Intervention de Louis Gautier

Réunion du 3 juin 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, SGDSN :

Je vous remercie de votre invitation. C'est la cinquième fois, depuis ma prise de fonction, que je suis auditionné à l'Assemblée, que ce soit dans le cadre d'une commission d'enquête, sur des textes législatifs ou sur des questions telles que les drones, le renseignement, la sécurité nucléaire ou la radicalisation. Le sujet d'aujourd'hui relève des compétences historiques du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), auquel Michel Debré avait confié, dès 1960, le soin de préparer la loi de programmation puis de la présenter en Conseil de défense et de sécurité nationale. Depuis, il appartient au SGDSN de préparer, au niveau interministériel, les arbitrages soumis au Président de la République.

Il s'agit en l'occurrence d'une actualisation et non d'une refonte de la LPM. Le SGDSN y a consacré une quinzaine de réunions interministérielles, pour une cinquantaine d'heures au total, en se focalisant sur l'évolution d'un contexte stratégique caractérisé par la simultanéité, la soudaineté et l'ampleur des crises. Ces caractéristiques ont d'ailleurs été largement soulignées lors des auditions précédentes. C'est malheureusement à un contexte sécuritaire dégradé auquel nous sommes confrontés au Levant, en Afrique, au pourtour de l'Europe et, bien entendu, sur notre propre territoire, touché par des attentats terroristes en janvier dernier. Ces différents événements justifiaient d'anticiper une actualisation qui, aux termes de l'article 6 de la LPM, aurait pu intervenir à la fin de 2015.

Je laisserai de côté le volet normatif – préparé en amont par le rapport Pêcheur, en particulier sur les évolutions juridiques touchant aux associations militaires – pour me concentrer sur les points saillants du travail interministériel. En particulier sur l'éclairage stratégique, qui a permis d'actualiser certaines données du Livre blanc de 2014, et sur la mobilisation des militaires destinée à assurer, suite aux événements du mois de janvier, la sécurité du territoire et des lieux sensibles. Une dizaine de scénarios ont été étudiés sur la base d'hypothèses différentes : niveau de mobilisation des soldats dans le cadre du contrat « protection » – de 5 000 à 7 000 hommes –, niveau des nouvelles dotations de la Force opérationnelle terrestre (FOT) – de 5 000 à 11 000 hommes – et niveau des effectifs militaires – moindre réduction de 11 000, 15 000 ou 17 000 hommes. De la décantation de ces scénarios ont découlé les propositions soumises au Président de la République et au Gouvernement. À la suite des décisions prises, un effort important était consenti pour « redoter » les effectifs militaires, qu'il s'agisse de la FOT pour honorer le contrat de protection revu à la hausse ou des personnels affectés, par exemple, au renseignement et à la cyberdéfense. Les augmentations budgétaires qui financent les mesures de personnel se justifient aussi par les besoins opérationnels et d'entretien programmé des matériels (EPM), ainsi que par la nécessité de « repondérer » le financement d'un certain nombre d'équipements au vu des besoins opérationnels : je pense, par exemple, aux dotations nouvelles allouées à l'aéromobilité ou aux effets induits par les grands contrats à l'export.

La première question avait trait aux modalités du financement de la programmation militaire – les crédits budgétaires s'étant in fine substitués, dans les hypothèses retenues, aux ressources exceptionnelles – et au financement des opérations extérieures (OPEX). Sur la base du rapport conjoint de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA), nous nous sommes également attachés à l'évolution du coût des facteurs. Cette question est sans doute technique mais elle est appelée à produire des effets durables ; elle est déterminante dans la fixation de la nouvelle enveloppe budgétaire affectée à la LPM et dans l'examen de son exécution. De fait, l'impact de ces variables, pour une loi élaborée en euros courants, dépasse le milliard d'euros rien que pour les deux dernières années.

Le ministre de la Défense vous a longuement présenté, lors de son audition du 20 mai dernier, les arbitrages retenus : déploiement de 7 000 soldats au titre du contrat de protection, effectifs de la FOT portés à 77 000 hommes, effectifs de la défense stabilisés à 261 000 hommes, moindre déflation d'environ 18 800 équivalents temps plein (ETP) et augmentation des crédits de la défense de 3,8 milliards d'euros, dont 2,8 milliards affectés aux effectifs. J'ai déjà évoqué la substitution aux ressources exceptionnelles de crédits budgétaires et le volet normatif de la LPM notamment le droit de concertation des militaires dans le cadre de leurs associations représentatives.

