Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 21h50
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Présentation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, il n’est pas habituel, et certainement pas anodin, que la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche intervienne ainsi dans un débat relatif à la procédure pénale. Une telle circonstance est exceptionnelle, vous en conviendrez, et nous souhaitons tous qu’elle le demeure.

Mon intervention aujourd’hui, aux côtés de la garde des sceaux, est précisément justifiée par la gravité des faits qui ont été portés à notre connaissance à la fin du mois de mars dernier, lorsque nous avons appris avec effroi qu’un directeur d’école primaire, déjà condamné en 2006 pour des faits de prédation sexuelle, était soupçonné de plusieurs agissements sexuels commis dans une école de Villefontaine.

À ce jour, dans cette affaire, soixante-et-une victimes potentielles se sont fait connaître. Il n’est pas utile que je m’attarde sur les faits sur lesquels portent les accusations : imaginer un enfant abusé sexuellement, qui plus est au sein de ce qui ne devrait jamais cesser d’être un sanctuaire, l’école, est tout bonnement insoutenable.

Quelques jours plus tard, à Orgères, près de Rennes, alors que nous étions encore sonnés par l’affaire de Villefontaine, nous découvrions qu’un autre professeur, lui aussi condamné quelques années auparavant, continuait à enseigner alors même qu’il était visé par une procédure pour corruption de mineurs de moins de quinze ans.

Chacun s’est alors demandé : comment des personnels condamnés pour des délits de nature sexuelle ont-il pu continuer à enseigner ? Comment est-il possible que des condamnations intervenues par le passé à l’encontre de ces deux personnes n’aient pas été connues de leur employeur, le ministère de l’éducation nationale ? Dans le cas d’Orgères, comment un enseignant qui avait déjà été condamné mais qui était visé par une procédure en cours, a-t-il pu continuer à enseigner sans que nul n’en soit informé ?

La garde des sceaux l’a dit : dès que les faits ont été connus, à Villefontaine puis à Orgères, nos services ont eu une réaction que je crois à la hauteur des faits. Le jour même de l’interpellation du directeur d’école de Villefontaine, la décision de le suspendre à titre conservatoire a été prise. J’ai moi-même signé, quelques jours plus tard, au début du mois d’avril, sa révocation définitive.

Sur place, un plan d’accompagnement médico-psychologique – toujours appliqué aujourd’hui – a été déployé pour soutenir les enfants, les familles et les professionnels. Les frais de consultation psychologique ont été pris en charge par nos soins. Encore aujourd’hui, le rectorat de Grenoble, dont je veux saluer la réactivité exemplaire, accompagne les familles et les professionnels de l’école qui ont tous été terriblement affectés par ces faits.

Avec la garde des sceaux, nous avons pu constater sur place l’émotion puisque nous sommes allées à la rencontre de ces familles et de ces personnels. Mais nous n’avions pas le droit d’en rester au stade de l’émotion : il nous fallait comprendre et décrypter, dans le moindre détail, chacune de nos procédures respectives afin d’en analyser les failles et de connaître les dysfonctionnements ayant pu conduire à de telles situations.

Nous avons alors missionné conjointement l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et l’inspection générale des services judiciaires, afin qu’elles analysent ensemble les circonstances dans lesquelles l’autorité judiciaire et l’éducation nationale avaient pu, pendant des années, ne pas suffisamment partager des informations aussi essentielles que ces condamnations et mettre en évidence les conséquences à tirer de ces affaires.

Sans attendre même les résultats de cette inspection, nous avons souhaité, le 8 avril dernier, et c’était une première, réunir l’ensemble des procureurs de la République et des recteurs afin de les faire travailler ensemble à l’élaboration de mesures visant à améliorer les transmissions et les modalités communes de travail.

Bien sûr, et je n’ai de cesse de le répéter, car il le faut, l’ignominie de quelques-uns ne doit pas jeter l’opprobre sur nos personnels en qui nous avons confiance et qui effectuent chaque jour auprès des élèves un travail essentiel.

Les cas dont nous parlons aujourd’hui sont fort heureusement rares, mais déjà trop nombreux pour ne pas appeler de notre part la plus énergique des réponses.

C’est l’objet des dispositions qui vous sont proposées. Il s’agira de modifier la loi pour imposer la transmission effective d’informations lorsqu’un agent est mis en cause pour des faits graves, mais, au-delà, de faire changer les pratiques et les procédures pour garantir la sécurité des enfants.

