Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Renseignement — Présentation commune

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la réunion de la commission mixte paritaire qui s’est tenue mardi 16 juin s’est conclue par un accord qui nous permet de nous réunir aujourd’hui même pour soumettre à votre examen, et, je l’espère, à votre approbation, le texte issu des travaux des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le rapporteur a remarquablement présenté les conclusions de cette commission mixte paritaire. Je veux souligner le travail méticuleux qui y a été réalisé sur de nombreux sujets pour conserver les versions des textes de l’Assemblée nationale et du Sénat les plus protectrices des libertés individuelles.

Je sais que vous avez à l’esprit une mesure qui a fait couler beaucoup d’encre et que certains veulent utiliser pour jeter l’opprobre sur tout un travail parlementaire qui a été réalisé avec une précision d’orfèvre sous l’impulsion de Jean-Jacques Urvoas, qui travaille depuis de nombreuses années sur la question du renseignement et à qui je souhaite, à ce stade de notre débat, rendre un hommage très appuyé. Je tiens en effet à confirmer que ce texte met en place toute une architecture de contrôle qui lui doit beaucoup et qui repose sur une idée simple et incontestable : plus une technique de renseignement est intrusive, plus elle suppose des garanties procédurales renforcées.

Le texte issu de la commission mixte paritaire reprend très précisément cette doctrine. Plusieurs amendements viennent du reste en témoigner. Je pourrais citer par exemple le délai de conservation des interceptions de sécurité, courant à partir du recueil et non de la première exploitation, la saisine automatique du Conseil d’État pour autoriser une intrusion domiciliaire après un avis négatif de la CNCTR ou encore les restrictions à l’usage des IMSI-catchers. La procédure d’urgence absolue a en outre été restreinte aux seules finalités de la lutte contre le terrorisme, de la lutte contre la criminalité organisée et de la prévention des atteintes à la forme républicaine du gouvernement.

Il n’est pas d’usage que les lectures de conclusions de la commission mixte paritaire donnent lieu à un long développement de la part du Gouvernement. Les deux chambres se sont réunies et elles ont abouti à un accord solide, fondé sur le plus grand dénominateur commun, à savoir la protection de nos libertés.

Cependant, je ne peux pas passer sous silence le contexte des révélations de ces dernières heures, tout d’abord pour rappeler très précisément la position du Gouvernement, qui s’est réuni en conseil de défense ce matin même, mais aussi pour éviter que ne se développent, à l’occasion de ces révélations, certaines confusions autour du texte que vous vous apprêtez à adopter.

Un conseil de défense s’est donc réuni ce matin même autour du Président de la République à la suite de ces révélations. Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents des commissions concernées et de la délégation parlementaire au renseignement ainsi que l’ensemble des présidents des groupes politiques des deux assemblées ont été reçus pour une réunion à l’Élysée. Je veux témoigner devant la représentation nationale de la solennité et de l’extrême fermeté des propos du Président de la République.

Le conseil de défense a permis d’examiner la nature des informations diffusées hier soir par la presse, portant sur la période 2006-2012 et qui concernent le comportement de la NSA. Il s’agit, je le redis, de faits inacceptables, qui ont déjà donné lieu à des mises au point entre les États-Unis et la France, notamment à la fin de l’année 2013, au moment des premières révélations, et lors de la visite d’État du Président de la République aux États-Unis en février 2014. Des engagements avaient été pris par les autorités américaines. Ils doivent être rappelés et strictement respectés.

Mais il est souhaitable d’aller plus loin. Il est souhaitable qu’entre alliés, un code de bonne conduite en matière de renseignement et de respect de la souveraineté politique soit établi.

Mesdames et messieurs les députés, la France, qui a encore renforcé son dispositif de contrôle et de protection, ne tolérera aucun agissement mettant en cause sa sécurité et la protection de ses intérêts. Aucun. Le chef de l’État et le Premier ministre ont exprimé avec une grande fermeté la position de la France à cet égard.

Au-delà de la nature même des faits révélés, la date choisie pour rendre ces informations publiques peut laisser craindre des amalgames entre les pratiques de certains services étrangers et le contenu du projet de loi sur le renseignement. On peut d’ailleurs, certains commentateurs le relèvent, se demander si un tel amalgame ne serait pas recherché au moment où nous examinons ce texte.

Or, ce contexte implique précisément que nous fassions preuve dans nos débats de la plus grande clarté et de la plus grande rigueur intellectuelle. Le texte qui vous est soumis n’a ni pour objet, ni pour effet, d’autoriser les services français à pratiquer un quelconque espionnage systématique des responsables des pays alliés. L’affirmer serait un mensonge.

