Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 14 avril 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

La diplomatie française se fixe quatre objectifs : travailler pour la sécurité et la paix, ce qui ne signifie pas le pacifisme ; oeuvrer en faveur d'une meilleure organisation et de la préservation de la planète ; réorienter et relancer l'Europe ; travailler au redressement de l'économie et au rayonnement de la France. Toute décision est pesée à cette aune. Vos questions ont à voir avec le maintien de la paix et de la sécurité. Nos relations avec le Liban sont bonnes, classiques et traditionnelles. Ce pays est très fortement menacé par les conflits circonvoisins, par la fragilité de ses équilibres internes, par la présence sur son sol de réfugiés syriens qui constituent désormais entre 20 et 25 % de sa population et par le fait qu'il ne parvient pas à élire son président. Nous travaillons à préserver l'unité du Liban et à favoriser l'organisation de cette élection ; nous nous félicitons d'avoir obtenu l'aide de l'Arabie saoudite, à hauteur de 3 milliards d'euros, pour équiper l'armée libanaise, ciment du pays.

Fondamentalement, la France est l'amie d'Israël, mais nous avons certains désaccords, qui touchent essentiellement à la question israélo-palestinienne. Contrairement au gouvernement de M. Netanyahou, nous considérons que le temps ne travaille pas nécessairement pour Israël : aussi longtemps qu'il n'y a pas de justice, il n'y a pas de paix, et la situation à Gaza est intenable. Dans les jours qui viennent, nous prendrons donc des initiatives visant à relancer un processus de paix encadré internationalement entre des partenaires réticents.

En Syrie, la solution ne peut être que politique – ce qui ne signifie pas qu'il ne faille rien faire entre-temps. Certains pensent que Bachar al-Assad a beaucoup de défauts mais que Daech est bien pire que lui. Même si l'on fait l'impasse sur la question morale – y a-t-il lieu de traiter avec un homme désigné comme criminel contre l'humanité par le secrétaire général des Nations unies ? –, du strict point de vue de l'efficacité, si l'on en venait à considérer que Bachar al-Assad représente l'avenir de la Syrie, les millions de Syriens qui ne pourraient l'admettre se tourneraient vers les groupes terroristes. Notre position est donc qu'il ne faut pas traiter avec Bachar al-Assad lui-même mais avec certains éléments du régime et avec l'opposition. Nous travaillons d'une part à en unifier les composantes, d'autre part à définir comment l'on pourrait faire le lien avec quelques éléments du régime. Nous n'avons évidemment aucune tolérance pour Daech ni, contrairement à ce que disent certains, aucun contact avec Bachar al-Assad ; cela contredirait nos objectifs.

La France souhaite que l'on parvienne à un accord sur le dossier nucléaire iranien mais nous sommes un pays indépendant et nous n'acceptons pas que l'on nous raconte des balivernes. Au terme de longues discussions, nous nous sommes mis d'accord sur la réduction du nombre de centrifugeuses ou encore la baisse du stock d'uranium et de son taux d'enrichissement. Tout cela va dans la bonne direction, mais des sujets cruciaux restent en suspens alors même qu'ils ont été discutés. Il y a, d'une part, la levée des sanctions. Elle fera que l'Iran percevra 150 milliards de dollars dont on peut redouter qu'ils ne seront pas entièrement consacrés à améliorer le bien-être de la population. De plus, si l'Iran ne respecte pas ses engagements, que se passera-t-il ? Sur ces questions, l'accord ne s'est pas fait. Qu'en est-il d'autre part de la possible dimension militaire du programme nucléaire iranien ? L'accord-cadre règle la question pour dix ans, mais ensuite ? Il faut vérifier ce qui se fait en Iran. Or le Guide suprême, Ali Khameini, vient de déclarer que personne n'irait inspecter les sites militaires ; dans ces conditions, quel contrôle exercer ? Un autre problème tient à ce que si le Congrès américain veut des garanties, il y a fort à parier que l'Iran voudra des garanties contraires.

En Arabie saoudite, le week-end dernier, j'ai notamment rencontré le prince héritier des Émirats. Il considère que les choses avancent, mais demande quelle garantie l'on a que l'Iran ne deviendra pas une puissance nucléaire militaire. Là est la grande difficulté, car il ne s'agit pas seulement de discuter avec l'Iran mais de fixer une norme. Autrement dit, si un accord est signé mais qu'il n'est pas jugé crédible, les autres pays de la région s'équiperont – ils en ont les moyens. Pendant des années, les armes nucléaires, détenues par un très petit nombre d'États, ont eu un effet dissuasif ; mais si chaque pays d'une région éruptive se dote de telles armes… Dans ce dossier très délicat, beaucoup repose sur les épaules de la France, pays indépendant, mais j'ai senti l'entière détermination des dirigeants des pays de la région à lutter contre Daech et Al-Qaïda ; ils savent qu'ils jouent leur peau.

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