Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 6 mai 2015 à 17h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche :

J'aimerais d'abord clarifier un point pour éviter tout malentendu. L'enquête de Mme Dounia Bouzar que j'ai évoquée est une étude bien précise, portant sur des jeunes partis faire le djihad ou ayant manifesté le souhait de le faire : il ne s'agit pas du tout des mêmes que les 536 cas signalés. J'ai par ailleurs moi-même déploré l'absence d'enquêtes qui puissent venir compléter, conforter ou infirmer ses conclusions. Il ne s'agissait que d'un élément parmi d'autres que je soumettais à votre réflexion.

Pour le reste, oui, nous devons renforcer la laïcité à l'école, de manière générale, et non, cela ne peut passer uniquement par le fait d'apposer une charte de la laïcité sur un mur. Nous ne devons pas seulement imposer la laïcité aux élèves. C'est important, assurément : l'école doit être en quelque sorte sanctuarisée ; en effet, on y transforme les enfants en élèves et ils doivent, pour développer leur esprit critique, y laisser de côté tous leurs atours religieux, confessionnels ou autres, pour grandir en futurs citoyens. Mais il faut aussi faire aimer la laïcité. C'est essentiel, et c'est la raison pour laquelle nous devons dissiper certains malentendus quant à ce qu'elle est, en rappelant quelque chose que l'on peut expliquer aux élèves, ce pourquoi nous formons des enseignants : il s'agit d'une chance, la chance laissée à tout citoyen, en France, d'avoir la confession de son choix – ou aucune –, et la neutralité de l'État et des pouvoirs publics à l'égard des confessions ou de l'absence de confession. En d'autres termes, aucun individu ne pourra être favorisé ni défavorisé par la puissance publique du fait de sa confession.

La laïcité s'apprend aussi dans chacun des cours que les élèves sont amenés à fréquenter, notamment dans l'enseignement laïque du fait religieux que l'on rencontre souvent plus particulièrement en histoire. Nous veillerons donc, je le répète, à ce que cet enseignement non seulement se retrouve dans les futurs programmes d'histoire, mais y soit renforcé. Il est nécessaire, en effet, que les élèves connaissent le fait social, historique, que représentent les religions, pour porter un regard éclairé sur elles. Il s'agit là de leur transmettre non une foi, mais une connaissance de la réalité historique, culturelle et sociale des religions.

Au-delà de cet enseignement de la laïcité, le parcours citoyen a vocation à faire des élèves de futurs citoyens, en leur apprenant les valeurs de la République, et d'abord la liberté, l'égalité, la fraternité ; et à les faire participer, au sein de leur établissement scolaire, à certaines activités qui donnent tout son sens à l'expression de « rite républicain », parce qu'elles leur font vivre l'expérience de la République. Nous avons par exemple prévu que chaque établissement s'engage à célébrer une journée de commémoration avec ses élèves, et ce dans le cadre d'un projet éducatif : il ne s'agit pas seulement d'être là le jour J et de chanter La Marseillaise, même si cela fait partie de la démarche. C'est une manière d'aborder, de comprendre et de s'approprier l'histoire de France, en vue d'adhérer aux valeurs républicaines qui sous-tendent ces célébrations et les rites qui les accompagnent.

Ce parcours citoyen est en construction, et je vous invite à participer au processus. Je n'ai pas eu connaissance des travaux auxquels vous avez référence, monsieur le député, mais j'en suis évidemment tout à fait preneuse. Dans le cadre de la mobilisation du mois de janvier, nous avons demandé aux établissements de revoir leur projet d'école et d'établissement pour y intégrer cette nouvelle donne. D'où les éléments que j'ai mentionnés : règlement intérieur, charte de la laïcité à faire signer par les parents, introduction des rites républicains. Mais, je le répète, ce travail est en cours et nous sommes naturellement ouverts à vos suggestions.

Monsieur le président, il me semble que, pour défendre la laïcité et la faire aimer aux élèves, nous devons en toute chose garder de la mesure. Par exemple, on ne peut pas prétendre que c'est au nom de la longueur d'une jupe que l'on exclurait une jeune fille d'un établissement. Tel était le sens de mon propos. En réalité, d'ailleurs, dans l'établissement dont nous parlons, il n'y a pas eu d'exclusion ; je sais que les médias se sont très rapidement émus à cette idée, mais elle était fausse. En outre, ce n'est pas en raison de la longueur ou de la couleur de sa jupe que l'élève a été convoquée et qu'on lui a demandé l'ouverture d'un dialogue éducatif avec ses parents – puisque c'est bien de cela qu'il s'agit –, mais à cause d'un prosélytisme affiché, qui, en l'occurrence, ne passait pas nécessairement par la tenue vestimentaire, et qui doit absolument être combattu dans tous les établissements scolaires. Je suis très claire sur ce point.