Le Président de la République a dit avec la plus grande netteté ce matin, à l’occasion des entretiens qu’il a eus avec les représentants du Parlement, et le Premier ministre a redit voici quelques heures devant vous que de telles pratiques ne sont pas celles de la France. Comme l’a dit M. Urvoas, le texte qui vous est soumis renforce, y compris en matière de surveillance internationale, les contrôles – de la CNCTR, du Conseil d’État, de la délégation parlementaire au renseignement – permettant de s’assurer que ces pratiques ne pourront pas davantage se développer demain.

Plus spécieux encore serait l’amalgame consistant à voir dans les pratiques de la NSA la marque d’une surveillance généralisée que le projet de loi français, selon ses adversaires les plus malhonnêtes, autoriserait. Il me faut donc une nouvelle fois le réaffirmer solennellement devant vous, avant le vote : le projet de loi sur le renseignement n’autorise pas la surveillance généralisée mais, bien au contraire, l’interdit. Contrairement aux choix effectués dans d’autres pays, ce texte met en place un cadre juridique très précis et détaillé.

La mise en oeuvre d’une technique de renseignement ne pourra être autorisée que si elle est justifiée par l’une des finalités, limitativement énumérées, qui sont inscrites dans le texte et si son usage est proportionné à l’objectif poursuivi. Les instances de contrôle disposeront de moyens renforcés pour veiller au respect de ces règles et les techniques les plus susceptibles d’affecter la vie privée sont entourées de garanties spécifiques.

Le débat parlementaire a d’ailleurs permis de les accroître à plusieurs égards. Je pense notamment à la protection spécifique de certaines professions particulièrement sensibles. Ainsi, la protection du secret des sources des journalistes, le secret de l’instruction et de l’enquête, nécessaire à la présomption d’innocence, et le secret attaché aux échanges intervenant entre un client et son avocat, nécessaire au respect des droits de la défense, feront l’objet de garanties incontestables qui ont encore été renforcées par la commission mixte paritaire.

Pour les professions d’avocat, de magistrat et de journaliste, l’avis préalable spécialement motivé de la CNCTR réunie en formation collégiale sera systématiquement exigé. Les techniques du renseignement ne pourront pas, pour ce qui concerne ces professions, être employées selon les procédures d’urgence prévues par ailleurs dans le projet de loi. La CNCTR bénéficiera d’une information systématique sur les modalités d’exécution des autorisations dûment motivées.

Pour terminer, afin de préserver expressément le secret attaché à l’exercice de ces professions, les transcriptions de données collectées seront systématiquement transmises à la CNCTR. Comme le prévoit le texte issu de la commission mixte paritaire, magistrats, avocats, parlementaires et journalistes ne pourront tout bonnement pas être écoutés dans le cadre de leurs fonctions. Ces garanties provenant toutes d’amendements de l’Assemblée nationale, en faire état dans cet hémicycle me semble être la moindre des courtoisies. C’est aussi un hommage que nous devons rendre collectivement à la vérité.

Les techniques de renseignement auxquelles nos services pourront recourir en vertu du projet de loi n’ont rien à voir avec les pratiques de la NSA. L’ensemble de ces techniques repose en effet sur le principe du ciblage préalable. Dans le cas des algorithmes, le ciblage s’effectue sur la base d’informations préalablement récoltées qui permettent d’identifier des modes de communication utilisés entre les individus d’une même filière que nous cherchons à identifier. Le recours à ces algorithmes a été strictement encadré par les travaux de votre assemblée, qui ont été fidèlement retranscrits dans le texte issu de la CMP.

Je veux citer très précisément les garanties qui ont été apportées : la commission de contrôle disposera d’une capacité de contrôle préalable des critères de conception du traitement et disposera du code source correspondant pour pouvoir le faire expertiser, au besoin, par des ingénieurs.

Seules les données de connexion seront concernées. En revanche, le contenu des correspondances ne le sera pas, ce qui exclut formellement les technologies de surveillance générale des correspondances par mot-clef utilisées dans d’autres pays. L’autorisation d’usage d’un algorithme devra être renouvelée à chaque modification, et au minimum tous les quatre mois, si bien que l’exécutif devra périodiquement reformuler une demande d’autorisation répondant aux exigences de proportionnalité et de pertinence de la technique employée et la soumettre à la CNCTR, sans préjudice des pouvoirs de contrôle permanents dont disposera la Commission.

