Intervention de Samir Amghar

Réunion du 17 mars 2015 à 18h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Samir Amghar, chercheur en sociologie à l'école des hautes études en sciences sociales, EHESS :

Deux thèmes importent pour comprendre le phénomène djihadiste : les facteurs de la radicalisation et les programmes de déradicalisation mis en oeuvre dans des pays européens et du monde arabe.

Plusieurs experts ont tenté de comprendre les raisons conduisant des jeunes à commettre des attentats en France ou à partir en Syrie pour rejoindre des groupes djihadistes et combattre le régime de M. Bachar el-Assad.

Le premier motif est de nature idéologique et repose sur une lecture particulière de l'islam qui invite les croyants à prendre les armes et à user de la violence politique pour défendre les musulmans menacés. Un certain nombre de responsables religieux, issus notamment du Conseil français du culte musulman (CFCM), affirment que les auteurs d'attentats agissent pour des causes qui n'ont rien à voir avec l'islam et insistent sur le besoin de revenir à une lecture plus orthodoxe et rigoureuse des préceptes de la religion musulmane sur la violence.

Les individus peuvent également se radicaliser à cause d'un sentiment de frustration politique. Ils ne peuvent pas exprimer leur opposition à l'action des pouvoirs publics en matière d'islam sans que celle-ci soit pénalisée ou criminalisée. En septembre 2012, un groupe de jeunes musulmans de la banlieue parisienne a voulu organiser une manifestation devant l'ambassade des États-Unis pour protester contre la diffusion d'un film mettant en scène le prophète de l'islam ; des policiers ont empêché le rassemblement et ont arrêté certains manifestants. Confrontés à ces situations, les jeunes ont le choix entre se taire ou passer à l'action violente pour se venger de ce qu'ils considèrent être une injustice faite aux musulmans. Si la plupart d'entre eux optent pour le silence, une petite minorité décide d'utiliser l'arme de la violence politique.

Le troisième facteur de radicalisation découle de la criminalisation des personnes se revendiquant du djihadisme. Les personnes ayant choisi le djihad font l'objet de surveillance et certaines d'entre elles sont incarcérées. Ces individus se radicalisent car ils savent que la loi les punit. Le système législatif français a des effets contre-productifs, car il légitime a posteriori les positionnements idéologiques des djihadistes. La prison peut avoir un effet curatif et dissuasif en permettant à certaines personnes de se rendre compte du caractère mauvais de leurs actions ou des conséquences carcérales de celles-ci. Cela fut notamment le cas pour M. Farid Benyettou, chef de la filière irakienne des Buttes-Chaumont à laquelle appartenait l'un des frères Kouachi : après avoir passé sept années en prison, il suivit des études d'infirmier et changea d'idée en matière de djihad. En revanche, la prison n'eut pas cet effet positif sur Amedy Coulibaly, Mohammed Merah et Medhi Nemmouche. Le renforcement de l'arsenal juridique pourrait ancrer davantage les convictions djihadistes de personnes condamnées à une peine d'emprisonnement.

Les programmes de déradicalisation mettent l'accent sur tel ou tel aspect en fonction de la nature de la radicalisation de la personne suivie. Si l'on considère que la radicalisation résulte avant tout d'une lecture étriquée de l'islam, le programme insistera sur la dimension religieuse. Il s'agira alors de produire un contre-discours visant à détricoter l'idéologie djihadiste. Au Royaume-Uni, on a ainsi tenté de mettre en avant la tendance quiétiste du salafisme pour déconstruire et délégitimer, sur un fondement religieux, la pensée djihadiste. De même, lors de la guerre civile, les autorités algériennes ont mis en avant une fraction du salafisme qui possédait une forte capacité de persuasion intellectuelle et qui a incité des djihadistes à déposer les armes. Dans ces deux pays, le développement du djihadisme fut contenu grâce au déploiement de cette politique.

Si l'on lit la radicalisation comme une conséquence d'une frustration et d'un ressentiment politiques, le programme mettra en place une structure pouvant jouer le rôle de court-circuit politique. Ainsi, face au développement du djihadisme dans le monde arabe, certains pays ont légalisé des partis islamistes. Ces gouvernements ont pensé que l'interdiction de l'expression d'une certaine forme d'islam politique reviendrait à favoriser la clandestinité et la marginalisation d'individus qui se radicaliseraient d'autant plus facilement. Au lendemain des attentats de 2003 à Casablanca, le Maroc s'est refusé, malgré la pression d'une partie de l'opinion publique, à interdire le parti de la justice et du développement (PJD) pour ne pas nourrir le djihadisme.

Certains pays européens et arabes considèrent que la pénalisation excessive produit de la radicalisation. Ils estiment donc nécessaire d'accompagner la lutte contre le djihadisme d'un volet préventif reposant sur une logique de réinsertion sociale et politique et visant à éviter l'approfondissement de la radicalisation. Le Danemark a mis en place depuis quelques mois un programme de déradicalisation cherchant à faire revenir des individus partis en Syrie et à les réinsérer. Les Danois veulent être efficaces et pensent que la réinsertion des djihadistes constitue le meilleur moyen de les démobiliser ; les responsables politiques danois ne portent pas de jugement de valeur sur l'engagement djihadiste passé de ces personnes – ils ne les nomment d'ailleurs pas terroristes, mais rebelles.

Éléments importants de la lutte contre la radicalisation, ces programmes ne représentent pas une solution miracle, et certaines personnes les ayant suivis ont récidivé. D'après des chiffres diffusés par les autorités saoudiennes, 10 % des bénéficiaires de ces programmes renouent avec le djihadisme et réintègrent des cellules combattantes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion