Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 4 juin 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Pour répondre à la question de l'espionnage évoquée par Uli Grötsch, je vous rappelle ce que j'ai dit hier à ce sujet, à savoir qu'il n'existe pas en France de loi sur les services de renseignement. Dans ce domaine, il n'y a pour le moment qu'un texte de 1991 encadrant les écoutes téléphoniques, et le projet de loi dont nous discutons actuellement doit justement permettre d'encadrer globalement les services.

J'observe le milieu du renseignement depuis maintenant quatre ans, notamment en ma qualité de membre de la structure commune à l'Assemblée nationale et au Sénat ayant vocation à surveiller les services de renseignement, et je me suis bâti une philosophie assez simple en la matière : dans le domaine de la surveillance et du renseignement, les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. Il faut donc que nous soyons lucides : nous avons des partenariats – nous travaillons aussi bien avec le BND qu'avec les services anglais, le Mossad israélien ou la NSA – mais souhaitons rester souverains, c'est-à-dire recourir à nos propres outils et ne pas dépendre d'une autre structure.

Dans le passé, une discussion a eu lieu sur ce point avec les Américains et, quand ils sont venus nous proposer des collaborations, nous les avons refusées au motif que nous ne discutions qu'une fois munis de nos propres outils. Le respect de ce principe nous permet aujourd'hui, quand nous intervenons sur les théâtres d'opérations étrangers, notamment au Mali, de ne pas dépendre d'informations provenant d'une puissance étrangère, fût-elle amie.

De ce fait, quand j'ai découvert que les services de renseignement allemands avaient espionné les Français pour le compte de la NSA, cela ne m'a pas posé de problème. Nous travaillons en parfaite harmonie avec nos partenaires sur certains sujets – la lutte contre le terrorisme en est un – et, quand notre pays a été frappé par des attentats, le principal service de renseignement intérieur a reçu immédiatement le soutien de tous les autres services occidentaux, qui l'ont appelé pour mettre à sa disposition les renseignements en leur possession susceptibles de l'intéresser.

Cela dit, je ne crois pas à une dimension véritablement européenne en matière de renseignement. Je me suis rendu vendredi devant la commission LIBE présidée par M. Claude Moraes, où j'ai pu constater que nos amis roumains et polonais étaient très énervés contre les services de renseignement allemands et américains. Pour ma part, je considère utopique d'imaginer que nous ne nous renseignions pas sur tout le monde – y compris sur nos amis – et je ne trouve pas cela anormal du moment que nous n'en faisons pas mystère.

Ce qui me gêne, en revanche, c'est que le Parlement ne soit pas en mesure de savoir tout ce que font les services de renseignement – c'est pourquoi nous voulons légiférer sur ce point : la loi à venir donnera aux services les moyens qui leur font actuellement défaut et, en contrepartie de ces moyens nouveaux, les assujettira à des contrôles beaucoup plus forts. Si tout le monde s'est déclaré d'accord sur le principe, il restera à voir ce qu'il en est en pratique : disposer d'un droit de regard théorique est une chose, avoir les moyens de l'exercer en est une autre. Notre travail – nous en avons parlé ce matin lors d'une réunion avec nos collègues du Sénat – va consister, une fois la loi votée, à faire en sorte que nous soyons dotés des moyens humains et techniques qui s'imposent. Sur ce dernier point, j'insiste sur l'importance pour nous de disposer des mêmes outils technologiques que les services que nous sommes censés contrôler, et des compétences nécessaires pour les faire fonctionner. C'est, pour le Parlement français, une bataille à gagner dans les deux ans à venir.

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