Intervention de Gilles Kepel

Réunion du 4 février 2015 à 8h45
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Gilles Kepel, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris :

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à participer à vos travaux dans ce moment particulièrement intense que vit notre pays. Il s'avère aujourd'hui nécessaire d'améliorer l'articulation entre la connaissance universitaire et la sphère de la décision publique ; une plus grande fluidité entre ces deux mondes nous aurait permis de disposer d'outils d'analyse plus efficients. Je fais part de cette conviction dans le rapport que je viens de remettre au Premier ministre ; commandé par son prédécesseur, ce travail m'a occupé pendant onze mois au cours desquels j'ai visité vingt-trois pays pour tenter de comprendre comment nos partenaires, nos adversaires ou nos contacts géraient les questions relatives à la région Moyen-Orient-Méditerranée-Afrique du Nord qui englobe le triangle reliant Téhéran, Bamako et Roubaix. Les sociétés européennes évoluent et se transforment dans un rapport d'interdépendance avec les mutations en oeuvre en Afrique du Nord : Khaled Kelkal, Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, Chérif Kouachi, Saïd Kouachi et Hayat Boumeddiene sont originaires de familles provenant d'Algérie, et Amedy Coulibaly du Mali, ces deux pays ayant été d'anciennes colonies françaises ; l'hexagone n'est plus seulement l'héritier d'ancêtres gaulois, mais celui de l'empire colonial. Si lors des indépendances, et pour des raisons diverses, on a cru, de chaque côté de la Méditerranée, pouvoir tirer un trait sur ce passé partagé pour le meilleur et pour le pire, la réalité actuelle montre que ce mélange est effectif. Marseille incarne cet assemblage et l'on ne peut pas comprendre cette ville sans la penser dans sa relation à l'Algérie. La recherche universitaire perçoit cette dimension qu'elle réinscrit dans le temps long.

Les médias traditionnels subissent aujourd'hui une crise profonde de définition et d'identité du fait de la concurrence exercée par les réseaux sociaux ; l'une des innombrables lectures de l'affaire Charlie Hebdo repose sur l'assassinat de l'équipe rédactionnelle d'un média papier par des individus qui n'en avaient sans doute jamais lu un seul exemplaire et qui étaient perfusés par des réseaux sociaux incontrôlables. Le Premier ministre étudiera les préconisations de mon rapport et la représentation nationale devrait se pencher sur les enjeux qui concernent l'université française.

En effet, l'université peut fournir une clef d'élucidation des événements récents. Lorsque j'ai appris la tuerie à la rédaction de Charlie Hebdo, tout était clair pour moi car je connaissais le mode d'emploi de ce type de groupe que j'avais traduit en français dès 2008 dans mon livre Terreur et martyre. J'y expliquais la nature de la troisième génération du djihad ; à l'époque, je n'avais reçu que très peu d'attention car la théorie développée par ces idéologues ne pouvait pas encore être mise en pratique puisque les conditions objectives – comme l'on dit à la gauche de l'hémicycle – n'étaient pas encore réunies. On vivait dans un monde merveilleux où YouTube n'existait pas encore, où Facebook était peu connu, où Twitter n'avait pas pris son envol, où l'hameçonnage – ou phishing – sur Internet n'était pas répandu et où, surtout, il n'y avait pas de champ de bataille pour expérimenter le nouveau djihad à portée d'un vol charter coûtant 90 euros. Néanmoins, le modèle était créé.

Le djihad armé a pris son envol lors de la guerre civile en Afghanistan dans les années 1980, au cours de laquelle les combattants afghans et les djihadistes étrangers – venus d'Algérie, d'Égypte et déjà un peu de France, particulièrement de la région lyonnaise – ont été financés par les pétromonarchies du Golfe et entraînés par la CIA pour infliger un Vietnam à l'URSS. De fait, le 15 février 1989, l'armée rouge quitta Kaboul défaite et le Mur de Berlin tomba quelques mois plus tard, le 9 novembre 1989. Les moudjahidines afghans et leurs alliés djihadistes étrangers – que l'on appelait alors à Washington les combattants de la liberté ou freedom fighters – ont porté l'estocade à la dimension militaire du système soviétique. Cette guerre fut aussi l'occasion pour les pétromonarchies sunnites de réaffirmer leur ascendant sur le langage de l'islam mondial face à la prétention de l'Iran khomeyniste d'exercer ce rôle ; cet épisode permit à l'interprétation militaire et violente du djihad de faire son retour sur la scène politique internationale. Lors des guerres d'indépendance, cette dimension ne se situait qu'à l'arrière-plan ; certains acteurs de la guerre d'Algérie la dépeignaient comme un djihad et ils utilisaient ce vocabulaire pour toucher les populations rurales, peu exposées à la culture française et occidentale, au travers d'un journal, El Moudjahid – Le combattant du djihad. Cependant, cette référence était bien moins importante pour les indépendantistes algériens que le tiers-mondisme ou le marxisme.