Le diagnostic établi à l'occasion des travaux interministériels jette un éclairage sur l'avenir et appelle des travaux futurs. Je reviendrai sur trois aspects : l'évolution du contexte international et la lutte contre le terrorisme ; le plan Vigipirate et l'opération Sentinelle ; la cyberdéfense, spécialité du SGDSN, auquel est rattachée l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

S'agissant du premier point, la situation se caractérise, je l'ai dit, par une grande fluidité : on le voit en Syrie et en Irak. La situation sécuritaire est profondément dégradée sur le flanc sud de l'Europe, notamment au Levant, menacé par la déstructuration d'États confrontés à la guerre civile, comme la Syrie et le Liban. Cela favorise l'apparition de « hubs » terroristes et de mouvements migratoires encore incontrôlés. L'évolution des rapports de forces dans la bande saharo-sahélienne requiert également une attention quotidienne ; enfin, dans l'espace post-soviétique, la crise ukrainienne a ravivé le spectre de la guerre aux frontières de l'Europe. Elle pose surtout de nombreux problèmes au regard du droit international, dans la mesure où de nombreux éléments de régulation, au niveau international, sont aujourd'hui en panne, qu'il s'agisse de l'application d'une justice internationale face aux exactions constatées en Syrie, de la stabilité des frontières sur le Vieux Continent ou de l'empêchement du Conseil de sécurité de l'ONU à adopter certaines résolutions. Cet état de fait accroît encore les responsabilités qui pèsent sur notre pays, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, sans parler des rendez-vous européens du mois de juin et du chantier de la défense européenne, qui ne progresse guère ; de sorte que la France doit assumer de nouvelles missions de sécurité qui expliquent l'activité opérationnelle soutenue de ses forces. Ces OPEX feront l'objet d'un suivi régulier par votre commission.

J'en viens au plan Vigipirate et à l'opération Sentinelle, dont je rappelle qu'ils s'inscrivent d'ores et déjà dans un cadre juridique défini par les dispositions du code de la défense, avec la subordination à l'autorité administrative et le placement de la force militaire sous la régie de la réquisition. On peut évidemment réfléchir à une évolution de ce cadre, mais il a notamment permis, en application du plan Vigipirate réformé en 2014, de mobiliser en soixante-douze heures seulement une bonne partie des 10 000 hommes déployés pendant trois mois – contre un mois prévu dans le plan Vigipirate initial.

Le retour d'expérience du plan Vigipirate montre néanmoins la nécessité d'une adaptation car de nouvelles postures doivent être envisagées, notamment au cas où le contrat de protection se déploie de manière pérenne. Le niveau le plus élevé, « alerte attentat », a par ailleurs été conçu pour être réversible – puisqu'il dépend de l'événement concerné –, et non pour s'inscrire dans la durée comme c'est le cas aujourd'hui. Des audits de sécurité paraissent également nécessaires, en particulier pour les lieux de culte, afin d'adapter les moyens de garde – statiques ou dynamiques – en fonction des besoins.

Enfin, il incombe aux armées d'élaborer un travail doctrinal sur la base des enseignements de l'opération Sentinelle, de façon à définir ce que pourrait être, en matière de sécurité intérieure, un tel contrat opérationnel dans la durée. Ce travail implique une réflexion interministérielle, qui sera menée dans les prochains mois.

Les articles 21 à 24 de la LPM adoptée en décembre 2013, prévoient par ailleurs des dispositions relatives à l'ANSSI et à la cybersécurité : mon prédécesseur, M.Francis Delon, vous les avait présentées. Les textes réglementaires relatifs à ces articles ont d'ores et déjà été promulgués, notamment en ce qui concerne les opérateurs d'importance vitale. L'attaque contre TV5 Monde, au fond, a rendu publique une menace que nous connaissions déjà. Elle a touché un opérateur non directement couvert, au demeurant, par les missions de l'ANSSI puisqu'il n'est pas d'importance vitale. Cela conduit à s'interroger sur l'évolution des missions de l'ANSSI, qui, après l'attaque contre Charlie Hebdo, a mobilisé dans l'urgence beaucoup de ses moyens opérationnels. De fait, le secteur de la presse a été la cible de djihadistes ou de groupes hostiles à la liberté d'expression, le plus souvent, néanmoins, à travers des incidents de faible intensité, qui font l'objet d'enquêtes de police.

Il nous faut donc accompagner la montée en puissance de l'ANSSI, y compris à travers certaines adaptations juridiques. L'ANSSI, faut-il le rappeler, n'est pas un service de renseignement mais de cyberprotection : c'est d'ailleurs à ce titre, entre autres, qu'elle a pu effectuer le travail que je rappelais auprès de certains médias.

Au-delà des opérateurs d'importance vitale, l'ANSSI est donc amenée à se mettre au service d'autres acteurs, à commencer par les collectivités locales, que ce soit pour les conseiller sur les bonnes pratiques, les orienter vers des prestataires homologués ou des experts de bon niveau ou pour intervenir directement en cas de crise. Une stratégie nationale actualisée de cybersécurité sera présentée à l'été au Premier ministre ; elle fera bien entendu l'objet d'une information publique, afin de mettre les moyens budgétaires et humains de l'ANSSI au niveau de ses missions.

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