Intervention de Jean-Philippe Guilloteau

Réunion du 17 mars 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Jean-Philippe Guilloteau, secrétaire fédéral en charge de la branche justice, secteur pénitentiaire de la Fédération Interco CFDT :

Vous auriez pu poser la même question il y a trente ans : dans les années 1980, le taux de surpopulation carcérale était d'environ 115 %, c'est-à-dire d'un niveau quasiment identique à celui que nous constatons de nos jours ; au cours de cette période, il ne s'est stabilisé à 100 % que pendant une ou deux années. La surpopulation n'est pas un problème d'actualité, elle a toujours existé. Est-ce qu'en construisant plus de prisons, on abaisse le taux de surpopulation ? Oui dans l'immédiat mais pas à long terme. Ce constat s'est notamment vérifié au début des années 1990, au moment de la réalisation du « programme 13 000 ». La création de places est toujours suivie d'une hausse des incarcérations.

Comment prendre le problème ? La moitié des ateliers des prisons construites dans le cadre du « programme 13 000 » sont vides parce que les entreprises qui font travailler les détenus sont soumises à de fortes contraintes, et l'oisiveté se développe. Certains responsables politiques demandent l'application du contrat de travail type à l'intérieur des prisons alors que les entreprises vont y chercher des coûts un peu moindres et des conditions plus souples. Une telle mesure conduirait à vider totalement les ateliers. Que ferait-on alors de ces 600 ou 800 détenus ?

Au début des années 1990, dans un établissement de 600 places, au moins 200 à 250 détenus avaient du travail ; actuellement, ils sont à peine une centaine. Comment occuper les détenus ? L'oisiveté et l'ennui favorisent le prosélytisme radical islamiste. Les détenus n'ont rien à faire ; ils n'ont pas d'argent ; leurs familles n'arrivent pas à les aider ; l'administration pénitentiaire ne parvient pas à les accompagner. Il y a eu des projets « Euronef » pour la construction de salles de sport dans certaines prisons, pour lesquels l'administration pénitentiaire avait embauché des détenus. Cette initiative, comme plusieurs autres, a été interrompue sans que l'on sache vraiment pourquoi.

Si de nouvelles prisons sont construites, il ne faut pas reproduire les erreurs du passé : des établissements trop grands et un manque de personnels. Dans ces prisons, les surveillants souffrent d'un mal-être au travail car ils ne sont pas assez nombreux, et le nombre d'heures supplémentaires explose. Quand un surveillant doit gérer 80 ou 100 détenus sur une coursive, il n'a pas le temps de faire du renseignement pénitentiaire. En 1988, je travaillais à Fresnes où il y avait 200 détenus par étage. Un quart d'heure avant sa prise de service, le surveillant devait commencer par refaire la liste des mouvements de détenus prévus dans la matinée. Loin de s'interroger sur la manière d'observer les détenus, il se demandait comment il allait bien pouvoir gérer tous ces mouvements. En fait, il ne faisait que courir toute la journée.

Nous sommes allés visiter le fameux quartier dédié de Fresnes dont il y aurait beaucoup à dire. Il faut peut-être construire des prisons mais pas n'importe lesquelles et surtout pas n'importe où. La prison de Réau est au bord de l'autoroute, celle de Joux-la-Ville au fin fond d'un coin perdu, et une autre au milieu d'une zone industrielle. « Ouvrir une école, c'est fermer une prison », disait Victor Hugo. La prison d'Amiens, elle, est bâtie entre la cité et l'école ! Tous les jeunes qui vont à l'école passent forcément à côté de la prison…

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