Intervention de Valérie Fourneyron

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Accord france-États-unis sur l'indemnisation de certaines victimes de la shoah — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Fourneyron :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 3 avril dernier, l’Assemblée nationale accueillait l’Amicale de Dachau, l’association qui regroupe ceux qui ont survécu à l’horreur absolue du camp d’extermination de Dachau et leurs familles. Le thème de ce colloque était « De l’expérience à la mémoire », pour reconnaître que l’épreuve indicible de la déportation ne se limite pas aux camps. Il y a un après. Il y a le retour. Il y a les tentatives de reconstruction et la transmission de la mémoire, vécues par les proches des déportés.

À travers l’examen du texte qui nous est présenté, c’est bien cette question fondamentale du vécu et de la mémoire de la déportation qui nous est posée ; c’est la question de l’humanité que nous devons parvenir à réinstiller dans des vies qui ont été saccagées par la pire des monstruosités. Cette entreprise passe par la reconnaissance du statut de victimes pour les déportés. Elle passe aussi par des mécanismes d’indemnisation des victimes de la barbarie nazie. Ce principe a été admis en France, dès la fin de la guerre, avec la mise en place d’un régime de pension d’invalidité pour les victimes civiles. Comme l’a rappelé le rapporteur, ce régime a été progressivement étendu, par des lois successives, puis par des conventions de réciprocité, afin de couvrir tous ceux qui ont été entassés dans les trains de la mort depuis le sol français, et ce quelle que soit leur nationalité.

Cette volonté de n’oublier aucune des victimes qui ont été déportées depuis la France par les nazis, avec l’aide – nous ne l’oublions jamais – de collaborateurs français, est un honneur pour la France. C’est ce devoir qu’il nous revient aujourd’hui de perpétuer. Car, malgré nos efforts, quelques centaines ou milliers de victimes de la déportation depuis la France n’ont pas pu avoir accès à notre régime d’indemnités, du fait de leur nationalité. Les seules questions qui doivent éclairer nos débats aujourd’hui sont donc celles-ci : est-ce que cette situation est juste ? La réponse est évidemment non. Pouvons-nous agir pour réparer cette injustice ? La réponse est évidemment oui. Une fois n’est pas coutume, les enjeux du texte qui est soumis à notre examen sont simples, clairs, sans ambiguïté. Nous aurions aimé qu’il n’y ait pas d’enjeux partisans, de postures à défendre, de procès d’intention à faire ni de prétendues arrière-pensées à dénoncer.

La seule vérité qui doit déterminer notre décision, c’est qu’il n’y pas de victimes de seconde catégorie, celles qui auraient moins droit à réparation que d’autres. La souffrance n’a pas de nationalité.

Mes chers collègues, nous sommes face à une situation d’injustice, d’autant plus intolérable qu’elle est exercée sur ceux qui ont été victimes du pire crime de l’histoire de l’humanité. Il nous incombe d’apporter une solution pragmatique, efficace et rapide.

Notre devoir, c’est donc d’agir vite et d’agir bien. À ce titre, je veux saluer la détermination du ministre des affaires des affaires étrangères et celle du gouvernement français qui ont pris l’initiative, fin 2012, de trouver la solution la plus opérante possible face à cette situation inique. Les choix faits sur la forme comme sur les termes de l’accord que nous examinons aujourd’hui sont placés sous le signe de la recherche capitale de l’efficacité, animée par l’impératif d’agir vite et de simplifier les démarches administratives en raison de l’âge avancé des déportés survivants, comme l’a rappelé le rapporteur : les négociations entre la France et les États-Unis ont été menées à un rythme soutenu ; le choix a été fait de créer un fonds ad hoc, pour un usage souple, avec une application rétroactive encadrée, fonds qui sera géré directement par les autorités des États-Unis car la plupart des victimes identifiées sont aujourd’hui américaines.

Ce qui domine dans l’accord qui nous est soumis aujourd’hui, c’est d’abord l’intérêt des victimes : c’est lui qui a été placé en premier et a été l’étalon pour soupeser les diverses options qui s’offraient aux négociateurs. Face à l’impératif de morale, d’éthique et de dignité – je le dis à M. Lellouche qui, comme souvent, après s’être exprimé, quitte notre hémicycle ou notre commission –, face à cet impératif de justice, nous avons su répondre présents par ce texte.

Si cet accord permet également de donner des garanties judiciaires et législatives solides, comme l’ont détaillé le rapporteur et la présidente de la commission, protégeant ainsi les intérêts de la France et de ses démembrements face aux risques de poursuites, assurant son immunité judiciaire de manière durable, je ne vois là rien de honteux, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire !

Je tiens également à remercier le Quai d’Orsay et la présidente de notre commission des affaires étrangères d’avoir pris en compte de manière aussi rapide et exemplaire le légitime émoi qu’avait suscité la rédaction initiale, a minima maladroite, de l’article 1er du projet de loi, sans déroger à l’impératif de maintenir un calendrier serré.

Mes chers collègues, entre 1940 et 1944, 76 000 déportés dits « raciaux » ont quitté la France pour les camps de la mort : 3 % d’entre eux sont revenus… 2 564 exactement. Et sur ces 2 564, une poignée aujourd’hui sont des laissés-pour-compte, comme si leurs souffrances étaient niées. La France, patrie des droits de l’homme, ne pouvait tolérer plus longtemps cette situation. Je veux le rappeler : les membres de la commission qui ont débattu de ce texte sont tombés unanimement d’accord pour affirmer que son objet premier et principal, l’indemnisation de victimes individuelles, était bon, tout comme l’ont fait les principales associations représentatives de la communauté juive. C’est cette interprétation fondamentale qui prime, c’est ce message que notre Parlement doit envoyer. Aussi, soyons cohérents et justes jusqu’au bout ! Sans contestation de pur principe ! En 2015, année où la lutte contre le racisme et l’antisémitisme a été décrétée grande cause nationale ; en 2015, année où nous commémorons le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps d’extermination nazis ; en 2015, année où nous luttons pied à pied contre la recrudescence d’actes et de paroles antisémites ; faisons le choix d’un acte fort, solennel, que j’aurais souhaité unanime : celui d’approuver ce projet de loi.

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