Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 19 mai 2015 à 8h15
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Je commencerai par répondre à la dernière question – une question très sensible, exigeant une réponse d'un haut niveau de précision et de rigueur intellectuelle, car il existe un décalage entre ce qui peut être dit et écrit, y compris par certains responsables politiques, et la réalité des phénomènes et les réponses que nous y apportons. La France et l'Europe sont-elles résolues à lutter contre les filières de traite des êtres humains ? En ce qui me concerne, la réponse est oui : c'est l'une des priorités absolues de mon action. Je dirai même que pour moi, le démantèlement des filières de l'immigration irrégulière est la priorité des priorités.

C'est le sens de la participation de la France au G5 du Sahel, où je me suis rendu jeudi et vendredi derniers. J'y ai rencontré mes homologues nigériens, camerounais, burkinabés, sénégalais et tchadiens et j'ai débattu avec eux de la meilleure façon de combattre ces filières. Pour cela, il convient de renforcer la coopération de mes propres services, dans le cadre d'accords de coopération, avec les services de sécurité et de renseignement de ces pays, de manière à les aider à contrôler leurs propres frontières et à démanteler ces filières sur leurs territoires. Cela suppose une action au sein d'Europol et une action renforcée de coopération entre les services de police et de renseignement des pays de l'Union européenne pour démanteler les filières d'immigration irrégulière.

Ces filières sont présentes à Calais, mais aussi à Londres, c'est pourquoi mon homologue britannique, Theresa May, et moi-même, avons décidé de renforcer la coopération entre nos services respectifs. Le résultat de cette action, c'est qu'en 2014, nous avons démantelé en France 226 filières d'immigration irrégulière de plus qu'en 2013. Ainsi à Calais, nous avons arrêté 30 % de passeurs et d'acteurs de l'immigration irrégulière de plus que l'année précédente – et 14 % de plus au niveau national. Il faut impérativement que nous puissions auditionner l'ensemble des migrants au moment de leur sauvetage ou de leur arrivée sur le territoire italien. En effet, conformément à la proposition de l'Union européenne – inspirée par la France –, nous devons impérativement distinguer ceux qui peuvent prétendre au statut de réfugiés politiques, c'est-à-dire de l'asile en Europe, de ceux qui relèvent de l'immigration économique.

Par ailleurs, les migrants doivent nous indiquer dès leur arrivée le traitement qui leur a été réservé sur les bateaux, afin que nous puissions immédiatement identifier les passeurs et les auteurs de crimes et judiciariser leur situation dès leurs premiers pas sur le territoire européen. Nous attendons également que les Nations unies permettent la destruction des bateaux servant de vecteurs à ces filières. En résumé, nous démantelons, nous accroissons la coopération entre services de renseignement et services de police et souhaitons procéder à la judiciarisation de ceux que les migrants désignent comme leurs bourreaux, dès les opérations de sauvetage – cela doit être entrepris avec la plus grande détermination.

Par ailleurs, nous avons beaucoup inspiré les propositions de la Commission européenne dans le sens de l'humanité et de la fermeté. L'humanité, parce que ceux qui relèvent du statut de demandeurs d'asile en Europe doivent être répartis entre les pays de l'Union européenne de façon équitable et solidaire : il n'y a pas de raison que cinq pays de l'Union accueillent, à eux seuls, 75 % des demandeurs d'asile, comme c'est le cas actuellement – j'ajoute que la répartition doit se faire en tenant compte des efforts déjà accomplis par chaque pays en matière d'accueil des demandeurs d'asile. La notion de quotas n'a pas de sens, puisque l'on répartit les réfugiés politiques en fonction de critères, et non en fonction de quotas. Dire que la notion de quotas est impropre ne signifie donc pas refuser la solidarité, mais donner une précision au concept et faire le choix d'une politique comprise et efficace. Ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière doivent faire l'objet de politiques de codéveloppement pour être maintenus dans leurs pays d'origine, en liaison avec les pays en question : c'est le sens de la proposition consistant à créer des centres d'accompagnement et de maintien des migrants, que nous avons souhaité voir se développer, notamment au Niger. En effet, 70 % des migrants que l'on retrouve en Italie transitent par le Niger. Je me suis entretenu de ces questions avec le président Issoufou, qui a signifié son accord sur cette proposition.

Enfin, ceux qui arrivent en Italie et sont identifiés, au sein des centres fermés, comme relevant de l'immigration économique irrégulière, doivent être reconduits. Cette politique qui n'a encore jamais été mise en place doit l'être maintenant : à défaut, la politique de l'asile en Europe ne sera pas soutenable durablement. Comme on le voit, la notion de quotas n'a pas de sens non plus en ce qui concerne l'immigration économique irrégulière, les personnes concernées ayant vocation à être reconduites. Contrairement à ce que l'on peut parfois lire ou entendre, la position de la France en la matière est extrêmement claire. Nous avons exprimé une position d'avant-garde au sein de l'Union européenne et continuons à défendre cette position très précise basée sur l'humanité, la solidarité et la fermeté.

Mme Bechtel et M. Fenech m'ont interrogé au sujet de l'islam de France. Nous avons pris des décisions très claires à ce sujet, notamment en créant une instance de dialogue ayant vocation à traiter de toutes les questions relatives au culte, qu'il s'agisse de la construction et de la gestion des mosquées – la transparence dans ce domaine étant essentielle –, de la formation des aumôniers – je ne parle pas des imams, car nous sommes dans un État laïque –, de la protection des lieux de culte ou encore de la relation de l'islam à la République. Nous réunissons la première instance de dialogue début juin et, dans l'esprit de ce qu'avait fait Jean-Pierre Chevènement dans les années 1990, j'ai multiplié au cours des dernières semaines les contacts avec l'ensemble des représentants du culte musulman, de manière à ce que se mette en place une instance représentative des musulmans de France, avec qui nous pourrons créer les conditions d'une confiance mutuelle – car la République a vocation à prendre tous ses enfants dans ses bras, à condition que chacun d'eux se reconnaisse dans les valeurs de la République, qui constituent le patrimoine commun des citoyens de France et doivent être défendues. C'est cela, la laïcité : le droit de croire ou de ne pas croire et, dès lors que l'on a fait le choix d'une religion, le droit de l'exercer dans la conformité aux valeurs de la République – car, au-dessus des appartenances religieuses, il y a le creuset de valeurs communes que sont les valeurs républicaines, nécessaires au vivre ensemble.

Le RAID, le GIGN et les autres forces seront amenés à coopérer encore davantage. En janvier dernier, nous avions mis en place un état-major centralisé qui s'est réuni jusqu'à la mise hors d'état de nuire du dernier terroriste. Cet état-major rassemblait les grands directeurs généraux autour de moi, notamment le Directeur général de la police nationale (DGPN) et le Directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), qui ont conduit ensemble, avec le RAID et le GIGN, la totalité des opérations, y compris à Dammartin-en-Goële. Ce mode de fonctionnement a créé une nouvelle relation entre ces deux structures, exemplaire par la remarquable efficacité qu'elle offre dans la lutte contre le terrorisme.

Les centres d'accueil sont basés sur un principe de volontariat en raison du fait que la situation des personnes ayant vocation à s'y rendre n'est pas judiciarisée. Dès lors, les principes constitutionnels nous empêchent de les retenir dans ces centres en les privant de liberté pour les déradicaliser : notre action est guidée par les principes du droit.

Il m'a été demandé ce qui avait été fait en matière de répression antiterroriste. La loi du 21 décembre 2012 permet de poursuivre les Français impliqués dans les actes de terrorisme commis à l'étranger. La loi du 13 novembre 2014 renforce la répression de l'apologie du terrorisme et de la provocation à des actes de terrorisme, prévoit des sanctions spécifiques pour les faits commis sur Internet, crée le délit d'entreprise individuelle terroriste, permettant d'incriminer les loups solitaires – ce qui n'était pas possible précédemment –, facilite les enquêtes par la création de cyber-patrouilles et en permettant le décryptage et la perquisition sur les clouds, met en place un régime d'application des peines plus sévère pour les terroristes, prévoit un seul juge de l'application des peines centralisé à Paris, instaure des peines de sûreté systématiques empêchant les condamnés d'accéder aux réductions de peines et aux libérations anticipées. La chancellerie et le ministère de l'intérieur sont en mesure de coordonner leurs actions pour que notre pays soit bien protégé, et je ne pense pas qu'il soit avisé de tenter d'opposer les deux ministères : bien au contraire, une grande partie des succès enregistrés jusqu'à présent résulte du climat de grande confiance qui existe entre les deux ministères.

Nous renforçons l'UCLAT, de même que la coordination entre les services de renseignement autour de la DGSI, directement rattachée au ministère de l'intérieur. Vous me dites que les procureurs et les préfets ne parlent pas aux maires : j'en prends note et je ferai en sorte que les préfets, qui dépendent de moi, parlent aux maires.

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