Le vocabulaire intellectuel du djihad et la construction du monde reposant sur une vision littéraliste, salafiste et radicalisée des écritures s'imposent à la suite de la guerre en Afghanistan. Les États-Unis et les dirigeants du Golfe pensaient pouvoir instrumentaliser les djihadistes, ceux-ci rentrant chez eux lorsque l'on cesse de les payer ; cette théorie, exposée par Zbigniew Brzezinski dans le Grand échiquier, s'est avérée erronée. Lorsqu'ils retournèrent dans leur pays, ils s'efforcèrent de dupliquer l'expérience du djihad afghan chez eux, tentatives qui échoueront du fait de l'absence de soutien américain. La théorie du 11 septembre sera pensée dans ce contexte et fera éclore la deuxième génération du djihad.

Ayman al-Zaouahiri, médecin égyptien et bras droit d'Oussama ben Laden dont il a pris la succession, pensait que les masses musulmanes avaient peur de se révolter contre les despotes algériens, égyptiens et autres, marionnettes et laquais de l'Occident, et qu'il convenait de frapper ce dernier afin de montrer qu'il n'était qu'un colosse aux pieds d'argile ; ces actions devaient faire perdre de leur lustre et de leur assurance aux tyrans des pays arabes et inciter les peuples à les renverser. Telle est la stratégie qui conduit aux attaques du 11 septembre 2001 : privilégier la lutte contre l'ennemi lointain plutôt que contre l'ennemi proche.

Le 11 septembre a un effet spectaculaire et semble marquer le début du troisième millénaire avec l'émergence du djihadisme comme force majeure dans les affaires internationales. Cette puissance s'avère avant tout symbolique et médiatique ; ce sont ses effets de souffle qui lui donnent un impact sur l'humanité et non sa capacité à transformer les mouvements profonds de l'économie et de la politique. En dépit des attaques du 11 septembre 2001 et de ses répliques madrilène et londonienne, l'objectif de favoriser le soulèvement des masses et l'instauration d'États djihadistes n'a pas été atteint. Pour les djihadistes et les islamistes radicaux, l'histoire se limite à la révélation : le prophète est venu sur terre pour apporter la bonne nouvelle et islamiser l'humanité. Si celle-ci n'est pas encore islamisée, la faute en incombe aux défauts et aux faiblesses des musulmans.

La veille du retrait soviétique d'Afghanistan, le 14 février 1989, Rouhollah Khomeiny lance une fatwa contre Salman Rushdie, coupable d'avoir blasphémé le prophète dans Les versets sataniques. Le blasphème du prophète représente un outil politique efficace pour exercer une hégémonie sur le discours de l'islam et se présenter comme le héros qui défend les musulmans outragés, offensés et humiliés à travers le monde ; les attaques contre Charlie Hebdo poursuivaient également ce dessein, même si ce but n'a pas été atteint. Quand Oussama ben Laden et ses acolytes défont l'URSS, ils ont l'impression de revivre la saga du prophète dont les successeurs avaient d'abord fait tomber l'empire sassanide, l'une des superpuissances de l'époque, avant de se retourner contre l'autre géant, l'empire byzantin, qui ne s'écroulera que 700 ans plus tard, en 1453 ; attaquer New York après avoir éliminé le système soviétique représentait une réplique des actions de leurs devanciers. Ils ont conçu le 11 septembre comme une suite de l'Afghanistan et se sont retournés contre l'autre superpuissance en mordant la main qui les avait nourris.