La nécessité de modifier la loi ressort clairement des conclusions provisoires de la mission d’inspection dont nous avons rendu publique la synthèse début mai. De simples circulaires, fussent-elles répétées, n’ont pas suffi à imposer ce principe de transmission systématique des informations graves de l’autorité judiciaire à l’employeur de l’agent condamné. Il y a eu des dysfonctionnements systémiques et organisationnels et il faut en passer par la loi pour fixer des règles claires et précises, qui peuvent se résumer ainsi : aucun adulte pouvant représenter un danger pour nos enfants ne doit pouvoir exercer auprès d’eux. Nous vous proposons donc d’adopter des mesures qui concerneront tous les agents publics et privés en contact avec des mineurs, quel que soit l’employeur, et quel que soit le cadre d’intervention : activités scolaires, périscolaires, activités d’accueil de très jeunes enfants.

Une partie des amendements que nous avons proposés permettent d’ailleurs de garantir la cohérence du cadre global et de réparer des omissions, parfois du législateur lui-même. Par exemple, aucune procédure d’interdiction d’exercice temporaire n’était prévue pour les chefs d’établissement du premier degré de l’enseignement privé condamnés alors qu’il y en avait une pour les autres catégories de personnels. Nous profitons de ce texte pour réparer cette omission.

Ce que nous ont appris les événements de Villefontaine, c’est la nécessité d’avoir une approche globale, qui faisait défaut, dans laquelle les règles sont connues de tous et transparentes.

Avec les amendements que nous déposons, nous souhaitons ainsi, pour une liste d’infractions définies, que l’autorité judiciaire soit obligée d’informer les autorités administratives d’un renvoi devant une juridiction, d’une mise en examen ou d’une condamnation lorsqu’une personne exerçant une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs est concernée. Ces mesures sont indispensables pour qu’en aval, les procédures administratives soient engagées, mesures conservatoires, bien sûr, mais aussi procédures disciplinaires.

Nous avons souhaité également que le contrôle des bulletins no 2 des casiers judiciaires puisse intervenir non plus uniquement lors du recrutement des fonctionnaires mais dans le cours de leur carrière. À ce jour, le contrôle n’était autorisé que pour le seul fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV, il ne l’était pas pour les B2. La mission d’inspection, qui nous rendra ses conclusions définitives début juillet, nous dira comment organiser un tel contrôle sur les agents publics, dans quelles conditions et avec quelles garanties, mais il nous a semblé déjà nécessaire de lever le frein qui limitait notre capacité à pouvoir repérer d’éventuels cas d’agents publics qui auraient été condamnés ces dernières années sans avoir fait l’objet d’un signalement à leur administration.

Pour que les pratiques changent réellement, il faudra faire en sorte que, si vous en acceptez le principe, cette loi soit incarnée et appliquée au plus vite. Pour ce qui concerne mon ministère, je présenterai dès le 6 juillet aux recteurs le travail réalisé avec les services de la garde des sceaux, et nous arrêterons les modalités opérationnelles à mettre en place pour la rentrée. Ainsi, dès septembre 2015, dans chaque académie, un référent justice placé auprès de chaque recteur sera formé et assermenté pour pouvoir recevoir l’ensemble des informations que les services judiciaires lui transmettront. Ce référent travaillera en étroite collaboration avec les services compétents pour que, dans le respect du droit et de la présomption d’innocence – nous y sommes tous attachés –, les précautions indispensables soient prises en cas de suspicion, et que les mesures conservatoires ou sanctions disciplinaires soient appliquées en cas de mise en examen ou de condamnation.

Parce qu’il faut des procédures efficaces mais aussi connues de tous, nous envisageons, si vous adoptez ce projet de loi, qu’un guide complet sur les procédures d’échanges d’informations soit diffusé à nos services chargés de traiter ces situations.

J’ai toute confiance dans les équipes de l’éducation nationale car elles ont démontré ces dernières semaines leur réactivité et leur capacité à collaborer avec les services de l’intérieur et de la justice pour protéger les enfants. Elles ont su aussi, sur des affaires délicates où, malheureusement, certains ont pu instrumentaliser des accusations graves de nature sexuelle sur mineurs, soutenir les personnels injustement incriminés.

Il convient en effet, et c’est tout l’équilibre que nous avons voulu construire, de faire preuve d’un grand discernement sur ces affaires pour ne pas, comme cela a pu être le cas dans le passé lors de grands procès médiatiques, briser la vie de personnes innocentes par des accusations infondées. Ce discernement et cette fermeté conjugués sont indispensables pour que chacun soit protégé.

