Intervention de Catherine Sultan

Réunion du 9 février 2015 à 16h30
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse :

La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est organisée en neuf directions inter-régionales. Depuis le début de l'année 2014, nous avons recensé les situations inquiétantes afin de mesurer l'évolution de ce phénomène, qui fait l'objet d'une politique publique centrale depuis avril 2014, et de disposer des éléments nécessaires à une analyse destinée à appuyer les professionnels chargés des enfants et des adolescents qui peuvent être touchés par la radicalisation. Ce recueil d'informations sera par la suite plus structuré et plus sécurisé.

Cet état des lieux a fait émerger des cas en nombre limité, et surtout très divers. À la fin du mois de janvier dernier, on recensait 61 situations inquiétantes. Avant les 7, 8 et 9 janvier 2015, 41 jeunes étaient concernés, dont 27 n'étaient pas connus de la PJJ. Certains étaient parfois de très jeunes enfants dont on pensait que les parents pourraient les emmener en Syrie ; la PJJ avait à en connaître dans le cadre de sa mission de protection de l'enfance. D'autres situations ont été mises en lumière qui n'avaient pas donné lieu à l'ouverture d'une procédure judiciaire mais à un signalement aux services de la protection de l'enfance. En tout, une dizaine de mineurs en proie à la radicalisation et pris en charge sur le plan pénal sont recensés aujourd'hui. Pour le moment, le phénomène est donc cantonné, et les situations recensées diverses. J'ajoute que parmi les 61 cas dont j'ai fait état, on note une augmentation de propos déplacés incitant au terrorisme, infractions systématiquement relevées à la suite de la circulaire de la Garde des sceaux. On dénombre là beaucoup de jeunes provocateurs qui trouvent dans le climat actuel le moyen de se faire remarquer d'une manière déplorable, au comportement desquels il faut donner un coup d'arrêt mais que l'on ne peut confondre avec de jeunes terroristes.

Il n'en reste pas moins que la PJJ est en première ligne dans des affaires comme celles-ci, puisque les 140 000 mineurs dont nous avons la responsabilité cumulent vulnérabilité et facteurs de risques. Ce sont ceux pour lesquels la responsabilité éducative de la société est la plus aiguë puisque, pour prévenir la récidive, il faut transmettre les valeurs permettant l'insertion de jeunes qui, à un moment donné, sont en contradiction avec la loi. L'apprentissage de la communauté de vie tient aux vertus de l'éducation, de la transmission et de la réciprocité. Dans ce cadre, la PJJ doit repérer, évaluer les risques et être capable de comprendre les situations problématiques signalées précocement ; ensuite, un travail au long cours doit être conduit.

Je me dois de souligner, es qualités, qu'il convient de porter une attention particulière aux jeunes majeurs. Une fois confiés aux services de la PJJ, les mineurs en difficulté font l'objet d'une prise en charge individualisée assez soutenue ; ce contrepoids n'existe plus lorsqu'ils atteignent l'âge de la majorité. J'ai bien sûr été frappée par le parcours des auteurs des attentats de janvier, dont certains avaient été suivis par la PJJ dix ou quinze ans avant leur radicalisation et leur passage à l'acte. Cela conduit à s'interroger sur la phase de la vie comprise entre l'anniversaire des 18 ans et la décennie suivante, ou davantage, pendant laquelle des esprits faibles peuvent être soumis à influences. Nous devons, collectivement, y porter attention.

Le plan gouvernemental d'action contre le terrorisme prévoit la création au sein de la PJJ, dans le strict respect des règles de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), d'une mission de veille et d'évaluation chargée de formaliser la remontée des informations. Cela permettra à un chargé de mission placé à mes côtés de faire la synthèse de ces renseignements, alimentant ainsi les politiques que je suis chargée de conduire. Il s'appuiera sur un réseau composé de 59 référents « laïcité et citoyenneté » placés dans les directions territoriales – la PJJ compte 54 territoires, mais certains, pour des motifs sociologiques et en raison de risques accrus, justifient une attention plus soutenue – et d'un référent dans les directions inter-régionales, distinct du référent désigné au moment de l'installation des cellules préfectorales instituées par la circulaire d'avril 2014.

Il s'agit de créations de postes ; les titulaires se consacreront à cette tâche et représenteront la PJJ dans les instances territoriales compétentes en ces matières. Le travail des 59 référents « laïcité et citoyenneté » des directions territoriales se fera au plus près des jeunes et de leurs familles, de sorte que la PJJ s'investisse plus fortement encore qu'elle ne le fait dans les territoires en élargissant le spectre de sa vision au-delà du premier cercle que forment les familles et les établissements d'enseignement – quand les jeunes sont encore scolarisés -, pour repérer, en lien avec les services de prévention et les associations citoyennes, bonnes et mauvaises influences. Il reviendra aussi aux référents d'aider les équipes éducatives qui accueillent les jeunes issus de cette mouvance, en leur expliquant comment se comporter et comment déterminer si l'intervention de spécialistes est nécessaire. La mission de veille sera donc à la fois un observatoire et une instance opérationnelle destinée à nous permettre de mieux adapter nos réponses aux cas dont nous avons à connaître. C'est un des volets importants du plan gouvernemental.

Il en est un autre. Pour mieux armer les jeunes qui pourraient être vulnérables à la radicalisation contre de telles influences, nous renforcerons la pluridisciplinarité de nos équipes en recrutant 82 psychologues. Ils seront répartis là où sont les mineurs dont nous avons la charge. Les restrictions budgétaires importantes subies par la PJJ au cours des dernières années font que ses psychologues sont désormais cantonnés, le plus souvent, à la mission d'évaluation, sans pouvoir exercer leur office dans la durée. C'est pourtant en vivant là où vivent les mineurs – qu'ils soient en milieu ouvert, incarcérés ou dans les lieux d'insertion – que l'on peut les observer et leur transmettre les messages nécessaires. Un éducateur seul face à un jeune peut ne pas avoir la distance nécessaire pour percevoir des éléments inquiétants. Renforcer la pluridisciplinarité, c'est un moyen de permettre une vision plus distanciée, plus globale et plus perspicace de la situation. Seront également créés au sein de la PJJ 18 postes d'éducateurs qui seront affectés aux lieux où la radicalisation est pointée avec une acuité particulière.

Enfin, un effort soutenu de formation aura lieu. Depuis une dizaine d'années déjà, l'enseignement dispensé à l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse comprend un volet relatif à la laïcité dans la pratique professionnelle ; il sera renforcé. De surcroît, nos 9 000 agents suivront une formation spécifique relative à la radicalisation, qui sera ouverte au secteur associatif habilité. Une première session de formation de formateurs aura lieu ce mois-ci. Une convention de coopération a déjà été signée entre la PJJ et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), et les agents de la PJJ suivent des formations organisées par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance.

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