Un amendement conservé par la CMP a prévu également que l’autorisation du Premier ministre devrait préciser le champ technique de la mise en oeuvre de la technique de renseignement, qui sera limité aux éléments strictement nécessaires à la détection d’une menace terroriste. Les opérateurs auront la possibilité de s’assurer par eux-mêmes que les données de contenu seront exclues de la mise en oeuvre de ces traitements. La procédure d’urgence ne sera pas applicable à cette technique de renseignement.

Je note que l’adoption de cet amendement a été saluée par le principal hébergeur de sites internet en France qui, après avoir formulé d’importantes réserves sur le texte, a constaté que « des engagements concrets quant à la préservation des données personnelles et au caractère ciblé, limité dans le temps et non systématique de ce dispositif de surveillance [avaient] été apportés ».

J’entends encore ici et là de virulentes contestations de ce texte. Il est normal qu’il y ait des désaccords, mais les professionnels eux-mêmes ayant noté des avancées, il serait juste que les opposants au texte prennent la mesure des garanties apportées par le Parlement avec l’appui du Gouvernement ; l’exigence d’honnêteté intellectuelle qui doit prévaloir sur ces sujets sérieux devrait les y conduire.

Mesdames, messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis vise à donner à nos services de renseignement les moyens de faire face aux menaces auxquelles notre pays est confronté, ce qui suppose qu’ils soient soumis aux contrôles nécessaires à la garantie de nos libertés publiques. Tel est l’objectif poursuivi par le Gouvernement depuis le début de l’élaboration de ce texte.

L’actualité, en soulignant la puissance des moyens de surveillance dont disposent certains de nos partenaires, nous rappelle aujourd’hui combien il est indispensable de disposer, en la matière, de capacités autonomes, de capacités efficaces, de capacités contrôlées. Je note d’ailleurs que le futur article L.811-3 du code de la sécurité intérieure classe l’indépendance nationale et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère parmi les finalités susceptibles de justifier l’usage de techniques de renseignement.

Avec ce texte, la France sera encore mieux protégée demain contre les pratiques que nous dénonçons aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les députés, j’en viens à présent aux amendements qui vous seront soumis. Le Sénat en a adopté un certain nombre à l’occasion de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, et ils vous sont à présent soumis à cette même étape de la discussion. Si vous ne les adoptiez pas, cela aurait pour effet de faire échouer la CMP.

J’aimerais vous présenter les amendements qui ont été déposés par le Gouvernement. Comme vous le savez, la CMP a adopté deux dispositions visant à ce que les techniques utilisées sur le territoire national à l’égard de ressortissants étrangers non-résidents n’aient pas à faire l’objet du contrôle de la CNCTR. Le Gouvernement y est défavorable, pour des raisons de nature constitutionnelle. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est en effet très restrictive quant aux possibilités d’instituer des différences de traitement au détriment des étrangers, même non-résidents, dans l’application de la loi française sur le territoire national. En particulier, il est difficile d’admettre de telles différences lorsque le droit à la protection de la vie privée est en jeu. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose de revenir sur ces dispositions en adoptant un amendement de suppression, lequel a été adopté au Sénat.

Par ailleurs, deux amendements de précision vous sont soumis pour clarifier la rédaction issue de la commission mixte paritaire. Naturellement, le Gouvernement a apporté son aval aux amendements déposés par le rapporteur, qui ont également été adoptés au Sénat et qui permettent de fluidifier la rédaction issue de la commission mixte paritaire.

Telles étaient les précisions que le Gouvernement souhaitait formuler. Je tiens une fois de plus à remercier le rapporteur Jean-Jacques Urvoas et l’ensemble des députés pour la qualité du travail accompli. Par-delà les clivages partisans, les députés ont eu une position constructive. Le fait même que la commission mixte paritaire aboutisse démontre bien le caractère consensuel et l’esprit de responsabilité qui ont présidé à ces travaux et que je veux saluer. Je voulais toutes et tous, au nom du Gouvernement, vous en remercier sincèrement.

Mesdames, messieurs les députés, avec ce projet de loi, nous dotons les services du renseignement d’un cadre permettant la protection des libertés publiques. Et le Président de la République saisira le Conseil constitutionnel, pour la première fois depuis 1958, ce qui démontre aussi, s’il en était besoin, combien nous sommes résolument déterminés à ce qu’aucun doute ne subsiste sur la conformité de ce texte à nos principes fondamentaux, les principes fondamentaux du droit inscrits dans la Constitution et qui, depuis des décennies, voire plus longtemps encore pour ceux d’entre eux qui sont issus des autres textes inclus dans le bloc de constitutionnalité, garantissent nos libertés publiques.

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