Intervention de Stéphane Barraut

Réunion du 17 mars 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint de l'Union fédérale autonome pénitentiaire, UFAP-UNSA justice :

Nous vous avons apporté deux brochures importantes : Réflexion sur un service public moderne et rénové ; Contribution pour l'élaboration d'une doctrine du renseignement pénitentiaire. La première réactualise les travaux menés par notre syndicat depuis plus de vingt ans, tandis que la deuxième traduit des préoccupations plus récentes.

Il y a vingt ans, nous dressions déjà le constat que la prison était extrêmement difficile à gérer et que le prosélytisme religieux y créait de vrais soucis. Comme actuellement, nous estimions qu'il n'était pas possible de traiter le problème des prosélytes radicaux à part, en occultant la situation générale des prisons. Dans cet univers complexe, il existe des mouvances et des courants différents qui ne peuvent être gérés sans une réelle observation de la part des personnels pénitentiaires, et cela nécessite des moyens humains et matériels.

Depuis des années, nous travaillons sur les établissements spécialisés qui ont vu le jour : les établissements pour mineurs, qui ont offert des solutions efficaces ; les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) et les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) pour les détenus malades. Il nous semble important de créer de nouvelles structures permettant de gérer des détenus très dangereux ou appartenant à une mouvance islamiste, sans les priver des activités qui existent dans une prison classique. Les laisser végéter n'aboutirait à rien d'autre qu'à davantage de radicalisation.

Il y a six mois, nous avons publié un travail sur le renseignement. Or celui-ci se trouve désormais au coeur des priorités de l'administration pénitentiaire, après avoir été abordé dans le cadre de la mission sur la sécurité des établissements pénitentiaires, confiée à Jean-Marc Chauvet à la suite de la tentative d'évasion avec prise d'agents en otage qui était survenue à Fresnes le 27 mai 2001. La mission s'était déplacée dans différents pays, notamment en Grande-Bretagne où le renseignement pénitentiaire était très développé.

L'administration pénitentiaire a fait preuve d'amateurisme puisqu'elle n'a élaboré aucun plan détaillé, se contentant de placer dans différentes directions interrégionales un ou deux officiers chargés de recueillir du renseignement. Il faut aller beaucoup plus loin et développer une véritable filière du renseignement. D'une part, les personnels doivent être munis de toutes les autorisations et de tous les outils juridiques nécessaires à leur protection. D'autre part, il faut développer un vrai système de communication entre tous les services nationaux de renseignement français. À l'heure actuelle, l'administration pénitentiaire fournit des informations aux services de renseignement nationaux mais il n'existe aucune transversalité entre les services.

En ce qui concerne le plan de lutte contre la radicalisation, différentes pistes sont étudiées. Le programme « arrivants », doté de 1,72 million d'euros par an, est primordial et pas seulement dans une perspective de lutte contre le prosélytisme religieux. À leur arrivée en détention, les détenus devraient bénéficient d'une période d'observation d'une quinzaine de jours et non pas seulement de deux à trois jours comme c'est actuellement le cas. C'est la condition d'une prise en charge efficiente.

Il est aussi question de recruter soixante-dix surveillants dans les Équipes régionales d'intervention et de sécurité (ÉRIS), afin d'améliorer la sécurité des établissements. Mais ces recrutements paraissent incongrus à un moment où, par souci d'économies, on évite de recourir aux ÉRIS qui existent et sont déployées sur tout le territoire national : leur utilisation coûte très cher car les personnels sont mobilisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Signalons aussi que l'administration pénitentiaire a développé un plan d'action national relatif à la maîtrise des heures supplémentaires. D'un côté, on parle de recruter soixante-dix personnels dans les ÉRIS ; de l'autre, on restreint drastiquement les heures supplémentaires, au détriment de la sécurité. C'est complètement incohérent.

Un brouillage efficace des communications permettrait de lutter contre le fléau que représentent les téléphones portables en détention, mais il est difficile à réaliser sur le plan technique.

Il est aussi envisagé de créer cinq quartiers dédiés aux détenus concernés par le terrorisme islamiste, dont celui qui existe déjà à Fresnes. Nous n'avons pas suffisamment de recul pour juger de la pertinence de ce genre d'isolement. Hier soir, nous avons eu communication du rapport de l'inspection générale des services pénitentiaires (IGSP) sur les premiers mois de fonctionnement du quartier de Fresnes qui regroupe une trentaine d'islamistes radicaux. On constate d'énormes difficultés : ces détenus choisis d'après une grille détaillée ont des occupations communes avec la population générale de la prison car il n'existe pas d'étanchéité absolue ; ils font néanmoins l'objet d'une restriction de leurs activités. Pour nous, ce n'est pas forcément pertinent. L'étanchéité est nécessaire si on veut mettre ces détenus de côté, mais on doit aussi leur proposer des activités pour éviter un sentiment d'injustice qui ne ferait qu'alimenter leur rébellion. Nous sommes d'autant plus critiques par rapport à ces cinq quartiers dédiés – quatre en région parisienne, un dans la région lilloise – qu'il n'y aura pas suffisamment de personnels pour s'en occuper : contrairement à ce qu'il faudrait faire, l'administration pénitentiaire prévoit d'y mettre moins de surveillants.

Pour terminer, je voudrais faire un point sur les techniques de sécurité et sur l'article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 qui nous pose d'énormes difficultés. Certes il s'agit d'une loi mais ne pourrait-on pas suspendre pendant deux ans l'application de la disposition qui interdit les fouilles systématiques ? Quand il y a contact avec l'extérieur, notamment à l'occasion des parloirs, le détenu doit être fouillé. Ceux qui sont incarcérés pour des faits mineurs et qui ne seront pas fouillés deviennent des mules, placés sous la contrainte de caïds qui les utilisent pour faire passer des produits interdits.

Le prosélytisme religieux ne pourra être endigué que par l'observation de toute la population pénale. Or, à Fresnes par exemple, un seul surveillant doit gérer plus d'une centaine de détenus. Comment le personnel pourrait-il faire une observation efficace ? Il faut y mettre les moyens, sachant que les problèmes de la prison ne se limitent pas au prosélytisme religieux.

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