Intervention de Jean-Michel Dejenne

Réunion du 11 février 2015 à 18h15
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs pénitentiaires-CFDT :

Les personnels pénitentiaires sont en première ligne face aux auteurs d'actes de terrorisme, puisqu'ils les rencontrent quotidiennement. Nous avons le devoir impérieux de contribuer plus que jamais à la sécurité des personnes et à la protection de la société.

Notre rôle est à la fois de prévenir le risque de récidive et d'éviter l'enrôlement de nouvelles personnes dans des entreprises criminelles. Pour ce faire, nous devons mener un travail de désendoctrinement ou de « désemprise » mentale. Le syndicat que je représente est réservé sur l'emploi du terme de « déradicalisation » qui sonne mal – on entend « dératisation » et « éradication » – et qui, sans sous-estimer l'ennemi que nous avons à vaincre aujourd'hui, paraît excessif. En outre, étymologiquement, ce terme renvoie au « déracinement », ce qui semble aller au-delà du but recherché. Une personne peut avoir une pratique littérale de la religion sans pour autant représenter un danger pour autrui ou se livrer à des actions violentes.

Les personnes auxquelles nous sommes confrontées s'inscrivent néanmoins dans une logique qui est à rapprocher de celle des sectes. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons compléter les outils dont nous disposons en travaillant avec les institutions spécialisées, comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Les motivations pour adhérer au djihad ou y prendre part sont multiples. Il faut relativiser la dimension strictement religieuse du phénomène. Le djihadisme peut être inspiré par un romantisme pseudo-révolutionnaire, à l'instar des mouvements d'extrême gauche dans les années 60 et 70. Il peut aussi trouver son origine dans une intolérance poussant à l'action violente, qui caractérise plutôt l'extrême droite. On peut également mentionner, pour certains, le besoin d'assouvir des pulsions sexuelles – les viols en toute impunité ou les mariages forcés le permettent –, et, pour d'autres, un « fantasme d'héroïsme malsain », selon l'expression de M.Olivier Roy. Ces derniers recherchent une célébrité warholienne, le « quart d'heure de gloire médiatique » qui est plus facile à obtenir par la provocation et la destruction que par une attitude constructive et des réalisations bénéfiques à la société.

Parmi ces motivations très diverses, qui se retrouvent dans la délinquance et le banditisme, nous tenons à relativiser la cause religieuse et sa singularité. Ces personnes ont connu un processus de criminalisation, plus que de radicalisation, à l'image d'une grande partie de la population carcérale. Nous sommes donc déjà dotés des programmes et outils pour les prendre en charge. Nous avons sans doute besoin, en appoint, d'acquérir des méthodes développées, par exemple, pour le traitement des dérives sectaires.

L'expérience en cours à Fresnes repose sur l'isolement collectif des détenus condamnés pour leur participation à une entreprise terroriste. Nous l'observons avec intérêt, malgré les questions de principe qu'elle pose, au regard notamment de la stigmatisation des personnes concernées.

Toutefois, la réussite de la généralisation éventuelle de cette expérimentation est soumise à condition : l'isolement, qui a une vocation de cordon sanitaire, doit s'accompagner d'un travail de désemprise mentale, d'un encellulement individuel, d'activités spécifiques et d'une évaluation.

Enfin, j'attire votre attention sur le milieu ouvert qui ne doit pas être oublié, car les personnes suivies par l'administration pénitentiaire y sont trois fois plus nombreuses qu'en milieu fermé et peuvent représenter un danger immédiat.

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