Ce qui me permet de faire le lien avec la question des mères accompagnatrices. Notre position est que nous devons être intransigeants face au prosélytisme et aux provocations ; voilà pourquoi la fameuse circulaire Chatel est maintenue, afin de permettre aux équipes éducatives et aux chefs d'établissement de s'opposer fermement à toute dérive prosélyte, laquelle peut d'ailleurs être religieuse, politique, ou autre. Bref, les digues qui permettent de protéger la laïcité à l'école sont là. En revanche, le respect du droit des parents – dès lors que le Conseil d'État, dont vous connaissez la décision par coeur, a précisé que, n'étant pas des collaborateurs du service public, ils ne sont pas soumis à l'obligation de neutralité religieuse – nous amène à considérer que, s'ils manifestent leur bonne volonté pour accompagner des sorties, sans se livrer au moindre prosélytisme, s'ils désirent coopérer avec l'école, nous devons les accueillir, réagir par le dialogue et non par la fermeture. On sait, en effet, ce que la fermeture entraîne, notamment dans l'esprit des enfants : lorsqu'ils ont le sentiment que c'est uniquement à cause de leur religion que leurs parents sont mis de côté et stigmatisés, on en connaît les conséquences, en particulier la difficulté à les « raccrocher » ensuite au concept même de laïcité. En somme, nous luttons contre toutes les dérives, mais nous permettons aux parents de bonne volonté qui souhaitent coopérer avec l'école de le faire, nous en remettant à cet égard au discernement des équipes éducatives sur le terrain, issu de leur expertise.

3 commentaires :

Le 29/09/2015 à 16:18, laïc a dit :

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"mais à cause d'un prosélytisme affiché, qui, en l'occurrence, ne passait pas nécessairement par la tenue vestimentaire"

On parle dans le vague : par quel mode opératoire était fait ce prosélytisme ? On ne peut pas dire qu'un élève fait du prosélytisme sans rentrer dans les détails de ce prosélytisme. On aimerait plus de détails.

Par ailleurs, il y a beaucoup d'élèves qui font une sorte de prosélytisme dans les cours de récréation en tentant de culpabiliser les élèves qui mangent du cochon, j'ai moi-même été au courant de tels comportements. Pourquoi la ministre ne met-elle pas les points sur les i pour dénoncer ces agissements avérés, ou en les prévenant en faisant des communications auprès des élèves, par le biais des institutrices, qui leur enjoindraient de ne pas se comporter de la sorte envers leurs camarades ? Les pressions religieuses pour adopter tel ou tel comportement, qui sont des actions prosélytes avérées, doivent être dénoncées et punies comme il convient.

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Le 31/03/2017 à 22:33, Laïc1 a dit :

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" Il est nécessaire, en effet, que les élèves connaissent le fait social, historique, que représentent les religions, pour porter un regard éclairé sur elles. Il s'agit là de leur transmettre non une foi, mais une connaissance de la réalité historique, culturelle et sociale des religions."

Un regard éclairé, ou un regard critique sur les religions ? Et comment un regard serait éclairé s'il n'est pas critique ? Un regard qui se dit éclairé en omettant toute critique ne sera qu'un regard aveuglé, par le fanatisme d'une société qui se refuse à critiquer les religions, notamment l'islam. Prenons l'exemple du Canada qui songe à interdire toute critique de l'islam (c'est fait paraît-il d'ailleurs depuis le 24 mars 2017) : n'y a-t-il pas plus obscurantiste et aveugle qu'un pays qui refuse de voir le mal là où il est, et qui entend régenter la pensée des uns et des autres, sans critique possible? Le Canada est sur la voie du pire totalitarisme qui a déjà décimé l'Europe, le Canada sort des pays civilisés en refusant la civilisation apportée par la liberté d'expression et de jugement, en préférant le terrorisme intellectuel à la vérité objective. Triste pays, et quand on pense qu'il y a de francophones dans ce pays, quelle tristesse pour eux d'être pris en otage d'une telle régression intellectuelle, il vaut mieux tout ignorer du français que de connaître cette langue tout en étant obligé ne pas pouvoir exprimer l'évidence et l'objection qui naît de l'esprit critique. Voltaire disait que le Canada n'était que "quelques arpents de neige", voici qu'ils sont devenus "quelques arpents d'idiotie et de fanatisme", peut-être est-ce d'ailleurs en réaction au mot de Voltaire qu'ils ont voté une loi si éloignée de l'idéal voltairien de justice et de vérité ?

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Le 03/04/2017 à 09:13, Laïc1 a dit :

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Après analyse plus complète de la loi canadienne, il semblerait qu'il n'y ait pas de loi en fait, mais une simple "motion", à savoir ce que signifie le mot "motion" au Canada (gesticulation pour se donner de l'importance ?) car, d'après Iqra Khalid, députée libérale, qui a déposé la motion, "la motion 103 ne donne pas des privilèges à une religion ou à une communauté aux dépens des autres. M-103 ne restreint pas la liberté d'expression. La motion n'est pas juridiquement contraignante." Autrement dit, cette motion ne servirait à rien du tout, puisqu'aucun juge canadien se serait autorisé à l'utiliser pour faire de la répression. On est rassuré.

Rappelons quand même aux Canadiens, et à tout le monde pendant qu'on y est, que critique ne signifie pas insulte. Critiquer l'islam n'est pas faire de l'islamophobie, et si certains musulmans pensent que critiquer l'islam, c'est faire de l'islamophobie, c'est bien qu'il y a un sérieux problème avec leur religion, et qu'ils doivent la changer, la condamner dans ses aspects historiques et actuels les plus incompatibles avec les droits de l'homme et la civilisation humaine.

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