Toutefois, cette stratégie du djihad de deuxième génération se trouve contestée dès 2004 par un produit de l'université française, Abou Moussab al-Souri. Cet ingénieur syrien, originaire d'Alep et formé en France, faisait partie du cercle rapproché d'Oussama ben Laden et a fui l'Afghanistan après l'offensive lancée par les Américains à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Al-Souri explique que le 11 septembre fut une opération stratégiquement catastrophique, l'hubris de ben Laden l'ayant conduit à se tromper de cible – il fallait frapper selon lui l'Europe et non l'Amérique – et ayant fourni à George W. Bush l'opportunité d'obtenir les crédits militaires et politiques pour attaquer l'Afghanistan, détruire les talibans, démanteler une grande partie d'Al-Qaïda – y compris ben Laden qui fut tué en 2011 – et envahir l'Irak. Al-Qaïda a tenté de déployer une guérilla visant à infliger un nouveau Vietnam ou un Afghanistan aux Américains, mais cette tentative a échoué car, paradoxalement aidés par les chiites, les États-Unis ont empêché le djihad de se développer.

Une troisième génération du djihad a éclos après cet échec et c'est elle qui agit aujourd'hui. Son socle idéologique a été publié sur Internet il y a plus de dix ans, en 2004. Abou Moussab al-Souri connaît bien l'Europe, parle français et a épousé une ancienne gauchiste espagnole qu'il a « niqabisée » et dont il a pris le passeport. Il considère que les États-Unis sont trop forts et trop éloignés du champ de bataille et que l'Europe, au contraire, constitue le « ventre mou » de l'Occident. Il dresse le constat que les nombreuses populations originaires du monde musulman vivant en Europe y sont mal intégrées et souffrent de xénophobie, de racisme et de marginalisation ; al-Souri affirme qu'il convient de mobiliser ces personnes en leur enjoignant de ne pas s'assimiler dans les sociétés européennes, mais, au contraire, d'entrer en dissidence avec elles pour détruire l'Occident de l'intérieur. Pour atteindre ce but, il faut remplacer le système pyramidal, léniniste et centralisé du djihad – celui promu par ben Laden – par un modèle réticulaire et horizontal, qui n'est pas sans faire penser au rhizome révolutionnaire de Gilles Deleuze et qui vise à multiplier les provocations destinées à contraindre les États européens à surréagir, s'inspirant en cela des méthodes des Brigades rouges et de la Fraction armée rouge. Dans l'esprit d'al-Souri, ces attaques doivent conduire les sociétés européennes à développer ce que les islamistes appellent l'islamophobie, celle-ci donnant aux populations issues de cette culture le sentiment d'être persécutées et les incitant à se regrouper sous la bannière des plus radicaux. L'objectif est de favoriser la rupture avec les organisations d'intégration et avec les modèles de réussite, car de nombreuses personnes issues de l'immigration postcoloniale sont désormais élues de la nation française, ce phénomène ne datant que de la décennie écoulée.

Dans cette optique, trois cibles furent définies dès 2004 : les intellectuels libéraux, les juifs et les apostats. La société majoritaire s'identifie aux premiers et voudra se venger des musulmans, ce qui suscitera la réaction souhaitée de crispation identitaire et de guerre des cultures ; les juifs doivent être visés en tant que suppôts d'Israël et du sionisme, mais pas dans les synagogues comme le montrent les actions de Mohammed Merah, de Mehdi Nemmouche et d'Amedy Coulibaly ; les apostats sont les mauvais musulmans, population qui regroupe tous ceux qui ne suivent pas les djihadistes et qui sont donc passibles de la peine de mort. Les musulmans servant sous l'uniforme des impies se trouvent particulièrement visés : Mohammed Merah tue des militaires français à Montauban le 19 mars 2012, date du cinquantième anniversaire des accords d'Évian, en pensant qu'ils sont tous musulmans, alors que deux d'entre eux, dont un Antillais, ne l'étaient pas. Il me semble que le brigadier vététiste Ahmed Merabet a été abattu comme tel le 7 janvier 2015 ; d'ailleurs, le lendemain, la djihadosphère célébrait l'exécution de l'apostat. L'agression survenue hier à Nice fait suite à des instructions mises en ligne sur des sites djihadistes francophones de Syrie deux ou trois jours avant, incitant à poignarder un policier, lui prendre son arme et tuer un militaire. La logique qui anime ces assassinats est donc parfaitement connue des travaux universitaires depuis 2008, alors que l'on brocarde l'université pour son déphasage par rapport à la réalité.

Nos services de sécurité ont été victimes de leur succès, puisqu'entre 1996 et 2012, il n'y a pas eu d'attentat djihadiste en France. Beaucoup de jeunes d'origine algérienne vivant en France avaient, dans les années 1990, de la sympathie pour le Front islamique du salut (FIS) et n'aimaient pas le régime des généraux en Algérie. Lorsque la violence s'est exportée sur le sol français avec le détournement d'un airbus en 1994 et des attentats terroristes, les investissements réalisés par des familles algériennes en France pour gagner leur vie et lutter contre le chômage et le racisme furent menacés. Les pères de famille ont donc assuré l'ordre social et chassé les terroristes. À cette époque, les russophones des services de renseignement furent remplacés par les arabophones ; de nombreux spécialistes du monde arabe étudiaient à Sciences Po à l'époque – avant que Richard Descoings n'eût la géniale inspiration de fermer le département en décembre 2010 – et nous les avons vus rejoindre les services. Ceux-ci ont donc recruté des agents de qualité et leur mission fut favorisée par une bonne responsabilité sociale.

Aujourd'hui, l'émergence de la troisième génération de djihadistes n'a pas été perçue aussi rapidement qu'elle aurait dû l'être. On a traité Mohammed Merah comme un combattant de la deuxième génération alors qu'il représente un produit typique de la troisième. Aujourd'hui, nos connaissances sur Daech sont vastes et nous savons que les attentats de Paris ne sont pas le fruit du hasard, mais la mise en application d'un manuel. La deuxième génération, celle d'Al-Qaïda, n'a pas constitué un phénomène social en France : cette organisation n'a jamais compté 1 500 membres et il n'y avait pas 25 % de convertis, dont 30 % de femmes. L'idéologie fut élaborée en 2004 mais elle n'a été mise en oeuvre que huit ans plus tard avec les assassinats perpétrés par Mohammed Merah – même si le meurtre du réalisateur néerlandais Theo van Gogh, le 2 novembre 2004, les préfigurait. Elle cherche à responsabiliser les individus après les avoir endoctrinés sur les réseaux sociaux ; il ne s'agit plus de demander à des imams radicalisés – tel Farid Benyettou – de recruter des exécutants comme dans la période précédente, car ces derniers sont identifiés par les services de renseignement. Des réseaux de solidarité entre pairs subsistent, mais l'auto-radicalisation domine désormais et se nourrit d'images édifiantes de bombardements d'enfants par l'armée de Bachar el-Assad en Syrie. Ces vidéos suscitent des identifications, entrent dans les modes de pensée et de représentation du monde des jeunes et provoquent des solidarités. C'est à cette culture que souhaite s'adresser la campagne « Stop djihadisme » du Premier ministre, celle-ci ayant déjà été détournée par les djihadistes qui s'en servent pour leur propagande. Ces jeunes sont repérés par la technique de l'hameçonnage sur Internet, sont endoctrinés et reçoivent, si possible, un entraînement militaire. Le front djihadiste syro-irakien offre une opportunité exceptionnelle pour développer cette filière et il pourrait s'étendre demain en Libye – dans cette optique, il s'avère capital d'éviter que la Tunisie tienne pour la Libye le rôle de lieu de passage occupé par la Turquie dans le conflit actuel, et les autorités tunisiennes sont extrêmement déterminées à conjurer ce risque.

