Intervention de Jean-Paul Mégret

Réunion du 10 mars 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Jean-Paul Mégret, secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police :

Nous avons besoin de dispositifs juridiques permettant de légaliser des pratiques qui sont aujourd'hui bloquées, comme la pose de balises, la sonorisation de véhicules, d'appartements…

Nous craignons que les pratiques contreviennent à des textes devenus très compliqués dans tous les domaines. Ainsi le keylogger judiciaire a-t-il été autorisé par la loi il y a déjà un certain temps mais il ne peut pas fonctionner parce que la Chancellerie et la CNIL se renvoient la balle, personne n'osant mettre en place un dispositif jugé, de façon parfaitement idéologique, liberticide. Alors que ce système est en vigueur dans de nombreux pays, alors qu'il est, en France, prévu par la loi, nous restons l'arme au pied face à des individus radicalisés qui vont certes au combat armés d'une kalachnikov et de grenades mais qui, dans la vie, sont des adeptes des réseaux sociaux, dont ils ont parfaitement compris les avantages pour protéger leur anonymat.

Il faut savoir que la CNIL a totalement paralysé de grandes institutions, de grandes entreprises qui, même dans le cadre de réquisitions judiciaires, refusent désormais de répondre aux services d'enquête. C'est vous dire à quelles difficultés – a fortiori plus importantes – on se heurtera avec les services de renseignement. Auparavant, si vous vouliez identifier le domicile d'un individu ou les personnes qu'il allait voir, une réquisition adressée à EDF permettait d'obtenir la liste des habitants d'un immeuble. Dorénavant, à la suite des remontrances de la CNIL, EDF explique être dans l'impossibilité de vous répondre. Il faut donc formuler une demande pour chaque nom pour savoir si l'individu que vous avez ciblé dans une enquête demeure à l'adresse considérée. Or, quand on considère la masse d'individus à traiter, c'est impossible. Les évolutions jurisprudentielles et les évolutions pratiques conduisent aujourd'hui les enquêteurs à la paralysie.

Nous sommes très nombreux à dresser le bilan de ce qui s'est fait depuis 2007 et à nous poser la question, par exemple, de savoir si les renseignements généraux avaient bel et bien vocation à disparaître – réforme qui date des années 2007-2008 alors que nous sommes en 2015. Le regroupement, il faut le reconnaître, a présenté des avantages. Reste que, compte tenu des menaces actuelles, nous ne devons pas regarder en permanence dans le rétroviseur mais tâcher de lancer des réformes structurelles puisque les services ont besoin de se mobiliser sur des cas concrets et ont besoin, compte tenu du nombre d'individus concernés, de se consacrer aux dossiers.

Les soucis du monde du renseignement sont à l'image de ceux du monde policier : des textes contraignent l'activité des services – on a déjà évoqué le cas des primo-intervenants ou la procédure pénale. Tout est fait pour mettre des bâtons dans les roues des policiers et des gendarmes, pour leur faire perdre un temps précieux en avis divers, en procès-verbaux de pure forme et chronophages, si bien que les forces de sécurité se consacrent malheureusement plus à la forme qu'au fond.

Or les événements récents nous conduisent tous à redonner priorité au fond. Une augmentation des effectifs ne saurait résoudre les problèmes puisque, de toute façon, ces effectifs, il faudra bien les former – et, puisqu'il s'agit de former des spécialistes, quelques mois ne suffiront pas. Il nous faudra certainement, avant tout, changer les pratiques pour qu'un fonctionnaire puisse produire mieux sans être bloqué par certains dispositifs. La police nationale a pourtant fait des efforts de traçabilité permettant de prouver la bonne foi des officiers de police judiciaire de tous grades et de tous corps. Malgré ces efforts, nos collègues sont toujours en butte aux mêmes obstacles juridiques, ce qu'ils comprennent de moins en moins.

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