Intervention de Chantal Guittet

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Accord france-États-unis sur l'indemnisation de certaines victimes de la shoah — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Guittet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la France doit-elle indemniser les victimes étrangères de l’Holocauste transportées par la SNCF entre 1942 et 1944 ? Oui sans hésitation. C’est notre devoir. Si les abominations subies ne sauraient être effacées, l’indemnisation des victimes dont nous débattons tente toutefois d’en panser les plaies, ces plaies ouvertes et béantes, conséquences d’une vague meurtrière qui eut cours sur notre territoire, dans une Europe tourmentée par le fascisme il y a seulement soixante-quinze ans, vague meurtrière instiguée par les autorités allemandes d’occupation et à laquelle le régime de Vichy donna son aval, idéologique et logistique.

Cet accord s’inscrit dans la continuité de la politique de reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation vers l’Allemagne de Juifs français lors de l’occupation du pays par les nazis, reconnaissance initiée, certains l’ont rappelé, par la voix de Jacques Chirac dans son discours prononcé en juillet 1995, réitérée en 1997 par Lionel Jospin et reprise récemment par François Hollande qui a évoqué un « crime commis en France par la France ». Cet accord, disais-je, s’inscrit dans le prolongement des mécanismes de réparation progressivement mis en place par la France au profit des victimes des persécutions antisémites perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale. Il tend avant tout à réparer une injustice : celle faite à des milliers de victimes, hommes, femmes et enfants, déportées depuis la France et qui n’ont pas eu accès à notre régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité.

Par ailleurs, cet accord est présenté comme un moyen définitif de répondre à toute demande et à toute action qui pourrait être entreprise aux États-Unis contre la France, au titre de la déportation liée à la Shoah depuis notre territoire, par le biais de la SNCF.

Sur le fond, je crois que nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’indemniser les victimes. Le débat au sein de la commission des affaires étrangères s’est focalisé sur la formulation de cet accord car celui-ci laissait à penser que la République est la continuité du gouvernement de Vichy. Je tiens à saluer la pugnacité des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, qui ont oeuvré pour obtenir une nouvelle formulation. Je remercie Mme la présidente de la commission, Élisabeth Guigou, pour son écoute et son soutien, ce qui a permis une coopération efficace et de qualité avec le Quai d’Orsay. Ces efforts conjoints ont permis d’aboutir à la rectification des termes contestés. Plus qu’une querelle sémantique, plus qu’une formule litigieuse, derrière les mots se cache une réalité politique, une réalité d’envergure à la hauteur des discordes soulevées par l’emploi de l’expression « le gouvernement de Vichy », celle utilisée dans le texte initial de l’accord. Il n’est en effet pas acceptable de concevoir la République française comme étant l’État successeur de l’État français de Vichy. Il convient de réaffirmer ici que Vichy est un sombre interlude, une autorité qui s’est imposée dans un contexte particulier, qu’elle ne se positionne pas dans une continuité chronologique et encore moins idéologique. La République française n’est pas l’État Français ; or cette proximité syntaxique entraîne un regrettable amalgame, et c’est ce dont nous ne voulions pas. Garder les termes initiaux, c’eût été donner de l’envergure à une minorité dont chacun connaissait l’existence, celle des collaborationnistes, c’eût été ignorer une majorité dissimulée dans l’illégalité, celle des acteurs de la Résistance.

La méthode choisie pour indemniser les victimes soulève certaines questions, évoquées à l’instant par Jean Glavany. L’indemnisation se fera par le biais d’un fonds ad hoc, géré par les Américains, et non par une extension du régime des pensions d’invalidité. Mais ce dispositif répond à la volonté de mettre en place un mécanisme d’indemnisation facilement accessible aux bénéficiaires résidant à l’étranger, en raison notamment de leur âge avancé.

Je conclurai en soulignant que cet accord est un rendez-vous avec un passé douloureux. En le votant, nous apportons une pierre supplémentaire à un édifice de justice et de réhabilitation de la dignité humaine.

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