Intervention de Général Bertrand Clément-Bollée

Réunion du 16 juin 2015 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Bertrand Clément-Bollée :

Je vous remercie de votre invitation et de la juste et légitime considération qu'elle témoigne à l'endroit du SMV.

Permettez-moi de vous présenter le général Vianney Pillet, futur « COM SMV », qui assurera, dès le 1er juillet prochain, le commandement de l'échelon de préfiguration du SMV. Cet échelon deviendra le « Commandement du SMV » dès lors que l'objet juridique SMV sera reconnu par le cavalier législatif actualisant la loi de programmation militaire (LPM) en ses articles 17 et 18.

Je vous propose dans un premier temps de balayer les grandes lignes du projet. Je me concentrerai ensuite sur un aperçu détaillé du système expérimental, qui sera mis en oeuvre dès l'automne prochain, et vous rendrai compte de son état d'avancement. Enfin, m'appuyant sur mon expérience de chef de l'équipe projet, je porterai à titre personnel un regard sur l'horizon post-expérimental.

Le SMV, dont je porte depuis mars dernier le projet d'expérimentation, est la réponse avancée par le ministère de la Défense, soutenue par l'armée de terre, à la volonté présidentielle d'agir pour l'insertion sociale et professionnelle de nos jeunes. Il transpose en métropole le concept ultramarin du SMA, que le général Loiacono vous a exposé. Il se veut ainsi une initiative globale, fédérant entreprises, acteurs de l'emploi, collectivités territoriales et institutions de la République autour des jeunes actuellement en marge de l'emploi.

Cette initiative s'inscrit en complément des dispositifs existants, avec lesquels elle développera toutes les synergies possibles. Je pense notamment à la garantie jeune actuellement en expérimentation avant sa généralisation. L'idée est bien d'accroître l'efficacité de tous ces outils et ainsi de permettre à un maximum de jeunes de prendre leur juste place dans notre société qui, évidemment, est aussi la leur.

Commençons par une rapide mise en perspective.

Vous le savez : chaque année, de nombreux jeunes sortent du système éducatif sans diplôme ni qualification. Cette situation d'échec, outre les freins à l'emploi qu'elle génère, conduit parfois à une marginalisation potentielle. En dépit d'une large palette de dispositifs de rattrapage, d'insertion etou de socialisation, un trop grand nombre de ces jeunes reste encore au bord de la route sans alternative. Les armées sont sensibles à cette situation. Certes, leur finalité première n'est pas l'insertion sociale et professionnelle, mais leur investissement dans cette responsabilité sociétale prend sens dans la perspective du renforcement de la cohésion nationale et du développement de la citoyenneté, axes d'effort patents de la sécurité intérieure. Dans cette perspective, elles sont en mesure de mettre au service de la Nation les valeurs et compétences dont elles sont porteuses. Elles peuvent ainsi transmettre un savoir-être basé sur l'amour du travail bien fait, le goût de l'effort, la force du jeu collectif et le sens de l'intérêt général.

S'agissant des composantes et de l'articulation du dispositif, le SMV veut favoriser l'insertion dans l'emploi des 18-25 ans, garçons et filles, identifiés comme « décrocheurs » – sachant que le but est de montrer à nos interlocuteurs, non qu'on leur importe un problème, mais qu'on est pourvoyeur de solutions. Il propose ainsi une formation globale, de 6 à 12 mois, au sein d'unités militaires du SMV. Cette durée variable permet d'adapter le parcours vers l'emploi en fonction du niveau de départ, du savoir-être acquis, des formations envisagées et des savoir-faire recherchés par les entreprises.

