Intervention de Philippe Kuhn

Réunion du 17 mars 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Philippe Kuhn, délégué régional de la circonscription administrative pénitentiaire de Paris du Syndicat des personnels de surveillance non gradés, SPS :

Monsieur le président, mesdames et messieurs, nous avons l'honneur de nous entretenir avec vous sur ce sujet de la radicalisation en prison, en cette période dite d'unité nationale, et nous vous en remercions.

Dans le projet de loi de finances pour 2015, il a été indiqué clairement que la radicalisation s'exprimait de manière plus visible dans l'espace confiné des prisons. Pour autant, les mesures annoncées pour renforcer le dispositif de lutte contre le terrorisme semblent laisser de côté les personnels de surveillance, occulter leurs besoins en moyens humains et matériels. D'autre part, les médias se sont fait l'écho d'attaques récentes et déplorables contre des militaires français, mais personne ne semble s'émouvoir quand des surveillants sont visés par la même catégorie d'individus.

La prison, lieu d'insertion et de réinsertion où s'appliquent des règles, a évolué sous l'influence de différents textes : les règles pénitentiaires européennes de 2006 ; la loi pénitentiaire n° 1436 du 24 novembre 2009 qui a été adoptée en concomitance avec la politique de restriction budgétaire prévue par la Révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007 puis par la Modernisation de l'action publique (MAP) de 2012. Ces changements politiques imposés ont modifié les conditions de travail des surveillants et rendu difficile l'exercice de leurs missions de base. En outre, dans la prise de certaines décisions, priorité a été donnée à l'ordre public, ce qui a parfois laissé place à l'incompréhension.

Citons succinctement les obligations et les devoirs des personnels pénitentiaires afin de mieux appréhender les problèmes que pose la surveillance des filières et des individus djihadistes et de comprendre le contexte réel dans lequel les surveillants évoluent au quotidien.

Au niveau des obligations, les personnels surveillants de l'administration pénitentiaire doivent assurer la sécurité de l'établissement et des personnes, favoriser l'insertion et la réinsertion, contribuer à la prévention de la récidive, à l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes détenues.

Au niveau des règles de déontologie, la sécurité des établissements repose sur la vigilance, la connaissance de l'environnement et des personnes, la réglementation, la maîtrise des outils de recueil des informations et la conscience professionnelle de chacun des agents. Il est précisé que le personnel qui serait témoin d'agissements prohibés par le code de déontologie doit s'efforcer de les faire cesser et les porter à la connaissance de sa hiérarchie.

S'agissant du plan de lutte contre le terrorisme, nous souhaitons interpeller la commission en partant de ces missions dévolues aux surveillants pénitentiaires.

Les observations – pour ne pas dire les renseignements – sont transmises par les agents de surveillance, en fonction de l'urgence, par le biais du cahier électronique de liaison, du cahier de nuit et de divers registres spécifiques. Nous pouvons aussi informer notre hiérarchie de tout événement ou incident à l'aide d'un compte rendu professionnel. Des informations peuvent être données lors des passages de consignes, au moment des prises de service. Les agents doivent faire preuve de curiosité et d'un intérêt permanent pour être en mesure de fournir des informations. On demande aux surveillants d'être particulièrement attentifs aux détenus faisant l'objet d'une surveillance spécifique, qu'ils soient arrivants, suicidaires, détenus particulièrement signalés, présentant un risque d'évasion, etc.

Nous connaissons les signes d'alerte relatifs à la radicalisation djihadiste : la méfiance de l'autre jugé impur, le rejet de l'autorité, les propos, la tenue vestimentaire, l'alimentation, l'abandon de certaines activités telles que l'école, une formation professionnelle, le sport, la télévision. Pour être efficaces, les surveillants doivent prendre du recul, faire preuve de concentration, être organisés, avoir le sens de l'anticipation, savoir analyser et restituer les informations collectées.

Le ministère de la justice a réaffirmé sa volonté de combattre le terrorisme à la racine dans la circulaire 20150213A13, datée du 12 janvier 2015, qui porte sur les infractions commises à la suite des attentats terroristes perpétrés les 7, 8 et 9 janvier 2015. Celle-ci insiste sur la volonté de combattre et de poursuivre tous propos ou agissements répréhensibles, haineux ou méprisants, proférés ou commis en raison de l'appartenance à une religion. Cette note rappelle l'article 421-2-5 du code pénal qui réprime le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes.

La prise en compte réelle de la situation des surveillants pénitentiaires est nécessaire. L'agression à coups de ciseaux portés au visage, dont a été victime un collègue du centre de détention de Châteaudun le 3 février dernier, est malheureusement l'exemple type de ce qui peut survenir dans nos prisons, à un moment où les fanatiques font des émules. Ces phénomènes peuvent surgir à tout moment, sous toutes les formes possibles, mettant en danger les surveillants, les codétenus et également nos concitoyens lorsque ces gens sortiront de prison. À la suite des attentats de janvier 2015, les moyens humains et matériels nécessaires aux forces de l'ordre – police et gendarmerie – ont été renforcés. Un important budget a été prévu pour le système de renseignement, pour prévenir d'éventuelles attaques terroristes. Le lendemain de l'agression à la prison de Châteaudun, trois militaires du cinquante-quatrième régiment d'Hyères ont malheureusement été attaqués à l'arme blanche et blessés légèrement sur la place Masséna à Nice. Le ministre de la défense et le ministre de l'intérieur se sont rendus à Nice, accompagnés du député-maire. Le ministre de la défense a évoqué une « tentative d'assassinat préméditée ». Comment devons-nous qualifier ou interpréter l'agression du surveillant pénitentiaire ? On ne parle jamais de ce qui se passe en prison, ou du moins on évite d'en parler.

