Intervention de Jean-Marc Bailleul

Réunion du 10 mars 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Jean-Marc Bailleul, secrétaire général du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure, SCSI :

Nous regrettons que nos propositions – les plus pratiques qui soient – ne fassent pas partie des priorités annoncées par le Gouvernement. Je pense notamment à l'accès des services de police aux fichiers de la sécurité sociale, des caisses d'allocations familiales, du Trésor public, de l'administration de la justice – notamment pour suivre les individus qui sortent de prison –, fichiers qui peuvent faciliter l'enquête et confirmer un diagnostic de radicalisation et d'éventuel financement. La lutte contre le terrorisme implique qu'on brise certains tabous. Il s'agit d'éviter de regretter d'avoir eu à marchander pour obtenir des renseignements jugés essentiels mais qui devraient être communiqués naturellement dans le cadre de l'enquête.

Même si l'évolution législative va dans le bon sens en matière de mise sur écoutes, nous devons avoir la faculté de réagir. Comme l'a souligné Mme Berthon, plus on aura identifié d'individus à risque, plus il nous faudra de moyens pour les surveiller. Il ne faut pas qu'ils puissent commettre un acte terroriste sous prétexte que nous n'aurons pas eu les moyens de les poursuivre. C'est pourquoi il faut éviter de constituer un fichier dont la lourdeur nuirait, en fin de compte, à l'efficacité des forces de police.

Un bilan doit être réalisé sur les réformes du renseignement de 2008 et 2012. Il ne s'agit pas de rechercher des responsabilités, mais force est de reconnaître que ces réformes n'ont pas remis le renseignement en ordre de marche, notamment du fait du démantèlement de la direction centrale des renseignements généraux, à cause duquel on a perdu, pour une grande part, la faculté de réaliser du renseignement de proximité, essentiel à la collecte de données et à leur exploitation. La réforme de 2012 a créé le service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), mais, en dépit de l'arrivée de renforts et de précisions doctrinales, on voit bien les limites du système.

Ce n'est en effet pas la création d'antennes du renseignement territorial, composées chacune de deux gendarmes qui ne sont pas géographiquement rattachés aux services du renseignement territorial, qui nous rassure. Nous pensons que le renseignement se pratique collectivement et non par le biais de binômes d'agents isolés d'autres forces. Le renseignement est un tout. Aussi la création de 25 antennes du renseignement territorial ne va-t-elle pas, à nos yeux, dans le bon sens. Par exemple, dans la ville de Lunel, il y a eu des dysfonctionnements : les gendarmes disposaient de renseignements qu'ils n'ont pas communiqués au service de renseignement territorial départemental. On ne peut pas admettre cela au vu du risque encouru. En matière de renseignement, plutôt que la concurrence entre les services, c'est la transparence, dans les deux sens, qui s'impose. De même, il faut éviter la transmission des informations au degré supérieur en court-circuitant le chef de service départemental. Bref, le travail à Lunel aurait pu être meilleur si les services s'étaient fait confiance dans l'échange d'informations.

L'ensemble des services de renseignement doivent faire partie de la « communauté » du renseignement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour le SCRT, ni pour la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). C'est le partage des informations et d'une même méthodologie qui conduira à un meilleur fonctionnement du renseignement.

Il est par ailleurs nécessaire, il y a été fait allusion, de simplifier les procédures en matière de renseignement mais également en matière pénale. Voilà des années que nous demandons au législateur un allégement de la procédure pénale qui n'a fait que s'alourdir au gré des réformes imposées par l'Europe. Dès lors, les policiers, en particulier les primo-intervenants, passent beaucoup de temps à s'occuper de la procédure au détriment de leur présence sur la voie publique, qui leur permettrait de recueillir des informations auprès des commerçants, des bailleurs sociaux, des écoles... C'est pourquoi nous sommes vraiment favorables à l'établissement d'une procédure à l'anglo-saxonne, beaucoup plus orale qu'écrite, afin de dégager du temps pour l'enquêteur.

Nous devons ensuite établir des fichiers plus performants, car leur état ferait rire nos collègues européens s'ils en prenaient connaissance : ces fichiers sont inadaptés, ils ne permettent pas aux enquêteurs, d'un bout à l'autre de la France, de prendre connaissance de tous les détails d'une fiche concernant un individu, du fait, sans doute, de garde-fous imposés par la CNIL – alors que nous devrions nous montrer au moins aussi efficaces que les terroristes, aujourd'hui plus rapides que nous grâce aux réseaux sociaux. Ce n'est pas politiquement correct de le reconnaître mais cette demande émane des enquêteurs sur le terrain.

On a créé depuis trois ans des cellules de coordination pour faciliter le partage du renseignement entre la sécurité intérieure et le renseignement territorial et la sous-direction opérationnelle créée par les gendarmes. La création même de cellules de coordination montre bien que quelque chose ne va pas. Le renseignement est une matière qui ne se divise pas et tous les services devraient être beaucoup plus proches les uns des autres. C'est pourquoi nous étions plutôt favorables à l'instauration d'une grande direction générale du renseignement.

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