Le dispositif s'appuie sur les compétences des armées, en termes d'encadrement et de savoir-faire « métiers ». Il s'articule autour de quatre axes. Tout d'abord, une formation civique et citoyenne, pour renouer avec les valeurs fondamentales de la vie en collectivité et y retrouver, ou trouver, des repères comme la tenue, la ponctualité et le respect des règles du « vivre ensemble ». Il s'agira aussi d'approfondir les connaissances du fonctionnement des institutions et des démarches afférentes, comme par exemple l'inscription sur les listes électorales. Le jeune suivra de plus une remise à niveau scolaire, passant par la révision et la consolidation des connaissances élémentaires – lire, écrire et compter. Elle sera complétée par une formation professionnelle, regroupant l'acquisition de savoir-faire de base, la confirmation d'un projet professionnel et la préparation au permis de conduire VL. Ce module comprendra des immersions en milieu professionnel, stages ou chantiers internes, pour rendre le jeune le plus employable possible. Enfin, le parcours inclura un entraînement physique progressif pour adopter des habitudes de vie saines et inculquer le goût de l'effort. Une mise au service de nos concitoyens, soit dans le cadre de missions inopinées de secours et de sécurité civile, soit dans le cadre de chantiers d'utilité publique, viendra compléter cette palette d'outils structurants.

L'environnement, par l'action quotidienne et l'exemple concret de l'encadrement, devra concourir à la progression ininterrompue du jeune. Dans cet esprit, et pour éviter toute discontinuité, le SMV formera les volontaires aux besoins « métiers » exprimés par les entreprises partenaires, localement ou nationalement. L'armée dispose en effet d'un éventail de métiers duaux, c'est-à-dire aisément transposables au champ civil, qui peut intéresser les entreprises et auxquels elle peut « préformer » les jeunes en leur faisant valider tout ou partie des « unités de valeur » (UV) de certificats de qualification professionnelle reconnus au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).

Le SMV sera expérimenté suivant trois modèles correspondants à différentes implantations. Un modèle décentralisé sera testé dans le Centre SMV Lorraine – basé à Montigny-lès-Metz, en Moselle – et devrait être orienté vers les métiers de bouche, le bâtiment et les travaux publics (BTP), l'entretien d'espaces verts et l'automobile. Un modèle fondé sur des partenariats avec de grandes entreprises verra le jour au Centre SMV Île-de-France – à Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne –, avec la SNCF notamment. Enfin, il y aura un modèle fondé sur des filières professionnelles à vocation nationale, comme le bâtiment. Le Centre SMV Poitou-Charentes, à La Rochelle, exploitera, dans cet esprit, les capacités de plateaux techniques nationaux, comme celui du centre militaire de formation professionnelle de Fontenay-le-Comte. Ces trois modèles ont vocation à être combinés pour trouver la formule la plus adaptée à chaque implantation. Leur réussite dépendra, avant tout, des relations nouées avec les acteurs de l'emploi comme Pôle Emploi, le MEDEF, la CGPME, l'AFPA, les missions locales, les collectivités territoriales, les services de l'État et de très nombreuses entreprises, qui ont souvent pris l'initiative de nous approcher. Je souhaiterais profiter de cette tribune pour les remercier et souligner que le succès de cette opération repose sur ce travail de coopération et de proximité.

Expérimenté, dans un premier temps, sous tutelle et financement du ministère de la Défense, le SMV ouvrira 200 places à l'automne 2015, puis 300 dès janvier 2016, qui seront portées aux environs de 1 000 à l'automne 2016. Le financement de cette expérimentation, s'articule sur la construction budgétaire suivante : 30 millions d'euros pour le titre 2 – masse salariale – et le fonctionnement courant, plus 10 millions d'euros pour la remise à niveau de l'infrastructure sur l'ensemble des sites expérimentaux. Cette dotation financière cadrée, conjuguée à un calendrier de déploiement rapide, et l'avenir encore imprécis du dispositif m'ont conduit à privilégier les critères de réversibilité, de disponibilité immédiate, de soutenabilité à bas coûts de la vie courante et de potentiel de croissance dans mes propositions de choix des sites expérimentaux.