Au cours des trois dernières années, nombre de mesures ont été adoptées qui vont à l'encontre de la sécurité : fermeture de miradors ; réduction des effectifs et non-remplacement des départs ; gel des projets de construction de nouveaux établissements ; mise en oeuvre de l'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; prolongation du moratoire relatif à l'encellulement individuel jusqu'en 2018 ; non-prise en compte du renouvellement des matériels vieillissants.

Ces mesures ont eu des conséquences sur le travail des agents : dégradation des conditions de travail ; explosion du nombre des heures supplémentaires ; postes découverts ou réduits ; déclassement sécuritaire de certains détenus dangereux lors des extractions. Elles ont aussi eu des répercussions sur les matériels : tenues d'intervention lourdes, vétustes et mal adaptées ; absence de gilets pare-balles à port léger pour les agents d'escortes médicales ; parc automobile vieillissant à fort kilométrage devenant onéreux ; moyens de communication – téléphones et autres – manquant de fiabilité. Enfin, elles ont eu des effets sur la détention : surpopulation et agressions ; 4 192 agressions physiques et 15 880 agressions verbales contre le personnel ont été relevées en 2013.

Nous ne cessons de demander des effectifs afin de pouvoir travailler dans de bonnes conditions et d'assurer en sécurité le fonctionnement des établissements. Précisons qu'à partir de 2015, l'administration pénitentiaire devra prendre en charge les extractions judiciaires qui étaient assurées par la police et la gendarmerie. Nos revendications légitimes s'appuient sur une base de travail cohérente et proche du terrain, permettant de répondre aux attentes des surveillants pénitentiaires et, par la force des choses, de garantir la qualité d'un travail de renseignement désormais primordial.

Le 24 juin 2013, nous avions manifesté contre l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, relatif aux fouilles des détenus. Nous avions demandé l'installation de portiques de détection à ondes millimétriques pour pallier les effets de cet article, et un déblocage de 33 millions d'euros avait été annoncé pour calmer les ardeurs.

Le 29 août 2014, nous avons remis un rapport relatant toutes ces problématiques à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, lors de sa visite à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré. Le 9 février 2015, le cabinet de la garde des sceaux a pris la décision de ne mettre en place les portiques de détection à ondes millimétriques que dans les maisons centrales dites sécuritaires.

Il a fallu malheureusement les drames terroristes récents pour prendre conscience de certaines lacunes, mettre en place un plan de lutte et débloquer des fonds. On nous dit que la radicalisation peut se propager par le biais d'internet ou de communications avec l'extérieur. Pour notre part, nous constatons que des téléphones circulent toujours en prison, comme en atteste la dernière fouille effectuée à Lorient. On nous parle d'installer des brouilleurs plus efficaces alors que des portiques permettraient tout simplement d'éviter l'entrée des objets interdits.

Voici exposées succinctement les problématiques générales sur le rôle et les missions des surveillants pénitentiaires qui évoluent dans un contexte rendu déjà difficile par la surpopulation pénale et le manque cruel d'effectifs.

Les surveillants pénitentiaires naviguent entre les obligations sécuritaires, la prise en charge des détenus et les règles de déontologie. Les règles pénitentiaires européennes et les lois pénitentiaires se mettent en place sporadiquement sans prendre en compte les difficultés de fonctionnement existantes. Les conséquences de la politique de modernisation de l'action publique, dont l'objectif est de réduire les dépenses humaines et matérielles, doivent également être soulignées. On veut lutter fermement contre le terrorisme pour que de tels actes ne se reproduisent plus. Pour que ce combat soit efficace, tous les acteurs de l'État doivent pouvoir s'y impliquer pleinement. Il le sera d'autant plus si les personnels sont dotés des moyens nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions, leur permettant de faire remonter des informations de qualité et utiles à la surveillance de détenus qui envisageraient de rejoindre les rangs des terroristes.

Or des postes ne sont pas occupés afin de réaliser des économies de personnels et d'heures supplémentaires. Dans ces conditions, l'insécurité est grandissante et ne peut être jugulée. Les surveillants, souvent esseulés, sont livrés à eux-mêmes face à une population pénale qu'il est toujours plus difficile de contenir. Il est temps de réagir et de donner tous les moyens aux surveillants d'accomplir leur mission en toute sécurité.

Nous avons accepté ce métier, ses missions et ses contraintes. Nous nous sommes même engagés à les assurer avec professionnalisme, en nous adaptant au fur et à mesure des évolutions et des événements. Nos dirigeants doivent prendre la mesure de nos missions actuelles et futures et faire en sorte que notre outil de travail cesse de se dégrader sous prétexte d'économies à réaliser. Il faut se donner les moyens de lutter vraiment et efficacement contre ce fléau qu'est la radicalisation. Pour s'attaquer à la racine, il est nécessaire de renforcer la base : il faut redonner du crédit aux surveillants pénitentiaires qui ne peuvent être écartés de ce combat national.

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