Ce nouveau système réussit à traduire la grammaire du djihadisme dans la culture jeune – d'où le nombre élevé de convertis –, si bien qu'il représente un défi et un danger inédits. La police a ouvert un numéro vert destiné aux familles inquiètes de voir leurs enfants basculer dans le djihad : ce sont les parents des classes moyennes qui l'utilisent et non ceux des classes populaires qui peuvent avoir un enfant ou un membre de leur famille en délicatesse avec les services fiscaux ou la police. Cela montre que la menace ne touche pas uniquement les banlieues déshéritées. Les familles concernées sont, en revanche, très souvent fracassées. Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, Chérif Kouachi, Saïd Kouachi et Amedy Coulibaly proviennent de familles brisées où la mère a des moeurs difficiles et le père est un trafiquant, souvent expulsé et donc absent : ils ont tous été placés et l'on connaît bien leur parcours grâce aux notes de la protection de l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui seront précieuses pour l'étude. Ces vies nous interrogent sur notre société, ses failles et la capacité des discours d'endoctrinement à exploiter ces déchirures. Des personnes parties de Lunel pour rejoindre le champ de bataille syrien ont commis des exactions épouvantables – crucifixions et lapidations – qu'elles ont mises en ligne aux fins d'édification et de prosélytisme dans leur milieu d'origine.

L'université doit fournir des éléments permettant de comprendre la radicalisation, car les services de renseignement se focalisent sur la déradicalisation. Les connaissances de l'arabisant et de l'orientaliste sont nécessaires, mais elles doivent être reliées à d'autres disciplines comme la psychologie, l'histoire et la sociologie. La situation nous oblige à repenser notre société.

Les événements de janvier ne me rendent pas pessimiste sur la capacité de la société française à réagir. Les djihadistes cherchaient à la fragmenter et à mettre en place des guerres d'enclaves, musulmans contre juifs et contre chrétiens. Une préfiguration d'une telle situation s'est donnée à voir l'été dernier à Sarcelles, mais ce mécanisme ne s'est pas enclenché après les attentats de début janvier. Certes, une partie de la jeunesse n'a pas manifesté le 11 janvier et certains élèves ont refusé de respecter une minute de silence à la mémoire des victimes – même si des professeurs affirment qu'il aurait été difficile de faire suivre par des adolescents une minute de silence pour n'importe quel événement –, mais il n'est pas négatif que les clivages se soient exprimés de façon aussi clinique car nous allons pouvoir traiter leurs symptômes. Beaucoup d'enseignants m'écrivent pour me dire que leur hiérarchie ne les écoutait pas lorsqu'ils signalaient ce type de problème, mais que tel n'est plus le cas. Ils affirment être dorénavant prêts à se mettre en avant pour traiter ces questions et sauver la société en quelque sorte. J'y vois un signe très positif. Ainsi, une professeure d'anglais du lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen m'a écrit pour m'informer qu'elle avait créé il y a quatre ans un atelier d'autodéfense intellectuelle destiné à aider ses élèves à exercer leur esprit critique et à prendre du recul sur l'information qu'ils reçoivent chaque jour. D'autres enseignants m'ont fait part de projets similaires.

Lors d'une émission de radio, j'ai discuté avec un imam d'origine algérienne, né aux Mureaux, ayant grandi dans l'enfer du Val-Fourré et qui, parti à 15 ans en Syrie, s'inquiète aujourd'hui de l'action de radicalisation des réseaux sociaux et de la perte d'influence des imams. Or, pour la première fois depuis que je suis ces questions, soit une trentaine d'années, cet imam souhaite mettre en place des éléments de collaboration avec l'université pour sortir de l'isolement et se trouver plus en phase avec la jeunesse française de confession musulmane. Ces éléments sont nouveaux, intéressants et vont nous permettre de régler une partie des problèmes actuels.

Le traumatisme que nous avons vécu provoque une responsabilisation sociale, y compris, et c'est bien normal, de la part de nos compatriotes musulmans. Même si certains d'entre eux ont vécu le blasphème du prophète comme une humiliation, nombreux sont ceux qui souhaitent travailler sur ces questions pour réduire les clivages de la société et reformer le tissu social. Cela nécessite de rompre avec l'organisation en silos. Le Gouvernement a beaucoup insisté sur le rôle des instituteurs, des professeurs de collège et de lycée, et les messages que j'ai reçus montrent à quel point celui-ci est fondamental ; cependant, les représentations du monde se forment aussi à l'université, puisque la recherche y est logée, et oublier cette réalité reviendrait à se tirer une balle dans le pied. L'université et les pouvoirs publics doivent donc développer une coopération plus étroite : construisons une nouvelle relation entre le savant et le politique !

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