L'ambition est d'étendre le modèle à l'ensemble de la métropole, à raison d'un centre du service militaire volontaire (CSMV) par future grande région, soit 13 centres à terme, pour un flux annuel compris entre 7 000 et 10 000 jeunes. Dans cet esprit, le portage financier serait amené à refléter l'ancrage local et à reconnaître la participation majoritaire des acteurs du monde de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'insertion. Le ministère de la Défense, quant à lui, « professionnel de la jeunesse » par nature, prêtant son concours à cette problématique nationale majeure de l'insertion sociale et professionnelle de ces jeunes par le biais d'un savoir-faire patent – la formation et la transmission du savoir être –, resterait maître de la tutelle administrative pour garantir au SMV sa militarité dans la durée.

Restant dans cet horizon post-expérimental, j'estime qu'il faudra aussi élargir hors de la seule armée de terre le portage du fonctionnement courant du SMV. L'expérience du SMA désigne naturellement cette armée pour cette première expérimentation, mais la contribution des autres armées, qui disposent de savoir-faire comparables, renforcerait la lisibilité de cette initiative de la défense en faveur de l'insertion socioprofessionnelle, qui n'a pas à rester une exclusivité « terrienne ». Cette interarmisation serait une juste valorisation de l'implication territoriale quotidienne de chaque armée. On pourrait ainsi imaginer un centre SMV « marine » dans les zones brestoise et toulonnaise, un centre SMV « air » dans le Bordelais et des centres SMV « terre » sur le reste du territoire.

À titre personnel, je souhaiterais vous soumettre deux pistes de réflexion liées à la problématique sensible de l'encadrement militaire. À l'évidence, outre son poids financier, cet encadrement restera toujours d'une grande exigence tant en termes qualitatifs que quantitatifs. Si le dispositif expérimental a su trouver, dans l'urgence, des solutions internes à l'armée de terre, cette situation n'est pas prolongeable indéfiniment. Il convient ainsi de limiter l'impact sur les forces militaires, employées en faveur de la Nation dans de nombreuses opérations, comme Sentinelle ou les opérations extérieures (OPEX), en augmentant le vivier de cadres éligibles. Sur la base du volontariat et de la motivation, il pourrait être opportun – en termes de gains en gestion pour l'institution – d'ajouter à la palette des artifices d'aides au départ un genre de « contrat de différence » au titre du SMV, qui permettrait à des cadres militaires de quitter par anticipation le service actif au sein des forces tout en leur offrant l'opportunité d'une transition « douce » vers la vie civile au sein du SMV pour une période donnée. Par ailleurs, selon la même logique, pour certains officiers – comme ceux du corps des officiers des armes –, on pourrait tout aussi bien imaginer, avant le placement en situation de « non proposable » à l'avancement – qui est aujourd'hui un frein au changement de corps – un changement de corps statutaire au titre du SMV au profit des quelques volontaires intéressés par l'encadrement des centres. Basculant dans le corps technique administratif (CTA), ils bénéficieraient alors d'une limite d'âge statutaire prolongée de trois ans permettant une dernière affectation utile et rentable.

Vous l'aurez compris, notre objectif est ambitieux.

Le statut militaire intégré par les jeunes et la formation orientée vers les emplois locaux sont, avec les partenariats, les clefs de la réussite du SMV. Il s'agit d'offrir aux jeunes une sortie positive, c'est-à-dire un emploi stable ou une inscription dans un cycle de formation qualifiante ou diplômante. Nos priorités immédiates sont ciblées sur le recrutement, les partenariats – protocoles, conventions… – et la communication pour faire en sorte que l'effort considérable entrepris dans l'urgence depuis plusieurs mois afin de structurer l'offre SMV trouve de façon réciproque à la rentrée une demande en cohérence.

L'effort à conduire aujourd'hui est encore important, mais nous croyons – et nous nous donnons les moyens de croire – qu'il sera un succès. Il faut donc donner au SMV les moyens matériels, financiers et humains de réussir, pour qu'il puisse se constituer une expérience, grandir et nous rendre fiers d'avoir permis cette aventure. Le cabinet du ministre et l'état-major des armées (EMA) s'y emploient et s'y impliquent. Dans cet esprit, nous invitons toutes les bonnes volontés à s'investir à nos côtés pour créer et relayer cette dynamique, qui se veut un moteur pour la France de demain.

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