Depuis le début du mois de juin, quinze cas de suspicions d’agissements de nature sexuelle contre des élèves ont été portés à ma connaissance. Villefontaine a clairement levé un tabou, c’est une bonne chose, mais il y a parmi ces remontées des accusations infondées, qui peuvent mettre en danger nos personnels.

Pour chacune de ces situations, les personnels compétents ont réfléchi à une solution individualisée pour protéger les enfants quand cela était nécessaire ou pour protéger l’agent, que nous ne pouvons laisser seul face à la vindicte populaire alors même que les services de police ou de gendarmerie ou encore le procureur nous ont alertés en soulignant la fantaisie des faits reprochés.

J’ai toute confiance dans les personnels compétents et aguerris de l’éducation nationale, appuyés par nos services en centrale, pour prendre les mesures adaptées à chaque situation. Nous parlons de mesures conservatoires, notamment de suspension, pour protéger les enfants, protéger les agents et éviter des troubles à l’ordre public. Nous parlons aussi des sanctions disciplinaires, encadrées, proportionnelles, prises de façon collective avec toutes les conditions pour que l’agent incriminé puisse disposer de tous ses droits et bénéficier des procédures contradictoires en vigueur. Être informé au plus tôt permettra d’agir de la façon la plus adaptée à chaque situation, qui est différente et dont personne ne doit oublier la dimension profondément humaine.

En parallèle, j’ai également engagé le travail de révision de notre procédure de remontée des faits graves au sein de l’éducation nationale. On doit, je l’ai souligné, réfléchir de manière globale : à côté des faits odieux dont nous parlons aujourd’hui, il y a d’autres faits, d’autres violences, entre élèves parfois, pour lesquels notre réponse doit avoir la même efficacité, qu’il s’agisse de protéger les victimes ou de prendre les mesures adéquates, comme le signalement auprès du procureur, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale.

Je veux le rappeler parce qu’on a parfois tendance à l’oublier, depuis quelques années, nos personnels ont fait de gros efforts sur la prise en charge des victimes et le suivi des équipes en difficulté, en mettant en place des interventions adaptées en cas de crise grave et en améliorant l’articulation avec les services des ministères de l’intérieur et de la justice mais aussi avec les collectivités locales dans le cadre de la protection de l’enfance en danger. Vous-mêmes, dans la proposition de loi relative à la protection de l’enfance, vous avez apporté des améliorations utiles pour le travail des services sur le terrain, et je vous en remercie.

Cela dit, l’ensemble des dispositions que nous soumettrons à votre vote seraient bien imparfaites si nous ne nous préoccupions pas de prévenir le plus possible les violences. C’est tout le travail effectué autour du plan de prévention des violences déployé dans les établissements depuis quelques années, que nous enrichissons progressivement avec des formations pour mieux gérer les conflits et répondre aux violences qui peuvent exister.

Cela passe aussi par le repérage de ce qu’on pourrait appeler les signaux faibles. J’ai donné comme instruction à nos cadres en académie de travailler avec les chefs d’établissement et leurs équipes là où un climat dégradé et donc à risque s’est installé ou peine à être contenu.

C’est bien une prévention globale et systémique à laquelle je pense, prévention qui doit se faire non pas de façon isolée dans les rectorats, mais en partenariat avec les autres ministères, les collectivités et les associations pour que, avec des mots adaptés, on alerte les enfants sur les maltraitances qu’ils peuvent subir, on les informe sur leurs droits, le respect de leur intégrité, les ressources qu’ils peuvent trouver pour sortir de situations de violences, qui, vous le savez bien, dans leur très grande majorité, sont commises dans l’entourage proche de l’enfant.

Notre rôle de repérage de ces souffrances et de ces maltraitances est essentiel. Chaque enfant doit savoir qu’aucun adulte et aucun de ses camarades ne peut lui faire du mal, le blesser, le violenter ou l’agresser sexuellement.

Les amendements que nous vous proposerons d’adopter sont inspirés par cette philosophie équilibrée, cette approche globale que j’ai essayé de vous présenter, qui associe la fermeté dans la réponse, la systématisation dans les procédures et le discernement dont on a déjà fait preuve sur le terrain.

Ces mesures, nous les devons aux enfants, aux parents et aux professionnels, inquiets après cette série de révélations. Il faut assurer la sérénité de tous, notamment au sein de l’école. Je vous remercie par avance de les adopter et je remercie au passage Mme la garde des sceaux pour le travail excellent que nous avons réalisé main dans la main.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion