Intervention de Jean-Pierre Maggi

Séance en hémicycle du 9 juin 2015 à 15h00
Statut accueil et habitat des gens du voyage — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Maggi :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui vise à trouver une solution globale et efficace aux difficultés sociales rencontrées par les gens du voyage en raison de leur statut, des conditions de leur accueil et des règles applicables à l’habitat.

La loi du 16 juillet 1912, encadrant l’exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades, avait mis en place les carnets anthropométriques d’identité. Ces carnets, sorte de passeports intérieurs pour les personnes nomades en France, permettent de justifier d’un mode de vie itinérant et consignent des éléments comme la taille, la hauteur du buste, la longueur et la largeur de la tête, des oreilles, des pieds ou des mains. Ce document était inspiré des méthodes utilisées par Alphonse Bertillon dans les années 1880 pour le fichage des criminels. Toutes les personnes qualifiées de « nomades », de « sans domicile ou résidence fixe » ou de « gens du voyage » ont l’obligation de détenir un titre de circulation, qui atteste de l’exercice d’une activité ambulante et d’un mode de vie itinérant, mais qui permet aussi de justifier d’une identité, même si ce document ne peut remplacer la carte nationale d’identité.

Par la suite, la loi du 3 janvier 1969 a prévu, pour les gens du voyage, l’attribution de livrets ou carnets de circulation, régissant le statut actuel applicable aux gens du voyage. Enfin, diverses lois ont prévu les dispositions applicables aux gens du voyage en ce qui concerne le droit au logement. Ainsi, la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement et la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ont encadré les obligations pesant sur les communes dans le cadre de l’accueil des gens du voyage.

Or la décision du Conseil constitutionnel du 5 octobre 2012, concluant à la conformité à la Constitution du principe des titres de circulation attribués aux gens du voyage, sous réserve de trois dispositions jugées discriminatoires, confirme l’existence de ces documents spécifiques pour une catégorie de la population. Le Conseil constitutionnel a refusé de juger contraire à la Constitution le principe de l’existence des titres de circulation pour les gens du voyage, étant donné qu’ils permettent « l’identification et la recherche de ceux qui ne peuvent être trouvés à un domicile », sans introduire « aucune discrimination fondée sur une origine ethnique ».

En France, les termes « gens du voyage », « Roms » et « Tsiganes » sont utilisés indistinctement, alors qu’ils recouvrent des réalités différentes. Le statut de « gens du voyage » a été créé et défini par l’administration en 1969, puis par la loi de juillet 2000. Il qualifie les populations qui résident habituellement en abri mobile terrestre – caravane ou mobile-home. Elles ont la nationalité française et sont en possession d’un titre de circulation. Cette difficulté d’appréhension des notions est renforcée par le fait que d’autres pays européens utilisent le terme « Roms » pour désigner l’ensemble des populations tsiganes. Seules la France et la Belgique recourent à l’utilisation de la notion de « gens du voyage ».

La loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions dispose que : « La lutte contre toutes les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation. » Ainsi, nous ne pouvons que nous féliciter des dispositions contenues dans cette proposition de loi visant à l’amélioration du statut personnel des gens du voyage. Cette catégorie administrative, très contraignante, est totalement excessive et discriminante par rapport aux règles applicables aux autres citoyens français, sédentaires, et il apparaissait urgent et nécessaire de remettre en cause ces contraintes.

De même, nous sommes satisfaits des dispositions relatives aux conditions d’inscription sur les listes électorales et du passage à six mois de rattachement pour pouvoir être inscrit sur les listes électorales. Le délai de trois ans de rattachement à la commune d’accueil paraît en effet trop long et totalement disproportionné par rapport aux conditions applicables aux autres électeurs français, à savoir un minimum de résidence de trois mois dans la commune.

Toutefois, nous sommes inquiets quant aux obligations imposées aux communes en matière d’aires de stationnement des gens du voyage. En effet, si les débats relatifs à la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – la loi NOTRe – visent déjà à donner compétence obligatoire aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération en matière d’aménagement des aires d’accueil des gens du voyage, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui renforce encore les obligations des communes.

Ainsi vise-t-elle au renforcement des moyens de mise en place des aires d’accueil des gens du voyage, en conformité avec le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage. Nous nous félicitons, monsieur le rapporteur, de votre amendement tendant à établir un lien entre le schéma départemental et le plan local d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées. Cela va dans le sens d’une plus grande cohérence des politiques locales. En outre, les pouvoirs du préfet sont renforcés pour permettre l’évacuation forcée des résidences mobiles stationnant illégalement en cas d’existence de places disponibles dans des aires d’accueil à proximité.

Cependant, nous estimons que les règles imposées aux communes et aux intercommunalités en matière d’accueil des gens du voyage sont trop contraignantes financièrement, tant en matière de fonctionnement qu’en matière de gestion – quand les services de l’État ne font pas, de surcroît, obstacle à la volonté des communes de se conformer à leurs obligations ! Les communes doivent mettre en place des zones réservées à l’accueil de ces populations, payer les dommages causés par un usage particulier des infrastructures mises à disposition, mais aussi payer les fluides de ces zones. Les frais de construction et de gestion des aires de stationnement grèvent les finances publiques locales des communes, alors même que celles-ci se trouvent dans des situations budgétaires contraintes.

Si l’on considère, comme le fait la Cour des comptes, que l’État se désengage de ses responsabilités en transférant ses obligations de construction et de gestion des aires d’accueil aux collectivités territoriales sans pour autant leur donner les fonds nécessaires pour prendre en charge cette responsabilité, il est légitime que ces collectivités locales demandent au Gouvernement que les terrains correspondant aux aires d’accueil soient intégrés au titre des logements sociaux en vertu de la loi SRU.

Monsieur le rapporteur, c’est parce que la mise en oeuvre de la législation issue de la loi Besson n’est pas satisfaisante que la proposition de loi que vous nous proposez est utile. Je dirais même qu’elle est courageuse. Vous avez essayé honnêtement d’aboutir à un texte équilibré en attribuant des droits supplémentaires aux élus locaux en cas d’occupation illégale sur des terrains. Pour autant, certaines dispositions adoptées en commission nous paraissent inopportunes. Je pense notamment au mécanisme de substitution à mettre en oeuvre en cas de fermeture temporaire d’une aire permanente d’accueil. Cela revient purement et simplement à imposer la création de deux aires quasi permanentes dans chaque commune, ce qui ajoute évidemment une contrainte supplémentaire.

Dominique Baudis, qui était alors Défenseur des droits, avait demandé aux parlementaires d’agir après que le Conseil constitutionnel, par sa décision du 5 octobre 2012, avait imposé une réécriture du texte. Vous avez, mes chers collègues, pris acte de cette invitation, malgré les divergences politiques. Même si nous estimons que les dispositions que vous souhaitez mettre en place ne satisferont pas aux besoins de l’ensemble des réclamations et des obligations pesant sur les pouvoirs publics, nous saluons les avancées contenues dans ce texte et rendons hommage à votre esprit de mesure et de conciliation, monsieur le rapporteur.

Pour toutes ces raisons, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera cette proposition de loi tout en veillant à ce que les discussions parlementaires en améliorent encore les dispositifs, puisqu’il s’agira notamment de respecter les équilibres entre les exigences de ce texte, l’attitude des services de l’État, les possibilités économiques et les contraintes urbanistiques des collectivités locales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion