Intervention de Nicolas Comte

Réunion du 10 mars 2015 à 10h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Nicolas Comte, secrétaire général adjoint d'Unité SGP PoliceForce ouvrière, FO :

Je présente les excuses d'Henri Martini, secrétaire général, qui est souffrant et n'a pu venir. Je suis accompagné de Francis Sauvadet, qui exerce à la DGSI.

Les événements de ces derniers mois nous ont rappelé le degré de la menace, sur lequel les différents ministres concernés reviennent souvent. Or, aujourd'hui, on s'aperçoit que les fonctionnaires des services de renseignement, au sein de la police nationale, n'ont pas toujours les moyens de remplir dans les meilleures conditions la mission qui leur est confiée. Les services sont insuffisamment adaptés sur les plans matériel, technique, juridique. On manque, en France, d'une véritable culture du renseignement, tâche uniquement confiée à des services spécialisés qui, parfois, ne sont pas pris en considération comme ils devraient l'être.

Des réformes ont été menées et la création de la DGSI a vocation à remédier à cela. Or, aux fonctionnaires qui travaillent dans le renseignement et qui doivent à tout prix se faire parfaitement discrets, on confie le même matériel qu'aux autres fonctionnaires de la police nationale – mêmes radios, mêmes armes… –, ce qui ne pose pas de problème quand on porte l'uniforme, mais ce qui se révèle plus compliqué quand on ne doit pas apparaître. Surtout, une lourde responsabilité repose sur eux : on leur demande de ne pas manquer la bonne cible, de détecter toutes les menaces possibles, alors que, dans le même temps, on ne leur donne pas les moyens juridiques de remplir cette mission. Aussi nos collègues doivent-ils prendre eux-mêmes la décision d'être efficaces, quitte à se retrouver dans l'illégalité, ou bien prendre la décision de rester dans le strict cadre de la loi, au risque d'être inefficaces avec les conséquences que l'on sait.

Il faut par conséquent doter les effectifs travaillant dans le renseignement de moyens juridiques adaptés. Évoluant dans la sphère de la police administrative, nos collègues sont en effet beaucoup moins outillés que ceux opérant au sein des services de la police judiciaire. Nombreux sont les individus qui doivent être surveillés dans le cadre de la menace djihadiste et il est clair que la surveillance humaine ne peut concerner chacun d'eux. On entend souvent dire qu'une personne surveillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre mobilise vingt-cinq fonctionnaires. C'est purement théorique : comment font les dix fonctionnaires d'une direction départementale ? Ils s'adaptent. Des possibilités techniques de suppléer à la surveillance humaine ou de la renforcer existent – encore faut-il être doté de ces possibilités et, une fois doté, encore faut-il obtenir le droit d'en user.

Les fonctionnaires qui travaillent au sein de la sécurité intérieure ont beaucoup moins de possibilités que les fonctionnaires qui relèvent de la sécurité publique, notamment pour ce qui concerne l'accès aux fichiers. Aussi, si l'on est gardien de la paix, brigadier, brigadier-chef, officier au sein d'un service de la sécurité intérieure, on ne peut accéder à certains fichiers regroupés au sein du système de circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés (CHEOPS), puisque son accès est limité pour bon nombre de nos collègues relevant de la sécurité intérieure.

Il en va de même en ce qui concerne les rapports avec d'autres administrations. L'accès à certaines données comme les cartes d'identité, les passeports, dépend du bon vouloir des préfectures concernées. Heureusement, nombreux sont les fonctionnaires d'autres administrations qui font bon accueil aux policiers, mais ce n'est pas toujours le cas. C'est pourquoi les accès devraient être systématisés et tout ne devrait pas être fondé sur les relations qu'ont pu nouer nos collègues. On pourrait étendre ces considérations aux données fiscales et bancaires, vraiment indispensables à un travail efficace.

Autre gros point noir : la téléphonie – une nébuleuse inaccessible. La France compte plus de deux cents opérateurs qui vendent des numéros de téléphone. Les individus à surveiller possèdent parfois de dix à quinze puces. Nos collègues mettent parfois plusieurs mois pour identifier un numéro, et encore ne peuvent-ils le faire si on leur répond qu'il est impossible d'identifier le titulaire du numéro ou si le titulaire de la ligne se nomme, par exemple, « Azerty », comme les premières lettres d'un clavier, ou encore « Ministère de l'intérieur »… Autrement dit, aucun contrôle n'est exercé par les opérateurs. Il faut donc pouvoir s'assurer d'un vrai contrôle et de retours rapides. On compte en effet trop de filtres ; trop d'explications doivent être données à chaque étape pour obtenir des informations par le biais de la téléphonie. En outre, nous sommes l'un des rares pays d'Europe à payer les réquisitions téléphoniques. Les opérateurs gagnent de l'argent avec ces réquisitions ! Quand des marchés sont ouverts, les opérateurs sont prêts à payer des milliards d'euros pour y avoir accès. Il devient pour nous urgent de faire en sorte que les conventions passées avec eux stipulent que les réquisitions soient gratuites. Dès lors que la justice ou la sécurité nationale sont en jeu, fournir gratuitement les données requises doit faire partie de la mission de service public des opérateurs. Il n'est pas normal que cela nous coûte une somme aussi importante. Il faut savoir qu'à chaque fois que nos collègues formulent des demandes, la chaîne administrative fait bien comprendre qu'elles doivent être motivées car elles ont un coût.

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