Intervention de François Asensi

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Accord france-États-unis sur l'indemnisation de certaines victimes de la shoah — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le 10 juillet 1940, 569 parlementaires français commettaient l’irréparable en votant la fin de la République et la création d’un État fasciste. En s’engageant dans la voie de la collaboration avec l’Allemagne nazie, le régime de Vichy devenait complice de l’un des pires crimes de l’histoire de l’humanité. Comme l’a très bien montré le chercheur américain Robert Paxton, le régime collaborationniste a pris une part active à la déportation depuis la France de centaines de milliers de juifs, d’opposants politiques ou de membres de minorités vers les camps de la mort. La réalité est que le régime de Vichy a été plus qu’un exécuteur zélé de l’Allemagne nazie, devançant à de nombreuses reprises les exigences de l’occupant, pour des raisons politiques et idéologiques.

Le régime de Pétain a bien été un pouvoir totalitaire et fasciste. Plus de 140 000 personnes ont été déportées depuis la France. Parmi elles, 75 000 personnes ont été envoyées dans les camps de la mort parce que juifs. Seule une infime minorité reviendra vivante de cet enfer. La rafle du Vel d’Hiv, les camps de Drancy et du Struthof, les arrestations et exécutions sommaires, toutes ces monstruosités resteront des taches indélébiles dans l’histoire de notre nation. Au regard de l’histoire, l’indemnisation des victimes de la déportation n’est donc que justice. Il s’agit d’un acte légitime pour toutes celles et tous ceux qui ont souffert dans leur chair de la déportation.

Le problème auquel nous sommes confrontés est que les résidents américains ne peuvent bénéficier du régime de pension ouvert dès 1946 aux déportés de nationalité française ou issus d’autres pays. Pour des raisons éthiques et de réparation évidentes, il fallait trouver un moyen de pallier cette carence. La convention franco-américaine que nous discutons aujourd’hui en séance publique est la solution qui a été trouvée entre les autorités des États-Unis et les autorités françaises pour permettre enfin l’indemnisation des résidents américains et leurs ayants droit.

Parce que l’essentiel est d’agir pour les victimes et de leur rendre justice, nous soutiendrons par conséquent cet accord, non sans émettre plusieurs critiques. Lors du passage en commission des affaires étrangères, un certain nombre de députés ont émis des réserves sur la rédaction de cet accord. En cause, la mention à l’article 1er, alinéa 3, du « gouvernement de Vichy » comme exécutant de la déportation. Comme la plupart, voire la majorité, des membres de la commission, j’ai été troublé de l’emploi de cette expression, qui ignore la rupture que constitue le régime collaborationniste par rapport à la République. C’était un régime illégitime, mis en place en pleine débâcle de l’armée française, par la voie d’un vote dont les parlementaires communistes, je veux le rappeler ici, avaient d’ailleurs été exclus, pourchassés depuis l’interdiction du parti communiste français par Daladier en 1939. C’était un régime fasciste, qui a organisé la persécution des juifs, des Républicains, des communistes, des francs-maçons, des libéraux, des socialistes, des homosexuels, des Tsiganes, bref, de tous ceux qui n’acceptaient pas l’horreur nazie ; un régime qui a voulu instaurer un « ordre nouveau » avec son programme de révolution nationale, créature de l’idéologie nazie et des forces de l’Axe.

Non, ce terme n’avait pas sa place dans cet accord. Je remercie Mme la présidente ainsi que le ministère des affaires étrangères d’avoir fait le nécessaire, avec les autorités américaines, pour que ce passage soit réécrit. L’expression « autorité de fait se disant gouvernement de l’État français » est la seule appropriée pour caractériser le régime de Pétain. C’est, au demeurant, cette formulation qui a été retenue par l’article 7 de l’ordonnance du 9 août 1944, par lequel le gouvernement provisoire de la République ôte toute légalité au régime de Vichy.

Cela étant dit, cet accord franco-américain a fait l’objet, sur le fond, d’un certain nombre de critiques, qu’il me paraît nécessaire de rappeler. Cet accord est la conséquence directe des mesures de rétorsion économiques prises à l’encontre de la SNCF aux États-Unis pour sa responsabilité supposée dans la déportation des Juifs depuis la France. Depuis 2000, l’entreprise publique est ainsi régulièrement poursuivie par des associations de victimes de la Shoah. À plusieurs reprises, elle n’a pu participer à des appels d’offres publics, perdant des marchés particulièrement en Californie ou dans le Maryland. On peut penser que la tragédie de la Shoah a été instrumentalisée dans certains milieux pour des raisons mercantiles, afin de nuire aux entreprises françaises en les écartant des marchés étasuniens. Le doute est permis après les révélations concernant les écoutes pratiquées par la NSA sur l’Élysée et les grandes entreprises – je m’associe à la condamnation unanime dans cet hémicycle de l’espionnage par les États-Unis des plus hautes autorités françaises.

L’impression qui ressort est que la France a cédé aux pressions américaines afin d’obtenir, pour nos entreprises publiques, une immunité juridique aux États-Unis. C’est quelque part inquiétant pour l’indépendance de notre diplomatie qui, dans cette affaire, s’est trouvée un peu prise en otage.

Pourtant, les tribunaux français n’ont pas reconnu la responsabilité directe de la SNCF dans la déportation des Juifs. Ainsi, le Conseil d’État a, dans son arrêt de décembre 2007, estimé que l’entreprise publique était, et cela a déjà été dit, « un rouage du processus d’extermination placée sous réquisition des autorités allemandes d’occupation ».

Un des plus éminents spécialistes du sujet, Serge Klarsfeld, ne dit pas autre chose. Même si cela a également été dit, je veux le rappeler : selon lui, « la SNCF, réquisitionnée par l’occupant, a agi sous la contrainte. Les trains de déportation étaient allemands. Les factures étaient payées par la Gestapo à une agence de voyages allemande. ».

Il ajoute être opposé à toute « repentance qui dilue les responsabilités alors que celles des Allemands, de Pétain, de Laval, de Bousquet, de Papon et de Leguay sont, elles, bien identifiées. » Je regrette que nos amis américains n’aient pas su entendre ces arguments.

Enfin, le mécanisme d’indemnisation retenu par l’accord peut prêter à controverse. En effet, il consiste à accorder un chèque en blanc de 60 millions de dollars aux autorités américaines.

Les États-Unis seront chargés de recenser et d’indemniser les personnes concernées. La France n’a plus voix au chapitre et laisse les Américains décider seuls des critères d’indemnisation des déportés et de leurs ayants droit.

Le versement de 60 millions de dollars aux États-Unis rappelle le paiement des réparations de guerre : une anomalie au regard de l’histoire puisque la France fait partie des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale et qu’elle a payé un lourd tribut à l’occupant nazi.

Avec cet accord se pose inévitablement la question de la transparence, alors que le nombre de personnes restant à indemniser aux États-Unis n’est pas connu avec précision. N’y avait-il pas la possibilité d’étendre le système actuel d’indemnisation aux résidents américains ?

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