Intervention de Gilles Kepel

Réunion du 4 février 2015 à 8h45
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Gilles Kepel, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris :

L'opération policière faisant suite aux attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 a fait l'admiration de l'Europe, et le Gouvernement a pris les mesures adaptées aux événements. Il convient maintenant de porter ces sujets dans l'enceinte de l'Union européenne (UE) et d'arrêter des dispositions dans ce cadre, car l'Europe tout entière est visée.

Les jeunes vivant dans des familles fracassées ont perdu tout repère et la République n'en fournit plus. Mme Dounia Bouzar explique bien le processus d'aliénation de type sectaire mis en oeuvre pour couper les individus de leur famille ou de leurs professeurs. L'absence d'institutions et de rites auxquels on puisse adhérer pose un problème. La manifestation du 11 janvier dernier a d'ailleurs comblé ce vide, d'où sa grande portée symbolique. Les rites doivent avoir du sens et offrir la possibilité de s'identifier à eux. Les barbus de toute sorte ont brocardé la laïcité ces dernières années, alors qu'elle permet de vivre ensemble dans la pluralité et le conflit non-violent des opinions. Sur ce dernier point, il convient de ne pas alimenter la fiction d'une société réconciliée : des élus de droite et de gauche siègent à l'Assemblée nationale, nourrissent des convictions différentes, souhaitent battre leurs adversaires lors de ces moments ritualisés que sont les élections et, pourtant, ils ne s'étripent pas ! Cela permet de socialiser les clivages de la société dans un espace commun ; les divisions existent aussi dans les quartiers populaires et l'on doit trouver les moyens de les socialiser, objectif pour lequel les rites peuvent s'avérer utiles.

En 2003, lorsque je siégeais dans la commission présidée par Bernard Stasi et portant sur l'application du principe de laïcité dans la République, mon collègue M. Patrick Weil et moi-même avions insisté sur le fait que la laïcité française avait été conçue en 1905 comme une séparation entre l'Église et l'État, entre Rome et Paris. L'enjeu diffère aujourd'hui, car nous devons construire une laïcité non plus de séparation, mais d'intégration ; or, depuis dix ans, nous n'avons pas beaucoup progressé sur cette question.

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