe ». La procédure civile relève de la compétence nationale : l’Union européenne ne peut donc émettre que des recommandations, mais nous aurons tout à gagner à comparer les approches nationales afin de mieux contrer les stratégies des multinationales.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de résolution européenne.

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